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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE Pour Mohammad Ali Chamseddine, « la poésie est un chant contre la peur »

Parler de poésie, c’est toucher aux frontières de l’insaisissable. C’est atteindre l’essence rare et le parfum secret, fluides fuyants et impalpables comme du mercure, pour dire, même en termes de lumière, l’incontournable d’une traversée humaine. Eh oui, c’est quoi la poésie ? Bien malin celui qui le dira, car l’interrogation reste entière, telle une énigme que nul n’élude, pour reprendre une heureuse formule rimbaldienne. Les tristes Cassandre qui annoncent depuis des lustres son déclin sont bien embarrassées devant ses éclats rougeoyants et surprenants. En toute franchise ou en teintes voilées, en un langage unique, la poésie dit ce que d’autres expressions ne peuvent traduire. Voyance, vision, fulgurance, jaillissement, états contemplatifs, retrait méditatif, images appartenant à d’autres mondes, murmures de l’esprit, cris du cœur, musicalité venue d’ailleurs, échos des siècles, île déserte, solitude commune, ténacité des rêves, amour des mots, fusion avec la pensée, passion d’écrire et de vaincre la grisaille et les illusions du quotidien ? Tout cela à la fois est la poésie, peut-être même plus, peut-être moins… Pour conjurer tous les malentendus et les malversations, pour avoir le cœur net, pour un besoin de transparence et de découverte, rencontre et discussions à bâtons rompus avec un poète. En l’occurrence, Mohammad Ali Chamseddine, pour qui, justement, la poésie est une source d’énergie, une compagne de longue date et une muse indéfectible. Le regard bleu de porcelaine, les cheveux sel et poivre, la voix bien posée, une tenue de haut fonctionnaire à la retraite ne sont que l’écran simple et tranquille de tous les jours pour atteindre la vraie personnalité, habitée de tous les aquilons de l’inspiration, de cet auteur profondément voué au monde du Parnasse. Né en 1932 à Beit Yahoun, au Liban-Sud, Mohammad Ali Chamseddine a grandi au sein d’une famille où culture et sens de la religion ont des fondements impérieux et humanistes. Plus d’une douzaine de recueils en langue arabe, entre métrique rigoureuse et audacieuse libération des contraintes de la prosodie classique. Des poèmes serrés, comme mailles bien tressées, sinueux et soyeux, se déroulent à tous vents comme un fanion triomphant. De la juridiction à la littérature arabe, en passant par un doctorat en histoire, il est évident que la connaissance est une soif inextinguible chez Mohammad Ali Chamseddine, marqué dès l’âge de quatorze ans par L’étranger de Camus et les écrits d’Abou Alaa al-Maarri. Se voulant libre de toute école, le verbe de Chamseddine va du côté aussi bien des strophes, des stances, des quatrains, des vers libres que de l’essai historique et des histoires pour enfants ! Premier sourire du poète en évoquant Alwan Toughanni (Des couleurs chantantes), pour confier : « Ces onze histoires, c’est pour mes enfants. C’est l’un de mes meilleurs écrits. » Si l’innocence de l’enfance révèle beaucoup de vérité, la poésie, dangereuse boule de cristal, n’enlève pas moins les masques de la vie, du pouvoir, des angoisses immémoriales. La modernité de la poésie de Chamseddine puise ses sources aux ancestrales valeurs culturelles arabes. C’est une poésie au lyrisme symboliste, usant en toute subtilité des masques et des interrogations existentielles. Interrogations autour de l’amour, de la mort, des éléments de la nature, de la patrie, de la religion et de la terre. Avec une retentissante succession d’images. L’invisible et l’imprévisible sont fouillés par un regard et une plume aux ardeurs inquiètes. Dans une langue arabe splendide, à la fois maîtrisée et savante, dépourvue d’artifices ou de sophistication, Chamseddine se laisse aller à un premier jet. « Il est vrai que la langue est la maison de la poésie », dit-il, et de continuer : « Je suis un poète qui montre des images. Et tout est porté par une musique qui vient naturellement…Un travail de création latente, telle cette goutte d’eau qui a pour arrière-fond un océan… Farid al-Attar disait : “Le poème et l’amour sont des folies dans le cœur ”. Et le poème est toujours une part de folie de soi et j’écris comme cela. Si ma poésie est un signe à la part d’ombre de chacun d’entre nous, c’est aussi un chant contre la peur. J’étais le cheikh du groupe des poètes du Sud (Hassan Abdallah, Élias Lahoud, Chawki Bzaa, Jawdat Fakhreddine), mais par-delà la volonté de dire ce qui est commun, je me définis plus volontiers comme un poète de la dualité ; dire une chose et son contraire, ainsi l’amour est accompagné de la mort ! Je commence par les sens et je finis par l’absence ! On sait combien un poète est narcisse, mais on revient à la formule consacrée, “Je est un autre”. Par conséquent, ce n’est pas moi qui ai choisi d’écrire. “L’autre” a décidé que je sois poète. Et c’est toujours le poème qui “m’écrit” si je puis m’exprimer ainsi »… Extrait Je mourrais seul en ce monde « Je mourrais seul en ce monde Sur un tapis de comètes perdues Comme un naufragé dans une mer Sans un radeau, sans un navire Et je me pose la question : Écrire ou ne pas écrire ? Tant que le premier livre de Dieu Est gardé sur une stèle sacrée Qui peut bien écrire une seule lettre Ou l’effacer ? L’éternité aurait inscrit Que les mots n’y ont pas éclos dedans. » Quelques œuvres bibliographiques : 1975 - Kassaed Mouharrabat ila assia 1981-Al-chawkat al-banafssajyaat 1992 - Amiral al-touyour 2004 - Mamalek allya 2005 - Chiraziaat -Al-Issalah al-Hadee. Edgar DAVIDIAN



Parler de poésie, c’est toucher aux frontières de l’insaisissable. C’est atteindre l’essence rare et le parfum secret, fluides fuyants et impalpables comme du mercure, pour dire, même en termes de lumière, l’incontournable d’une traversée humaine. Eh oui, c’est quoi la poésie ? Bien malin celui qui le dira, car l’interrogation reste entière, telle une...