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Culture - Livre

Atiq Rahimi : au nom de toutes les femmes

Prix Goncourt 2008, « Syngué Sabour » ou
« Pierre de patience », d'Atiq Rahimi, aux éditions « P.O.L. », est une ode à la liberté et à l'amour. Mystique et profane.
Premier livre de l'auteur à être écrit en français et non dans sa langue maternelle, le persan, l'ouvrage mêle prose et poésie ainsi que la double influence de l'Orient et de l'Occident.
À travers cette œuvre qui se déroule comme un film de cinéma (son ouvrage Terre et cendres a déjà fait l'objet d'un film ), en divers plans et séquences et dans un style concis, épuré, l'auteur est parvenu à se glisser dans le corps de la protagoniste de l'action, pour devenir la voix de toutes les Afghanes et porter en lui toute leur misère.
Le rideau se lève donc sur une femme afghane, qui est assise près du lit d'un homme (un guerrier) à demi-mort. Devant ce corps inerte que seuls certains soins rudimentaires tentent de réanimer, l'épouse fait un monologue. Elle est cloisonnée dans la souffrance. Au fil d'un chapelet qu'elle égrène, elle prie, au fil des souffles de l'homme, elle implore Dieu et au fil des heures, elle cite tous les noms du Tout-Puissant (al-Qahhâr, al-Wahab...). Machinalement, inlassablement. L'espace d'un moment (qui dure quarante pages), le lecteur a l'impression que cette femme est tellement éplorée qu'elle veut que son mari guérisse et se lève. Mais petit à petit, au fil des mots et des gestes (toujours identiques), il semble qu'à travers ce rituel macabre, « elle enlève le cathéter, retire la seringue, nettoie le tuyau..., cette femme est en train de faire le requiem de sa vie ».

Un plaidoyer poétique
«Une pierre noire sacrée devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs... tes souffrances... tes douleurs...tes misères... à qui tu confies tout ce que tu as sur le cœur et que tu n'oses pas révéler aux autres (...) Tu lui parles...La pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets jusqu'à un jour elle éclate.» Cette belle métaphore, que l'auteur, devenu lui-même acteur car participant à cette «liturgie» lugubre, a emprunté à une légende, illustre ce combattant mourant qui n'a jamais tendu l'oreille aux plaintes de sa femme et qui se trouve aujourd'hui contraint par les circonstances à l'écouter. Au fil des pages, la prière s'estompe laissant place aux cris intérieurs de l'Afghane. Des cris de douleur venant des tripes et qui traduisent sa solitude de femme mariée. N'ayant jamais osé révéler ses secrets à son mari, elle profite de son état pour tout lui dévoiler. Sordide mais dérisoire à la fois. Est-ce pour qu'il éclate comme la pierre qu'elle agit de la sorte?
«Ce récit est écrit à la mémoire de N.A. - poétesse afghane sauvagement assassinée par son mari» -, écrit Atiq Rahimi au début de son livre mais, deux pages plus loin, on retrouve cette autre phrase: «Quelque part en Afghanistan ou ailleurs.» Ces mots remplis de violence et d'aigreur traduisent la sombre condition féminine dans les régimes obscurantistes. Les femmes n'y sont que des mortes vivantes, semble dire l'auteur.
Atiq Rahimi, installé en France depuis 1985, lutte contre cet obscurantisme qui réduit des êtres à des fantômes palpables. En partageant son temps entre Paris et Kaboul, où il assure un travail de directeur artistique à la télévision et anime un atelier d'écriture de scénarios, l'auteur s'imprègne ainsi sans cesse des deux cultures occidentale et orientale, use de la liberté de parole, l'une pour fustiger les diverses aliénations de l'autre.
N'a-t-il pas d'ailleurs dit: «Je prends à l'Occident son genre littéraire, le roman - raconter une histoire sans métaphores - et à l'Orient ses rites, son imagerie et sa poésie»?
Une symbiose parfaite qu'il met au service des mots et de la pensée libre.

* Disponible à la librairie Antoine.
Premier livre de l'auteur à être écrit en français et non dans sa langue maternelle, le persan, l'ouvrage mêle prose et poésie ainsi que la double influence de l'Orient et de l'Occident. À travers cette œuvre qui se déroule comme un film de cinéma (son ouvrage Terre et cendres a déjà fait l'objet d'un film...

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