L’exemple de la Suisse

Ce que plusieurs gens ignorent probablement de l’histoire de la Suisse, c’est que jusqu’au milieu du XIXe siècle, elle ressemblait fort à ce qu’est le Liban aujourd’hui : petit pays divisé en plusieurs cantons, tantôt déchiré par les guerres de religions (Kappel 1531, Villmergen 1656, 1712), tantôt annexé par une grande puissance (France 1798), tantôt uni, tantôt effrité, secoué par d’incessants troubles intérieurs, guerres entre familles féodales, corruption, révoltes, etc. Bref, un tableau que nous connaissons très bien. Ce n’est qu’avec l’adoption d’une Constitution fédérale en 1848 (puis consolidée en 1874) que la Suisse a connu une paix durable et une prospérité légendaire. La première chose que nous pouvons apprendre de cet exemple suisse, c’est d’abord qu’il ne faut pas avoir peur d’un système administratif fédéral : cela ne va pas accentuer les divisions dans le pays, comme l’affirment certains. Bien au contraire, cela permettra à tous ces « cantons » implicites, dont les différences à plus d’un niveau sont finalement indéniables, à mieux fonctionner comme un tout. C’est le schéma constitutionnel qui a le plus de chances d’épouser la complexité du tissu géographique libanais : une loi juste et démocratique pour tous et qui respecte en même temps les spécificités culturelles et sociales de chaque région, si petite soit-elle. Tenter d’homogénéiser artificiellement la mosaïque libanaise, composée de minorités toutes différentes, ne peut qu’échouer lamentablement, comme nous l’a prouvé (et nous le prouve toujours) l’histoire. La deuxième chose à retenir, c’est la neutralité dans la politique extérieure. Conséquence logique de la diversité sociale et religieuse qui constitue notre pays, la neutralité est le seul compromis possible entre deux clans tirant dans deux directions opposées. Cela est d’autant plus une solution adéquate qu’elle correspond au caractère traditionnellement conciliateur et pacifique de l’État libanais, attribut indissociable de sa réussite financière dans les domaines du commerce, du tourisme, des services, tous les secteurs qui font le point fort de son économie, notamment à son « âge d’or », dans les années 60. En outre, dans le contexte géopolitique tendu du Moyen-Orient, entre Israël, la Syrie, la Palestine, l’Iran, l’impartialité représente notre seule planche de salut, car tirer avec l’une ou l’autre de ces parties entraînerait immanquablement l’extension de ce conflit sur notre sol, erreur que nous avons déjà commise. Or nous avons suffisamment hébergé les guerres des autres chez nous ; maintenant nous n’en voulons plus. Nous voulons autre chose... Maroun RACHED