EFFEUILLAGE Entre elle et moi Lamia EL-SAAD

Je lui ressemble. Comme elle, j’ai les yeux noisette et les cheveux blonds. Je lui ressemble mais… en plus petit ; mon nez, mes joues, mes mains, tout est plus petit. Je dors dans son lit, dans ses bras. Elle me caresse, me couvre de baisers et me chante des berceuses ; me nourrit en souriant et en ouvrant la bouche, la cuillère à la main. Tous les soirs, elle me prend dans ses bras pour me raconter une histoire : histoires de princesses, d’ogres, de sorcières… Histoires entrecoupées de bâillements. Il n’est pas rare qu’elle s’endorme avant moi. Elle me donne le bain, m’habille coquettement et me coiffe les cheveux longtemps pour que je sois la plus belle. Elle a à cœur de m’offrir le meilleur de chaque chose : les plus doux vêtements, les plus beaux bonnets et les chaussures les plus confortables. Elle aime le temps qu’elle passe avec moi. Pour me distraire, elle me fait jouer et me parle tout en étant, bien sûr, persuadée que je ne comprends pas un traître mot de ce qu’elle me raconte ; c’est un peu comme si elle se parlait à elle-même. Il est vrai que je ne comprends pas ce qu’elle dit mais je sais, à l’inflexion de sa voix, que ce sont là des paroles d’amour. Parfois, elle invente pour moi des mots qui n’existent pas et me sert toutes sortes d’onomatopées ; ce langage supposé être le mien est à peine plus compréhensible et de loin plus ridicule que le sien. Elle m’a donné pour prénom Fanny : elle savait qu’il m’irait bien. Elle seule connaît mon âge en termes d’années, de mois et même de jours. Plus tard, nous finirons peut-être par nous quitter mais je sais que, d’une certaine manière, je ferai toujours partie de sa vie et qu’elle fera toujours partie de la mienne ; il existe entre nous un lien que rien ne saurait délier. À ses yeux, je n’ai que des qualités : voilà ce qu’elle raconte à ses amies. Elle est si fière… Fière que je lui ressemble. Et pourtant, nous n’avons aucun lien de parenté ; je sors d’une usine et j’ai été achetée dans un magasin de jouets.