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Actualités - CHRONOLOGIE

FESTIVAL OFF D’AVIGNON - « Le jour où Nina Simone a cessé de chanter » de Darina el-Joundi, une coproduction avec le Théâtre des Halles à Avignon La liberté en héritage... AVIGNON, d’Aline GEMAYEL

Une petite chapelle à la pierre blanche voûtée, pour unique décor. Une femme est assise à même le sol. Elle a le sourire aux lèvres. Sa silhouette juvénile est moulée dans une robe écarlate. Elle est pieds nus. Décors et costumes à minima. L’essentiel est ailleurs. Dans le récit. Celui d’une femme bafouée, trahie, violentée mais plus que jamais en vie et en lutte pour préserver sa liberté. Un texte autobiographique écrit et interprété par Darina el-Joundi, dans une mise en scène d’Alain Timar, directeur du lieu qui accueille la pièce. «Je ne vous attendais plus », lance Noure à la salle, à peine les portes fermées. Les lumières s’éteignent, le silence s’installe. « Mon père est mort le jour où il a compris que je n’avais plus d’histoires à lui raconter. Je suis devant sa dépouille. » Ainsi commence le récit de Noure (Darina el-Joundi). Elle va y dérouler, pendant une heure et 15 minutes, des tableaux forts, drôles, insolents, poignants. Les séquences d’une vie qui s’est offert un unique fil conducteur : une inconditionnelle liberté. S’y côtoient ainsi des moments de complicité avec son père adoré ; des tranches de vie brisée par la guerre, l’alcool et les drogues ; des cris de révolte contre ce père qui ne peut plus la protéger ; des sursauts de peur face à la violence dont elle fait l’objet... Les épisodes se succèdent en flashs. Des extraits de Sinnerman de Nina Simone jouent les intermèdes entre chaque tranche de récit. Une voix éraillée sur une musique violemment jazzy. Une pause salutaire autant pour la comédienne sur scène que pour les spectateurs. C’est sur un ton tendre amer que Noure commence son récit : sa naissance, son enfance et déjà ce lien d’amour/protection qui la lie à son géniteur. Elle raconte les combats et les désillusions de cet homme de lettres pétri de culture universelle et de liberté. La dérision dans le ton donne toute sa profondeur à l’admiration amoureuse que la jeune femme porte à son père. Leur lien puise sa force dans les idées qu’il lui inculque, mais également dans des événements plus quotidiens, plus intimes : c’est avec son père que Noure choisit son premier soutien-gorge, c’est à lui qu’elle annonce ses premières règles... Mais c’est aussi à lui qu’elle parle de la vie brûlée qu’elle mène dans un Beyrouth déchiré par la guerre civile. Au fur et à mesure du récit, la tendre dérision cède le pas à la révolte, puis à la violence. La révolte contre le père, accusé d’avoir utilisé sa fille comme « une souris de laboratoire, un sujet d’expérimentation ». Accusé de l’avoir abandonnée à la violence qui s’est déchaînée contre elle. Une violence que Noure a subie dans sa chaire, dans son âme. « Le jour où Nina Simone a cessé de chanter », c’est le jour où le père de Darina el-Joundi est mort. C’est le jour où n’étant plus sous la protection de son père, elle s’est vue battue, « encamisolée de force » et enfermée chez les fous. Certains hommes de la famille s’étant arrogé le droit de remettre cette femme dans ce qu’ils estimaient être le droit chemin. C’est le jour où cette femme a compris que la liberté offerte par son père était un héritage lourd à porter, difficile à faire respecter. Un cadeau... empoisonné. Un texte autobiographique Le Théâtre des Halles est un des piliers de la scène avignonnaise. Pendant le Festival Off, il abrite deux lieux. La scène de 3m sur 3m où se déroule Le jour où Nina Simone a cessé de chanter est encastrée dans la très intimiste voûte de pierres blanches de la chapelle Sainte-Claire. Alain Timar, le directeur du lieu, et le metteur en scène de la pièce, « a reçu mon texte par Mohammad Kacimi », raconte l’auteure-comédienne. « Il a dès le début émis le désir de m’aider. Mais c’était à condition d’éviter une psychanalyse sauvage et de faire que le théâtre reprenne le dessus. » La mise en scène minimaliste d’Alain Timar offre à Darina el-Joundi une partition musicale dans laquelle le texte s’insert à la note près. Pour sa part, le texte autobiographique, écrit par Darina el-Joundi, a su éviter les écueils de la mièvrerie et du sentimentalisme. « L’écriture de ce texte a répondu à un besoin impératif », explique Darina el-Joundi. « Pour reprendre ma vie, il fallait que je l’évacue », assure-t-elle. « Tout cet enfer que j’ai vécu n’est pas négatif pour moi. J’ai même envie de remercier ceux qui ont provoqué tout cela », lance-t-elle comme une bravade. Pour Darina el-Joundi, c’est la présence du public qui donne sens à ce texte. Le public ne boude pas son plaisir : trois jours après la première, la salle qui compte une cinquantaine de places est comble. Pourtant la concurrence est dure : le Festival Off d’Avignon 2007 brasse plus de 900 pièces sur trois semaines. Ce récit, Darina el-Joundi l’a écrit très vite. Réfugiée à Paris et à peine remise de complications de santé, elle a craché le premier jet en trois jours. Elle l’a ensuite repris, puis arrangé avec l’aide de Mohammad Kacimi. « Grâce à lui, le texte a été théâtralisé. Nous l’avons sorti du cadre personnel pour en faire un texte de théâtre. » Travail doublement récompensé : le texte a reçu le prix d’aide à l’écriture du Centre national du théâtre (CNT) ; et il sera publié en janvier prochain aux éditions Actes Sud. Avec ce texte, Darina el-Joundi s’attaque pour la première fois à l’écriture. « En choisissant d’écrire en français, j’ai voulu ainsi dire aux Libanais que mon récit ne s’adressait pas à eux », explique-t-elle. Pour elle, ce qui est arrivé dans sa vie est une responsabilité collective, sur laquelle elle n’a pas prise. Mais c’est avant toute chose une responsabilité personnelle. « Je n’ai pas été assez consciente combien être moi-même pouvait être provocateur. Il fallait que je sois plus mature. Il fallait que je sois à la hauteur de l’éducation et de la culture que mon père m’avait inculquées. » Elle a eu l’audace de vouloir vivre sa vie. « Je savais que j’allais le payer très cher », dit-elle, ses yeux charbonneux plus brillants que jamais. « Mais pas autant », murmure-t-elle. Pardonner ? « J’ai pardonné à ceux qui m’ont offensée... mais j’ai ma liste », conclut-elle, mi-figue, mi-raisin.
Une petite chapelle à la pierre blanche voûtée, pour unique décor. Une femme est assise à même le sol. Elle a le sourire aux lèvres. Sa silhouette juvénile est moulée dans une robe écarlate. Elle est pieds nus. Décors et costumes à minima. L’essentiel est ailleurs. Dans le récit. Celui d’une femme bafouée, trahie, violentée mais plus que jamais en vie et en lutte...