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Actualités - OPINION

Faut-il se battre pour s’acquitter de ses taxes ?

Il faut payer la vignette auto. Comme je ne possède pas un bolide dernier cri, il faut passer à l’inspection. D’habitude, le processus est fluide, et si la voiture est en bon état de marche, on obtient une attestation qui permet d’acquitter la taxe due à l’État. Actuellement, on peut payer cette taxe au guichet de n’importe quelle banque. Ces deux étapes ne sont pas compliquées outre mesure parce qu’elles se font auprès de deux établissements privés. Mais le suspense intervient dès lors qu’il s’agit d’entrer en contact avec l’Administration. Je suis arrivé à 15h aux gros hangars de l’inspection à Hadeth. Une note collée à la porte d’entrée rappelle aux « honorables citoyens » de se munir d’une attestation de domicile délivrée par le maire du quartier. Comme j’habite un peu loin de Hadeth, et comme l’inspection s’arrête à 16h30, je décide de courir ma chance et d’aller trouver « le maire du quartier » pour le décider à faire une dérogation en ma faveur. – « Mais bien sûr que vous pouvez, Monsieur le Maire, puisque je vous dis que j’habite dans le Grand Beyrouth... » Dans les pays policés, une facture d’eau, d’électricité ou de téléphone équivaut à une attestation de domicile. Mais au Liban, beaucoup de nos concitoyens disposent de ces services-là sans acquitter la taxe afférente. C’est la raison pour laquelle il faut recourir au maire. J’étais tombé sur une personne compréhensive, et, muni de l’attestation, je me présente à temps à l’inspection. Ma voiture est en bon état et on me délivre le certificat. Cette nuit du jeudi au vendredi, j’ai dormi à poings fermés, satisfait d’avoir échappé à une surtaxe. Ouf ! Et je pris la bonne résolution de m’y prendre l’année prochaine à l’avance, au cas où je n’aurais pas émigré d’ici là. Malheureusement, je n’étais pas encore sorti de l’auberge. Cette année, le dernier jour de l’an tombe un dimanche. Les banques ferment le dernier jour ouvrable de l’année. Donc samedi. Mais le samedi 30 décembre 2006 est un jour férié, c’est la fête de l’Adha. Quelle malchance pour moi ! Je me suis cassé le nez devant un guichet fermé. Pourtant, à l’intérieur, ça grouillait de monde. Je collais le nez contre la vitre implorant un regard. Rien à faire. Je réalisai alors l’amère vérité : pour éviter des pénalités il fallait se rendre à la Néfaa. Mais savez-vous seulement ce que c’est que la Néfaa ? C’est un adjectif arabe au féminin. Ça veut dire « celle qui sert à quelque chose ». C’est là qu’on effectue toutes les procédures légales concernant les voitures. Par plaisanterie, on a l’habitude de dire « mich néfaa la chi » : celle qui ne sert à rien... Je suis arrivé à 10h. Mis à part le fait que c’est le dernier jour ouvrable de cette merveilleuse année 2006, vendredi est aussi un jour de prière. Entendez : les administrations publiques ferment tôt. Un simsâr (courtier) m’arrête : – « Qu’est-ce que tu as à faire ? Chou 3indak ? – La mécanique. – Trop de monde là-haut. Fais voir un peu. – Merci bien, je vais me débrouiller. » Je connais les courtiers et leurs tactiques. Ça ment à tout va. J’avais remarqué hier qu’il n’y avait pas vraiment beaucoup de monde à l’inspection, et il ne devrait donc pas y en avoir davantage ici aujourd’hui. Je cours là-haut et je suis détrompé aussitôt. L’étage est bourré de monde. On fume, on crie, on s’interpelle, on jure. Mais bon, il faut y aller. Je croise un préposé tenant à bout de bras un paquet de formulaires. Vu son air affairé il devait bien s’y connaître. Je le hèle et lui demande par où il faudrait commencer ? Il jette un coup d’œil sur mes papiers, et il m’explique que je dois d’abord m’orienter vers le guichet qui porte le numéro qui correspond au dernier chiffre de ma plaque