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Actualités - REPORTAGE

Atrissi : Les revendications chiites motivées par un partage du pouvoir déséquilibré

Professeur de sociologie à l’UL, le professeur Talal Atrissi explique les principaux facteurs qui ont conduit au divorce – toujours remédiable selon lui – entre les différentes communautés libanaises et les affirmations de craintes confessionnelles de part et d’autre qui se sont multipliées depuis près de deux ans. Le sociologue pose sur la crise actuelle un regard qui s’inspire de l’histoire « d’exclusion » de la communauté chiite et du sentiment de marginalisation dans ses rapports, notamment avec les sunnites d’une part, avec les chrétiens d’autre part et, surtout, à travers ses relations à l’État dont les chiites ont fortement ressenti l’absence tant sur le plan sécuritaire que socio-économique. Une perception qui a conduit, à la fin des années 60, à la montée en force du mouvement revendicatif de l’imam Moussa Sadr, relayé dans les années 80 par celui du Hezbollah.  Aujourd’hui, estime le professeur Atrissi, les revendications de « partenariat » politique, dont le Hezbollah se fait le champion, devraient être examinées aussi bien au plan du changement de cap stratégique dans la région dont le retrait syrien est l’élément principal, qu’à travers l’historique relationnel de différentes communautés entre elles, et la perception de la communauté chiite de sa « dépossession ». « Le problème est que la nature du régime libanais depuis pratiquement l’indépendance repose sur des bases confessionnelles et sur une participation de type communautaire qui n’était pas toujours équilibrée à travers l’histoire », affirme-t-il. Selon lui, le sentiment qui existait chez les différents protagonistes communautaires était que chacune des confessions devait œuvrer à préserver ses quotes-parts et ses positions lorsqu’elle faisait partie du pouvoir, sinon tenter de reprendre sa part lorsqu’elle en était exclue. « C’était le cas des chiites qui ont réalisé depuis la constitution de la République libanaise que la formule du pouvoir reposait à l’époque sur une participation sunnito-maronite. Les droits des sunnites étaient, à l’époque, garantis et protégés par leur prolongement arabe dans sa dimension nassérienne, puis saoudienne dans les années 70 et palestinienne par la suite, les Palestiniens étant considérés à l’époque comme “l’armée des sunnites” », rappelle le sociologue. De ce fait, dit-il, l’équilibre arabe qui prévalait dans la région était en faveur de la préservation du rôle et des prérogatives des sunnites, l’Occident ayant pris à sa charge la protection du « maronitisme politique » et, par extension, des communautés chrétiennes dans leur ensemble. C’est dans ce contexte qu’est venu s’inscrire en force le mouvement revendicatif de l’imam Moussa Sadr, dont la mission était de faire prendre conscience aux chiites qu’ils étaient acteurs et sujets à part entière de l’État et qu’ils devaient par conséquent pallier la marginalisation que leur communauté subissait. « Toutefois, la situation des chiites a bien changé au cours des trente dernières années, avec l’avènement d’une prise de conscience aiguë et les éléments de force qu’ils ont acquis, notamment avec l’armement du Hezbollah. » Il reste toutefois à comprendre pourquoi l’idée de partenariat, entendu dans son acception institutionnelle, n’a refait surface que depuis seulement deux ans, le Hezbollah n’ayant jamais auparavant revendiqué une « part », au sens matériel du terme, au gouvernement. Pour le professeur Atrissi, le « facteur déclencheur » était indiscutablement le retrait syrien, et dans une moindre mesure le conflit américano-iranien, qui rappelle-t-il, existe depuis plus de 30 ans, depuis pratiquement la révolution iranienne, avec des hauts et bas que dictaient les circonstances. « Certes, dit-il, ce bras de fer a atteint son apogée aujourd’hui avec les changements radicaux qui se sont opérés dans la région, notamment avec l’effritement de l’Irak. Il faut rappeler à ce propos que, durant la longue guerre irano-irakienne où les Américains avaient soutenu l’Irak, le Hezbollah ne parlait pas encore de participation au gouvernement et le bruit des bottes semblait encore assez loin de la scène libanaise. » Le retrait syrien, ajoute le sociologue, a été déterminant au plan des relations entre les communautés au Liban, dans la mesure où la présence syrienne constituait, pour le Hezbollah, une couverture politique sur le plan local. « Les Syriens, qui géraient de manière autoritaire les moindres détails de la vie politique libanaise, avaient proscrit toute