EFFEUILLAGE L’ingrat

Je suis une énigme, personne ne me comprend. Il paraît que c’est naturel ; je suis adolescent. Mes parents m’ont élevé durant les premières années de ma vie. Mais depuis mes douze ans, ils ne m’élèvent plus ; ils me hissent ! Ils me hissent pour me faire grandir plus vite. Ils m’étirent comme un élastique et n’ont pas conscience du mal qu’ils font en croyant bien faire. Ils ont l’impression que je me désintéresse de mon avenir et voudraient se l’approprier. Ils ne me trouvent pas soucieux et le sont deux fois plus. Ils estiment que je ne travaille pas assez et me talonnent sans cesse… Je suis devenu une machine à produire et n’existe plus que par mon rendement. Ils se préoccupent bien plus de mes résultats scolaires que de mon bonheur. Ils ne comprennent pas qu’à mon âge, la notion de loisir devient primordiale ; j’ai besoin de tout ce qui est, à leurs yeux, superflu pour supporter la réalité et mon mal-être. Ils me reprochent de m’évader et de me révolter, de m’isoler et de rejeter le monde. Oui, je rejette ce monde où les adultes me regardent avec condescendance et avec la compassion bienveillante du savant pour l’idiot du village. Je rejette ce monde qui m’ignore : « Laissez-le donc, il est adolescent… Ne cherchez pas à comprendre. » En un mot comme en cent, je rejette ce monde qui me rejette ; il ne s’adapte pas à moi et attend que je grandisse, que je mûrisse et que je m’adapte à lui. Il attend… que jeunesse se passe… que sonne le glas de l’âge ingrat. Ingrat pour les autres, mais surtout pour moi ; si cette période de la vie est conflictuelle, je suis partout et toujours en première ligne. Mes parents prônent la modération en tout, modération qui offre une certaine sécurité mais transforme le rouge en un rose bien pâle. Ils dictent des règles et des interdits qui font que ce que l’on pense est moins que ce que l’on dit… Je devrais apprendre à faire des concessions, à me compromettre, à me trahir en renonçant à ce qui dans ma personnalité indispose, à être enfin moins entier ; et à courber l’échine pour entrer dans un moule comme un cheval dans un box. Lamia EL-SAAD