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Actualités - OPINION

Commentaire Les travailleurs-esclaves chinois

Par Ma Jian* Quand a éclaté le scandale des travailleurs-esclaves au sein d’une entreprise d’État qui fabrique des briques dans le district de Hongdong (province du Shanx), un célèbre épisode d’un opéra de Pékin m’est revenu en mémoire. Une prostituée condamnée à mort, Su San, demande pitié à des passants indifférents, alors qu’on la promène enchaînée le long des routes du Hongdong. Sur mon ordinateur, lorsque je clique sur le site officiel de ce district, je ne vois aucune mention des travailleurs-esclaves, dont beaucoup d’enfants. On ne trouve que des présentateurs de la télévision nationale qui montrent les visages souriants des gens qui reviennent à Hongdong pour retrouver leurs racines et rendre hommage à leurs ancêtres. Ils évoquent aussi la visite de hauts responsables politiques. Sans la lettre de 400 pères réclamant que l’on vienne à l’aide de leurs enfants kidnappés et vendus comme esclaves, Hongdong serait resté une destination touristique courue pour les Chinois à la recherche de leurs racines. Conséquence de l’affaire des esclaves de la briqueterie et des informations concernant un enfant-esclave enterré vivant et de travailleurs migrants tués, le nom de Hongdong est devenu synonyme d’infamie. Pourtant, malgré le scandale, dans d’autres provinces, les enlèvements de travailleurs migrants et d’écoliers en uniforme contraints de travailler dans d’ignobles usines de briques ou dans des mines de charbon continuent toujours. Les filles sont contraintes à la prostitution pour cinq dollars la passe. Les 400 pères de famille des enfants-esclaves peuvent bien se demander où se trouve le respect de la vie dans la soi-disant « société harmonieuse » du président Hu Jintao. Combien d’enfants-esclaves notre système socialo-capitaliste va-t-il encore produire ? Qui est responsable de ces crimes ? Ces hommes sont inquiets et ne demandent que le retour de leurs enfants, mais le gouvernement les considère avec suspicion. Ils ne peuvent exiger davantage, et n’ont droit à aucun dédommagement, car les patrons de l’usine ont payé 400 yuans (40 euros) pour chaque enfant. Leur droit de propriété est donc en jeu. La société chinoise est pourrie jusqu’à la racine. Car l’esclavage ne se limite pas aux briqueteries du Hongdong. On trouve des situations analogues partout dans le pays. C’est d’autant plus grave que les autorités, notamment la police, protègent ce trafic. Il y a quatre ans, un étudiant, Sun Zhigang, a été arrêté alors qu’il marchait dans les rues de Canton. Il a été par la suite battu à mort dans un centre de détention. Cette affaire a montré à quel point la police participait à un trafic destiné à transformer des Chinois ordinaires en esclaves. La couverture médiatique de cette affaire a provoqué une vague d’indignation dans l’opinion publique. Mais il n’y a eu aucun véritable changement. Le trafic d’êtres humains est passé de la police aux agences de recrutement de travailleurs et au ministère du Travail. Parmi les pires trafiquants d’êtres humains, on trouve de hauts fonctionnaires. Et le plus terrible est que beaucoup d’enfants-esclaves, une fois secourus, sont revendus par ces derniers à une autre usine. Il y a sept ans, un député du Hunan est allé dans le Shanxi au secours de travailleurs-esclaves dans une briqueterie. Quant il est arrivé, ils se sont mis à genoux et ont pleuré. Heureusement, ils n’avaient pas été frappés ou enterrés vivant pour ne pas avoir été à leur poste à l’heure dite, comme cela s’est produit pour d’autres. Aujourd’hui, ce député ne pourrait sauver le moindre travailleur, car le gouvernement local et la police savent maintenant comment se débarrasser des curieux. Il y a plus de 1 000 briqueteries et mines de charbon en Chine, et presque toutes sont sous la protection de responsables politiques corrompus. Hu Wenhai, un homme courageux du Shanxi qui avait tué deux fonctionnaires corrompus, a prononcé quelques mots avant d’être exécuté : « Les responsables politiques forcent les gens à se rebeller. Je ne peux laisser ces trous du cul écraser le peuple plus longtemps. Je sais que je vais mourir, mais ma mort attirera leur attention. » Aussi, pour éviter que la rage n’éclate à l’annonce de l’existence d’enfants-esclaves dans les usines, le gouvernement censure les médias et met les 400 parents des enfants de Hongdong sur une liste noire. Ils ne peuvent quitter leur domicile pour aller à la recherche de leurs enfants. Aujourd’hui, tout se passe comme si la tâche quotidienne du gouvernement était d’empêcher les gens de se protéger eux-mêmes ainsi que leur famille, pour dissimuler les crimes qui surviennent dans la « société harmonieuse ». Le socialisme de Mao Tsé Toung a été remplacé par un credo des plus cyniques. Une grande partie du développement économique du pays est dirigé par le crime organisé. L’ancien paradis des pauvres est devenu pour eux un enfer. Quant aux responsables corrompus, vous pouvez être sûr qu’à la même époque l’année prochaine, ils rendront hommage à leurs ancêtres en foulant la terre dans laquelle des enfants-esclaves ont été enterrés vivants pour avoir osé proclamer leur humanité. * Ma Jian a écrit The Noodlemaker (Le Fabricant de nouilles) et Red Dust (Poussière rouge). © Project Syndicate, 2007. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
Par Ma Jian*

Quand a éclaté le scandale des travailleurs-esclaves au sein d’une entreprise d’État qui fabrique des briques dans le district de Hongdong (province du Shanx), un célèbre épisode d’un opéra de Pékin m’est revenu en mémoire. Une prostituée condamnée à mort, Su San, demande pitié à des passants indifférents, alors qu’on la promène enchaînée le...