Ceinture de sécurité

Le premier qui parviendrait à faire breveter une ceinture de sécurité buccale destinée à atténuer l’effet des âneries politiciennes est certain de faire fortune dans la semaine qui suit. Rendez-vous compte du vocabulaire des hommes politiques chrétiens. Commençons par la trouvaille du jeune Nordique qui, il y a quelques mois à peine, prêtait au patriarche maronite des intentions d’une obscénité que je ne saurais reproduire. La mise au point de son « bureau de presse », probablement composé de quelques conseillers ayant, eux, passé leur brevet d’études, expliquait d’une manière ô combien convaincante que les propos en question n’avaient qu’une portée politique. Pour certains, la politique est placée bien bas… Le général-président, de son côté, n’est pas en reste : rappelez-vous, au printemps 2006, il avait accusé les États-Unis et la France d’agir au Liban comme le faisait la Syrie avant le retrait de son armée. Je vous assure, il l’a bien dit ! Bien entendu, Rafic Chélala, chevalier de la Légion des réparateurs de bourdes, avait dû, comme à l’accoutumée, façonner un passionnant communiqué expliquant que le président ne visait que Abdel-Halim Khaddam et Ghazi Kanaan, suicidé peu avant par une balle tirée à bout portant. Vous me direz que plus personne n’écoute les communiqués présidentiels. Sans doute, mais ils sont certainement consignés dans les archives et, pour les générations de futurs historiens, je n’ose pas imaginer l’effet. Côté 14 Mars, la situation est à peine moins dramatique. Un médecin inachevé, du haut de sa montagne, suit minutieusement le dossier iranien, la crise des missiles américano-russes, l’évolution des cours du pétrole et la sempiternelle « wilayet el-faqih », mais n’a pas fini de potasser son manuel de grammaire élémentaire de la classe de 6e. Il se rabat donc dans ses discours sur l’arabe parlé, agrémenté de traits d’esprit et d’expressions si authentiques qu’ils sentent le terroir à plein nez. À chaque fois, le manant naïf que je suis espère qu’ils ont atteint le fond. Mais à tous les coups, il y en a un qui n’hésite pas à creuser davantage. Le dernier à avoir effectué un grand bond en direction du grotesque a parlé, ou plutôt vociféré. Ce fut le coup de la ceinture. En fait, ça lui a échappé. La ceinture fut le premier objet à lui traverser les méninges. Je n’ose pas imaginer les débats gouvernementaux s’il accédait un jour à la magistrature suprême. C’est d’une ceinture de chasteté qu’il faudra équiper les ministres. Pauvres chrétiens ! Voici ceux qui luttent pour rétablir vos prérogatives. Soyez fiers, vous êtes les héritiers de 6 000 ans de civilisation, le Liban est la Suisse de l’Orient et la « nahda » n’aurait pas eu lieu sans l’apport de vos ancêtres. Ceux-là mêmes qui se retournent jour et nuit dans leur tombe, en refusant de croire que nous sommes bien leurs pitoyables descendants. Edmond CHIDIAC