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Le Liban, miroir d’un Orient en pleine mutation

Alors que les Libanais tentent inlassablement, depuis plusieurs décennies et spécialement depuis 2005, d’éviter la mort qui les guette à chaque instant de leur vie quotidienne, le monde sort de sa léthargie et s’intéresse enfin à ce dossier brûlant, après trente ans d’une tutelle syrienne omnipotente et « internationalement consensuelle ». L’inquiétude, voire la compassion des décideurs régionaux et internationaux à l’égard de ce petit pays se multiplie aujourd’hui, mais leurs conseils et leurs soutiens, loin de résoudre les problèmes politiques internes, les exacerbent et continuent à bloquer les issues pouvant aboutir à une normalisation progressive des institutions de la République et à la restauration de la paix civile. Au-delà donc de ces attitudes, en apparence pleines de sollicitude, le « dépeçage » progressif et systématique depuis 1975 de toutes les constantes constitutionnelles de cette République amène le citoyen à se demander quel avenir réserve-t-on à l’État de 1943, bâti sur un modèle unique dans cet Orient monochrome et en proie à de profondes perturbations. Est-ce que tous les conseils, les réunions, les missions de bons offices, prodigués, tenus ou menés par les uns et les autres pour essayer d’arrêter l’évolution du mal qui détruit l’organisme national, réussiront à ramener à la sérénité et à la raison tous les acteurs de ce drame kafkaïen ? Le temps passant, les scénarios se répètent et se ressemblent presque à chaque étape de cette longue guerre libanaise, et le doute prend de plus en plus le dessus sur les certitudes, augmentant d’un cran la dépendance de la scène politique intérieure aux forces extérieures, régionales ou internationales. Dans ce jeu d’échecs, dont l’objectif est l’implantation d’une nouvelle géostratégie régionale, la force militaire et le pouvoir politique des décideurs font fi de l’histoire et de la géographie actuelles des peuples ; et encore moins du respect de leur indépendance, de leur souveraineté et de leurs libertés publiques et privées. La déstabilisation progressive et systématique des régimes en place, au travers d’une politique du « bâton et de la carotte », entraîne une usure irréversible de tous leurs verrous constitutionnels et l’adoption, bon gré mal gré, de modifications et d’amendements essentiels dans leur configuration nationale. Les exemples de cette vague de changements, qui secouent, transforment ou balaient certains régimes en place, sont nombreux. Le Liban,la Syrie, la Turquie, la Palestine, la Jordanie, l’Irak, l’Iran, l’Égypte, le Soudan, la Libye, etc. en sont des illustrations vivantes. De ce grand puzzle doit en effet jaillir un nouveau projet régional, comprenant principalement deux objectifs essentiels : d’une part, l’aménagement d’un territoire définitif pour Israël et son insertion dans cette géographie du monde et, d’autre part, la mainmise de son parrain et allié, à savoir les USA, sur toutes les sources d’approvisionnement et de distribution des ressources énergétiques dans certains de ces pays. Dans le tourbillon de tous ces défis stratégiques, le Liban traverse une étape cruciale de son existence et la communauté internationale « gesticule » beaucoup, mais conclut peu, pour ne pas dire pas du tout. Son leitmotiv, face à ce « ratissage » engagé par les décideurs et les différents acteurs régionaux à l’encontre de certains pays de la région, dont le Liban, consiste à répéter implacablement le dicton populaire : « Aide-toi, le ciel t’aidera », comme pour se justifier de ne pouvoir ou ne vouloir rien faire pour résoudre la situation sur le terrain. Cette attitude décevante ne doit toutefois pas autoriser certains responsables politiques libanais à provoquer l’effondrement et l’anéantissement d’une cohésion nationale construite non sans difficultés, depuis 1943, autour de constantes constitutionnelles et républicaines. Ils se doivent même d’agir librement et consciencieusement afin d’éviter toute aliénation, directe ou indirecte, de la nation à des intérêts étrangers, pouvant entraîner des ingérences dévastatrices, voire fatales, pour sa perduration, sinon ils risqueraient un jugement du peuple sans recours, pour haute trahison. Le Liban appartient, en effet, à une géographie et à une histoire qui ont profondément marqué ses habitants à travers les siècles. Ces derniers représentent depuis l’aube des temps le prototype même du citoyen de ce nouveau monde globalisé, très en vogue aujourd’hui. Resté, malgré ses pérégrinations planétaires, profondément attaché à ses racines et à son identité nationale, le Libanais revient au pays contre vents et marées, et n’hésite pas à s’y réinstaller à la première éclaircie politique. Cet attachement est viscéral. Rien ni personne ne réussira à l’en éloigner. L’Occident devrait s’en rappeler et protéger cette terre message de tolérance, de liberté, de cohabitation pluricommunautaire et pluriculturelle, et de grande