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Actualités - REPORTAGE

Conflits d’influence, course au pouvoir et partenariat tronqué à l’origine de l’impasse Sociologie de la crise libanaise : les communautés face à leurs démons Jeanine JALKH

On ne l’aura jamais assez répété au cours de ces derniers mois : le Liban est au bord du gouffre et court le risque de désintégration et de chaos. La théorie de la « guerre des autres » est d’autant plus justifiée de nos jours qu’elle se cristallise aujourd’hui autour du bras de fer que mènent les États-Unis et l’Iran par alliances interposées dans la région, entraînant dans son sillage les États tiers du monde arabe qui ont épousé l’un ou l’autre axe dans un jeu d’alliances géostratégique qui risque d’être explosif pour la région. Au Liban, si la théorie des influences et manipulations étrangères a de tout temps été vérifiée, il n’en est pas moins vrai qu’à travers l’histoire du pays, elle n’a cessé d’être validée par la présence de profonds clivages politico-communautaires qui n’ont jamais permis au tissu social libanais de s’harmoniser. S’agrégeant autour de causes extraterritoriales – la cause palestinienne, notamment, et, plus récemment, la guerre d’Irak dans sa dimension sunnito-chiite –, les différents groupes communautaires en présence n’ont jamais véritablement réussi à se fondre dans un État de droit qui puisse dépasser les allégeances féodales et confessionnelles ainsi que les divisions idéologiques et identitaires. Caractérisée, au cours de la guerre civile, par une ligne de démarcation divisant chrétiens et musulmans au sens large du terme, la fragmentation de la société libanaise est aujourd’hui principalement marquée par un renversement majeur d’alliances, les nouveaux alignements s’étant définis autour de deux variables majeures : la première, sunnito-chiite, la seconde idéologico-identitaire, reflétant les alignements des deux grands groupes politiques au Liban sur les deux axes en confrontation qui s’opposent sur la scène internationale, l’axe occidental et l’axe formé par les pays arabes de confrontation (la Syrie et l’Iran, essentiellement). Les nouvelles alliances récemment concoctées au pays du Cèdre se sont notamment définies en fonction des conflits géostratégiques qui agitent la région, soit la lutte larvée que mènent les régimes conservateurs sunnites, appuyés par l’Occident et les régimes révolutionnaires incarnés par l’Iran. Cependant, il faut savoir que les alliances des élites locales avec l’extérieur ont toujours existé à travers l’histoire. Elles sont mises en veilleuse lorsque le régime fonctionne et ressurgissent de manière flagrante lorsque le régime est en crise. Ces alliances, qui ont certes une composante idéologique, n’en sont pas moins, selon elle, un instrument de consolidation de chaque groupe politico-communautaire en place qui cherche à améliorer sa position en défendant ou en pourfendant des questions majeures telles que les résolutions onusiennes (1559, 1595, 1701, 1757, etc.), la participation au pouvoir, entendu par le Hezbollah notamment, en terme de « partenariat », la sempiternelle question des armes du parti chiite, celles détenues par les Palestiniens, la présidence de la République que chaque camp cherche à monopoliser, bref autant d’éléments locaux dont on retrouve des exemples, relativement similaires, à travers l’histoire. Les alignements stratégiques et la lutte pour le pouvoir ne peuvent expliquer à eux seuls les clivages qui ont achevé de morceler le tissu social libanais. Les facteurs socio-économiques, entendus en termes de disparité et de généralisation de la corruption, viennent se greffer sur la toile de fond, rendant ainsi plus complexe, et par conséquent plus explosive, la situation. Ils restent cependant primordiaux pour pouvoir mieux comprendre les rapports conflictuels et les tensions entre les différentes communautés libanaises. Des questions telles que le développement équitable, la reconstruction centralisée, la répartition des richesses, les classes sociales, mais aussi la vision culturelle et politique d’un Liban encore et toujours en voie de définition sont, une fois de plus, au cœur du débat identitaire. On ne saurait ainsi oublier les antagonismes des idées et des religions qui mettent face à face une vision laïque et une autre islamiste dans ses articulations aussi variées que divergentes que l’idéologie sunnite conservatrice voire fondamentaliste, et celle dont se prévaut un islamisme révolutionnaire d’inspiration perse. Au milieu de l’arène, les chrétiens, qui jadis détenaient les rênes du pouvoir, se retrouvent écartelés entre les deux grands pôles musulmans, après avoir perdu leur influence aussi bien sur la scène libanaise que sur la scène régionale. En bref, c’est un paysage aussi bigarré qu’éclectique qu’offre aujourd’hui le Liban dans lequel s’affrontent, au quotidien, les appétences de pouvoir, les intérêts économiques, les idéologies identitaires et les cultures religieuses. Quatre sociologues libanais (dont nous publions aujourd’hui l’avis de deux d’entre eux) passent à la loupe la mosaïque d’un pays qui risque de ne plus l’être. Fadia Kiwan, directrice de l’Institut de sciences politiques à l’USJ, et Talal Atrissi, professeur de sociologie à l’Université libanaise, nous présentent aujourd’hui une sociologie de la crise libanaise et nous montrent quelques pistes susceptibles de mener à un règlement, à court et à long terme, ce qui éviterait au pays le pire.
On ne l’aura jamais assez répété au cours de ces derniers mois : le Liban est au bord du gouffre et court le risque de désintégration et de chaos. La théorie de la « guerre des autres » est d’autant plus justifiée de nos jours qu’elle se cristallise aujourd’hui autour du bras de fer que mènent les États-Unis et l’Iran par alliances interposées dans la région,...