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Le monde virtuel contribue au développement de la personnalité et facilite la communication « Seules les personnalités fragiles deviennent dépendantes », estime la psychanalyste Rania Arida Séropian

La psychanalyste Rania Arida Séropian se penche sur la dépendance aux multimédias qu’elle situe dans le même tableau clinique que les autres dépendances, notamment la boulimie ou la toxicomanie. Partant du principe que toute personne ne devient pas nécessairement dépendante, et que seules les personnalités fragiles le deviennent, elle insiste sur le rôle préventif des parents. D’emblée, Rania Arida Séropian tient à établir une nette distinction entre l’intérêt pour les multimédias et la dépendance. Elle explique que les multimédias, et notamment les jeux en réseau, permettent aux jeunes « de vivre dans l’imaginaire » et d’utiliser cet imaginaire pour « développer leur créativité », tout en acceptant le jeu comme tel. La psychanalyste précise que les multimédias peuvent constituer « l’espace transitionnel dont les adolescents ont besoin ». Leur rendant les choses plus accessibles, ils leur donnent l’occasion « de vivre, dans le virtuel, ce qu’ils n’ont pas la possibilité de vivre dans la réalité, mais aussi d’exorciser leurs peurs et leurs angoisses ». « Outre l’imagination, ces jeux développent aussi la faculté de stratégie des jeunes », indique-t-elle. Observant que les jeux en réseau, mais aussi le chat (la conversation instantanée en ligne), attirent les adolescents, Rania Arida Séropian constate qu’ils leur permettent « de dire facilement ce qu’ils ne peuvent dire dans la réalité, par timidité, et de s’intégrer au groupe avec lequel ils jouent ». « Lorsqu’on écrit ce qu’on pense, il est plus facile de le dire après », ajoute-t-elle. « Non seulement ils évitent ainsi l’humiliation de la non-intégration à un groupe, car derrière un ordinateur la marginalisation n’existe pas, mais ils ont une impression d’indépendance vis-à-vis de leurs parents », indique-t-elle encore, précisant que cela se répercute positivement sur le développement de la personnalité. Le danger de l’exclusivité Quant à la dépendance aux multimédias, la psychanalyste l’explique, chez l’adulte, comme résultant d’un travail de deuil non achevé du fantasme de toute-puissance ou d’omnipotence, en référence au pouvoir qu’a le nourrisson sur sa mère, notamment dans la satisfaction immédiate de ses désirs. Elle note l’immaturité affective du cyberdépendant, qui recherche dans sa dépendance une illusion de toute-puissance, qui cherche aussi à combler un vide. Mme Arida Séropian précise qu’on ne peut parler de dépendance qu’à partir de la présence de critères bien déterminés : « Lorsque cette consommation abusive est exclusive et qu’elle se répercute sur le psychisme, sur la santé physique ou mentale, et que ses conséquences sont également perceptibles aux niveaux psychoaffectif, comportemental, social, économique, professionnel ou scolaire. » Elle insiste sur le caractère exclusif de l’activité, expliquant que « le cyberdépendant cesse toute autre activité, tout sport ou tout loisir, qu’il souffre d’insomnies et que sa seule motivation est d’avoir accès à son monde virtuel ». En cas de sevrage brusque, d’impossibilité d’avoir accès à ce monde, il adopte « un comportement irritable, anxieux. Il devient morose », dit-elle encore. Et d’ajouter que la dépendance au virtuel se situe dans le même tableau clinique que les autres dépendances, notamment l’alcoolisme, la toxicomanie, la boulimie, le tabagisme... Certes, elle se présente différemment chez l’enfant, l’adolescent ou l’adulte, d’autant que chaque âge a ses préférences. L’intérêt des plus jeunes porte sur les consoles de jeux, la télévision et les jeux d’identification aux superhéros inspirés de films. La dépendance se traduit donc, chez les enfants, par « la perte de la notion de réalité, et par l’impossibilité de connaître la limite entre le virtuel et la réalité, indique-t-elle. Fascinés, n’ayant pas la notion du temps, ils se