démocratie. Après ce rappel indispensable de certaines vérités sur le terrain et au moment où l’Occident pousse l’Orient à opérer rapidement des mutations structurelles essentielles, tous les pays de la région subissent les vagues de ce grand tsunami géopolitique. L’inquiétude d’un enlisement dans les sables mouvants de la région est réelle. Le Liban, qui est certainement une composante de cet Orient, s’en distingue quand même de par son contexte socioculturel et peut être considéré comme une « exception nécessaire ». Au-delà donc de ses intérêts stratégiques du moment, l’Occident se doit de l’abriter et de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires et utiles pour sauvegarder l’unité nationale de ce petit pays, en y consolidant ses structures constitutionnelles et en arrêtant de transformer son territoire en une terre brûlée et une place ouverte pour le règlement des crises qui secouent ses riverains. Il doit par ailleurs rester vigilant quant à l’application et au respect des décisions internationales prises ces deux dernières années pour mettre de l’ordre dans les affaires nationales et internationales de ce pays et veiller spécialement à l’exécution par la Syrie, dans les délais impartis, du volet relatif à la délimitation des frontières et à l’établissement de relations diplomatiques avec Beyrouth, sans hésiter à demander aux pays membres de l’Organisation des Nations unies la suspension de Damas en cas de retard ou de refus d’obtempérer à ces décisions. Ces initiatives réalisées, le Liban recouvrerait alors sa véritable indépendance et pourrait bénéficier, au moins en droit international, de garanties sérieuses face à un pays frère « envahissant et insatiable ». Elles favoriseraient par ailleurs la consécration d’une paix régionale tant attendue, une meilleure gestion de l’ordre mondial et l’épanouissement d’un espace méditerranéen plus homogène et en meilleure harmonie avec l’Occident. En conclusion et à l’adresse des décideurs occidentaux actuels, voici ces quelques réflexions du président Charles Hélou, en 1993, parues dans ses Mémoires (tome 5), sous le titre « L’Orient avec ou sans le Liban ? » et dont le contexte de l’époque était la tournée que devait entreprendre M. Warren Christopher au Moyen-Orient, quand il s’était abstenu de passer par le Liban pour des raisons de sécurité. L’ancien chef d’État écrit alors, non sans amertume, les lignes suivantes : «… Mais s’il n’y a plus assez de Christopher pour le Liban, il est juste d’ajouter que pour ses collègues et ses compatriotes, il n’y a plus assez de Liban pour l’Amérique. « Nous savons quelles exceptionnelles mesures de sécurité nous lui devons… Mais nous nous demandons si l’insécurité sur le territoire libanais, notamment au Liban-Sud, n’est pas le fait (ou la faute) de l’Administration américaine, sous tout régime républicain ou démocrate. « (…) Que les gens, de part et d’autre, cherchent un surcroît de paix ou une confirmation de la paix, c’est bien naturel. Mais que ce soit le Liban, seul, qui soit obligé de subir la guerre, c’est abusif, c’est même monstrueux. C’est bien par le Liban, le plus méritant de tous les États et où tous les combattants arabes, iraniens et israéliens sont massés, qu’il fallait commencer. « (…) Si nous n’avons pas d’écrit personnel de MM. Bush et Clinton, nous avons au moins le texte des résolutions de l’ONU : la résolution 425, puis la résolution 799. Chiffons de papier ? « Quel nom pouvons-nous donner aux résolutions de l’ONU et à l’ONU elle-même ? « Ce sont là des jeux de princes », disait le poète. « Mais le prince Bush (père), le prince Clinton feignent de ne pas jouer. Le Liban, dont la civilisation était déjà bien avancée quand les navigateurs génois, espagnols et portugais ont par hasard découvert l’Amérique, ne sera pas indéfiniment humilié. « Un jour pourra montrer combien l’exemple et le concours du Liban (si on le laisse vivre) étaient et restent nécessaires à la paix du Moyen-Orient ». Il faut quand même reconnaître au président George W. Bush d’avoir évolué dans le sens souhaité par Charles Hélou, dans la forme en tout cas et, en partie, dans le fond. Plaise à ses successeurs qu’ils tiennent les engagements de l’actuelle Administration américaine vis-à-vis du Liban, d’ailleurs maintes fois rappelés, à tous les niveaux de sa pyramide. C’est alors que notre pays pourra retrouver son rôle sur la scène régionale et, plus qu’un miroir de l’Orient, il redeviendra un phare qui attirera à lui tous ceux qui sont à la recherche de paix, de vérité, de liberté, de démocratie et d’hospitalité. Salim F. DAHDAH Conseiller en stratégie et en relations publiques


Alors que les Libanais tentent inlassablement, depuis plusieurs décennies et spécialement depuis 2005, d’éviter la mort qui les guette à chaque instant de leur vie quotidienne, le monde sort de sa léthargie et s’intéresse enfin à ce dossier brûlant, après trente ans d’une tutelle syrienne omnipotente et « internationalement consensuelle ». L’inquiétude, voire la compassion...