discussion ou débat interne, rendant ainsi la dynamique politique presque nulle », soutient l’expert. Le retrait des troupes de Damas a donc marqué le début d’une transition vers une nouvelle réalité politique, sachant que le vacuum laissé par la Syrie a été vite rempli par une influence US plus marquée, à la manière du vide laissé en Irak, qui a été rempli par l’Iran, souligne-t-il. « Dans ce contexte, la demande de participation au pouvoir formulé par le Hezbollah ne peut être comprise comme |une revendication quantitative ou tactique – au sens de l’acquisition de deux ou trois ministres en plus – mais plutôt qualitative. Ce qui compte aujourd’hui pour le parti chiite est que le gouvernement en place puisse avoir un plafond politique qui ne soit pas hostile à la résistance. La demande de partenariat dépasse le fait chiite pour devenir stratégique, puisque le Hezbollah accepte – il l’a exprimé à plusieurs reprises – d’être représenté par ses alliés chrétiens. » Le parti chiite réclame en réalité un gouvernement « qui ne soit pas instrumentalisé par l’Administration américaine ». Le refus de l’exclusion chiite doit également être entendu dans sa dimension socio-économique, à la lumière de la privation, en termes de services, de développement et de distribution des richesses, dont a souffert cette communauté à travers l’histoire, ajoute Talal Atrissi. « Le Hezbollah voudrait que le pouvoir s’implique dans une politique de développement global qui puisse atteindre les régions reculées de la Békaa et du Liban-Sud, où il puise son électorat, une réclamation approuvée par son allié chrétien réformiste, Michel Aoun. C’est en ce sens que l’on peut parler d’un partenariat politique au sens large du terme, plutôt que d’un partenariat de quotes-parts », dit-il. Et M. Atrissi de faire remarquer que cette revendication est tout à fait différente de celle dont on a témoigné la phase dite « d’influence de Nabih Berry » après Taëf. « Le président de l’Assemblée avait alors considéré que cette phase était celle des droits politiques chiites qu’il a voulu restituer à son mouvement Amal. » La problématique des armes du Hezbollah est-elle donc devenue un instrument d’échange « contre des acquis en termes de représentativité d’une opposition réformiste ou est-elle exclusivement dépendante de l’équation régionale ? Les deux en même temps », dira en substance l’expert. « Il faut se rappeler que jusqu’en 2005, les armes ne constituaient pas une véritable crainte dans le pays et que personne ne considérait alors celles-ci comme une menace face aux autres communautés. Ce qui s’est passé au Liban par la suite est directement lié à la situation irakienne. » « Ainsi, dit-il, la crainte des armes a surgi avec la guerre d’Irak et l’effet boomerang qu’ont eu, parallèlement, la 1559 – soutenue internationalement par l’Occident – et le retrait syrien. Autant de facteurs qui ont abouti à une nouvelle équation régionale, sur fond de conflit sunnito-chiite déclaré et sanglant en Irak. La perception était que les chiites essayaient de monopoliser le pouvoir en Irak en marginalisant les sunnites, d’où la nécessité d’interdire aux premiers de continuer sur leur lancée. » « Ce climat a fini par attiser les craintes communautaires au Liban, ajoute le sociologue. Sur le plan interne, la question des armes des chiites doit être entendue sous l’angle d’une part de griefs socio-économiques des chiites et d’autre part à la lumière de la passivité historique de l’État par rapport à la question de la sécurité et de la défense des populations du Liban-Sud contre les agressions israéliennes. » Selon lui, seule une « politique de défense stratégique formulée à un niveau national et dans le cadre d’un partenariat politique global peut amener le Hezbollah à désarmer et à renoncer, en faveur de l’armée libanaise, à sa mission de résistance parallèle aux institutions de l’État ». D’où l’importance du protocole conclu entre le CPL et le Hezbollah qui, dit-il, est d’une « importance majeure, dans la mesure où c’est la première fois à travers l’histoire du Liban que l’on témoigne d’un pacte écrit entre deux communautés pour sceller une entente formelle entre elles, ce qui devrait servir à consolider la confiance et à rassurer les deux parties en présence ». C’est ce « précédent » qui devrait gouverner les relations futures entre toutes les communautés dans le cadre d’un dialogue rationalisé sur l’avenir du partage du pouvoir et la question majeure de la défense stratégique, conclut M. Atrissi. Je. J. PROCHAIN ARTICLE : Les avis de Ali Fayyad et d’Ahmad Beydoun
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