laissent aussi facilement entraîner dans l’exclusivité. » Éviter de culpabiliser les jeunes Moins enclins à la cyberdépendance que les enfants et les adultes, les adolescents, et plus spécifiquement ceux qui présentent une personnalité fragile, ne sont pas toutefois à l’abri de l’addiction. Ils développent différentes dépendances, notamment celle au chat qui représente pour eux un moyen branché de conversation et de communication et leur permet de se construire une identité extérieure à la famille. Ils éprouvent aussi un besoin de se connecter à des sites de rencontre comme Facebook, site qualifié de « voyeuriste » par la psychanalyste. Leur addiction porte finalement sur les jeux en réseau, notamment « World of Warcraft », « dépendance qu’il faut envisager plus sérieusement que celle au chat », tient à préciser Mme Arida Séropian. Quant à l’adulte, qui est d’autant plus enclin à la dépendance qu’il n’est pas heureux dans sa vie professionnelle ou dans sa famille et n’a pas dépassé le fantasme de toute-puissance, il se dirige vers les jeux en réseau et les clubs de rencontre. Rania Arida Séropian met l’accent sur l’addiction parfois très grave que provoque le jeu en réseau « Second life » chez de nombreux adultes, précisant qu’« ils vivent, à travers ce jeu, l’existence qu’ils auraient aimé avoir ». Quant au moyen de traiter la dépendance, la psychanalyste appelle les parents à faire preuve de vigilance, sans toutefois culpabiliser leurs enfants. « Les cris et les hurlements ne servent à rien », affirme-t-elle, ajoutant que les mesures doivent être prises avec l’accord de la personne souffrant de dépendance et qu’un sevrage doit se faire progressivement. Elle invite aussi les parents à « limiter le temps de connexion de leurs enfants », tout en leur conseillant de ne pas les priver du chat, « car ce serait les empêcher de communiquer ». Elle observe aussi qu’il est important de mettre des mots sur la dépendance, de parler de son manque avec le cyberdépendant notamment en période de sevrage. « Mais dans certains cas, lorsque la solution est difficile à trouver, le soutien psychologique d’un spécialiste devient nécessaire. Un soutien dont les résultats seront d’autant plus efficaces qu’il est plus précoce », affirme-t-elle. Logiciels créés pour favoriser la dépendance Il est cependant possible de prévenir la dépendance aux multimédias, observe Rania Arida Séropian, insistant sur l’importance de la « mise en place, par les parents, de règles et de limites claires et strictes, dès le plus jeune âge de leurs enfants, limitant ainsi le temps de connexion, de jeu ou de télévision ». « Ces règles doivent être appliquées avec conviction et l’enfant doit participer à leur mise en place et leur application », conseille-t-elle. La psychanalyste explique à ce propos que les logiciels des jeux en réseau sont créés dans un objectif de favoriser la dépendance : les internautes se retrouvent en bandes, même s’ils sont effectivement tout seuls devant leur écran. De plus, ces jeux ne se terminent jamais, poussant l’enfant à en vouloir toujours plus. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle « les parents sont invités à surveiller le temps de jeu de leur enfant, à éteindre le jeu pour faire respecter la règle et à favoriser et accompagner le passage à un autre jeu ou une autre occupation ». Interdire le virtuel aux jeunes pour empêcher tout risque de dépendance ? « Absolument pas », affirme Rania Arida Séropian, catégorique, qui voit dans le chat un phénomène de mode et de communication indispensable aux jeunes. « Tout comportement n’est pas pathologique et seuls les êtres vulnérables atteignent le stade de la dépendance », conclut-elle.
La psychanalyste Rania Arida Séropian se penche sur la dépendance aux multimédias qu’elle situe dans le même tableau clinique que les autres dépendances, notamment la boulimie ou la toxicomanie. Partant du principe que toute personne ne devient pas nécessairement dépendante, et que seules les personnalités fragiles le deviennent, elle insiste sur le rôle préventif des...