d’immatriculation. Ce soupçon d’organisation m’encourage. Ce n’est peut-être pas aussi désespéré que ça. Il y a deux ou trois personnes devant moi au guichet n° 4. Merci mon Dieu ! Ça va sûrement aller vite ! Il est à peine 10h10 et j’en aurais bientôt terminé. Bien sûr, il n’en est rien. Le préposé du guichet n° 4 est une sorte d’automate. Ni bonjour ni au revoir. Il ne vous regarde même pas. En deux coups de tampon, il me délivre un bon de paiement qu’il faut aller régler à la caisse. Combien de caisses y a-t-il ? Deux, trois, quatre ? En tout cas ce n’est pas assez pour les quelque cinq cents personnes venues ce matin pour renflouer les caisses de l’État. N’allez pas croire que tout ce monde se met en rang. Ici, derrière, peut-être. Mais loin devant, on dirait des fourmis grouillant sur un bout de charogne. Et encore ! Les fourmis sont peut-être mieux organisées. Là, c’est plutôt une sorte de boule humaine, avec des mains brandies et dirigées vers une petite ouverture dans une vitre. Et quel chahut ! Un daraké (policier) est suspendu d’une main aux barreaux métalliques de protection et hurle à tue-tête : « La wara ! En arrière ! Bid dôr ! À tour de rôle ! » Et comme la main droite n’est pas censée savoir ce que fait la main gauche, il transmet au caissier par-dessus nos têtes tout un paquet de bons de paiement qu’un courtier vient d’apporter. À ceux du premier rang, il fait un clin d’œil : « Ceux-là, voyez-vous, sont urgents. » Vingt minutes plus tard, je suis toujours à la même place. Dépité, je sors du rang et m’en vais retrouver le simsâr de tout à l’heure. Il est en train de siroter un café. Il m’aperçoit et tend vers moi une tasse en signe d’invitation. Il va doubler son prix, me dis-je, parce que je suis revenu. Et si je prends un café avec lui, c’en est fait de moi, je serai pillé. «Non merci », dis-je. Nous passons aux affaires. Je dois acquitter en principe 142 000 livres, taxe et timbre compris. Le brave homme fait rapidement son calcul : « Va, donne-moi 200 000. La ilak, pour toi, ce sera seulement 200 000. » C’est l’usage au Liban : la subordonnée de la ilak est toujours une arnaque. De toute façon, je n’ai pas la somme. Voyant ma mine défaite, il me donne un bon conseil : « Allez voir au rez-de-chaussée, à la caisse des transports en commun. Il y a là peut-être moins de monde. » Il disait vrai. Mais qui connaît les chauffeurs de taxi-service sait bien que là on fume encore plus, on crie encore plus, on gesticule encore plus, on triche encore plus et on jure encore plus. Tout comme au premier étage, il y a là aussi un gendarme qui répète à tue-tête : « Chacun à son tour. » Il ne fait rien d’autre et ces mots magiques n’ont aucun effet. On m’a marché sur les pieds. On m’a piqué mon tour, à deux, trois et quatre reprises. On a passé des bons de paiement urgents par-dessus ma tête. On m’a pris pour un idiot et on s’est fait des clins d’œil sous mon nez. On m’a poussé, étouffé, écrasé. Oui, mais à 13h, j’avais pu acquitter mon dû à l’État. Il a fallu se battre pour payer. Trois heures de supplice pour obtenir finalement un reçu au format A4 de couleur verte, et un petit bout de papier adhésif, carré (ou presque), d’une esthétique douteuse, arborant le millésime 2006 en son centre (ou presque) et en gras. Les Libanais doutent depuis combien ? Dix ans ? Vingt ans ? qu’ils ont une patrie. Mais ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que nous n’avons pas de pays. Élias ABI-AAD Un citoyen écœuré

Il faut payer la vignette auto. Comme je ne possède pas un bolide dernier cri, il faut passer à l’inspection. D’habitude, le processus est fluide, et si la voiture est en bon état de marche, on obtient une attestation qui permet d’acquitter la taxe due à l’État. Actuellement, on peut payer cette taxe au guichet de n’importe quelle banque. Ces deux étapes ne sont pas...