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Actualités - OPINION

Perspective Entre slogan trompeur et troisième voie Michel TOUMA

Dans une interview télévisée à la fin de la semaine dernière, le député Farid el-Khazen se livrait à une argumentation en apparence rationnelle pour tenter d’expliquer pourquoi à son avis un « gouvernement d’union nationale » est la seule issue possible à la crise actuelle. L’opposition fait de ce slogan, en tous points trompeur, un véritable leitmotiv et se livre même à un véritable chantage, brandissant la menace d’un « second cabinet » au cas où le gouvernement d’union ne verrait pas le jour. Le détail que Farid el-Khazen, et d’une manière générale le 8 Mars, omet de rappeler, c’est que nous sommes à trois mois de l’échéance présidentielle. Ce que l’opposition n’a jamais expliqué d’une manière suffisamment franche et convaincante, c’est pourquoi il est tellement urgent de se lancer dans un processus de mise sur pied d’une nouvelle équipe ministérielle qui, d’après les termes de la Constitution, doit forcément céder la place dans quelques petites semaines à un nouveau gouvernement après l’élection présidentielle. L’explication d’un tel empressement est pourtant claire. Elle fait l’objet de temps en temps de timides insinuations, notamment de la part du général Émile Lahoud. Dans son interview à L’Orient-Le Jour, publiée dans notre édition de samedi, le professeur Jean Salem – dont la notoriété en tant que constitutionnaliste est reconnue de tous – a dénoncé le « coup d’État rampant » auquel se livre le Hezbollah, d’une manière insidieuse. C’est ce que Farid el-Khazen (et avec lui les ex-« purs et durs » de ce que fut l’opposition chrétienne du temps de l’occupation syrienne) n’a pas eu l’honnêteté intellectuelle de relever. Le schéma est pourtant clair : le Hezbollah, en lieu et place de l’axe irano-syrien (est-il encore nécessaire de le démontrer ?), cherche depuis l’an dernier, et par tous les moyens, à se débarrasser du seul gouvernement souverainiste de ces vingt dernières années afin de le remplacer par un nouveau cabinet qu’il serait en mesure de contrôler indirectement en le paralysant à tout moment avec ses alliés conjoncturels (dont notamment le CPL) par le biais du tiers de blocage. La manœuvre est habile et consiste à placer le pays devant la situation suivante : lorsque sonnera l’heure de l’élection présidentielle, le Hezbollah et ses alliés s’emploieront à vouloir imposer le président de leur choix ; s’ils n’y parviennent pas, ils saboteront l’élection présidentielle (en provoquant un défaut de quorum) de manière à ce que les prérogatives du président de la République soient assumées non plus par le cabinet actuel de Fouad Siniora (jugé trop souverainiste), mais par un gouvernement au sein duquel ils seront en mesure d’imposer leur diktat ou, à défaut, d’en paralyser l’action. Ils auront ainsi totalement contrôlé aussi bien l’Exécutif que la présidence de la République (par défaut). Quant à la seule institution constitutionnelle que le Hezbollah ne contrôle pas, le Parlement, la solution est simple : on la « ferme », on la verrouille, et on confisque la clé à Aïn el-Tiné, comme c’est le cas depuis plus d’un an… Ou on attend que les assassinats fassent basculer progressivement la majorité dans le camp prosyrien, quitte à cette fin à bâillonner l’électorat en faisant obstruction à des élections partielles. La boucle serait ainsi soigneusement fermée et le « coup d’État » rampant irrémédiablement parachevé. À ce scénario, bien réel, le député Farid el-Khazen répond que le CPL n’a nullement l’intention d’être associé au gouvernement pour en paralyser l’action ou contribuer à son torpillage, et qu’en tout état de cause, il serait inconcevable et contre-productif de manifester un manque de confiance envers le général Michel Aoun ou le CPL. Là aussi, le député du Kesrouan pèche par omission. Car il néglige de relever que s’il y a crise de confiance, c’est le général Aoun qui en assume la responsabilité (et qui devrait donc en trouver la parade) pour s’être placé objectivement dans le même camp que l’axe syro-iranien. Dans le même camp, non seulement politiquement mais aussi physiquement et matériellement. Il suffit de faire un petit tour au centre-ville pour constater, non sans un grain d’amertume et de tristesse, que la tente du CPL se trouve située à moins de dix mètres de celle du Parti syrien national social (PSNS) et qu’il s’en faut de peu pour que les drapeaux des deux formations se frôlent presque lorsque le vent se lève. Politiquement, le CPL ne cesse d’affirmer qu’il serait erroné de penser qu’il s’alignera systématiquement sur le Hezbollah en cas de vote au sein du Conseil des ministres. Pourquoi donc cette obstination – qui dure depuis plusieurs mois et qui a placé le pays au bord de la guerre civile – à être associé au tandem Hezbollah-Amal dans le calcul du tiers de blocage ? Une autre question tout aussi fondamentale se pose, une fois de plus, avec acuité, d’autant que le pays fait face à une véritable guerre déclenchée contre lui par l’axe irano-syrien : cette obstination à être associé au tiers de blocage avec le Hezbollah et Amal est-elle le fruit d’un accord politique, voire d’un projet politique, conclu entre les trois formations ? On ne saurait se permettre à cet égard de se livrer à un quelconque procès d’intention. Mais à la lumière du contexte explosif présent, il serait irresponsable de ne pas se poser de telles interrogations. Et encore une fois, c’est au général Aoun et au CPL de lever toute équivoque et de dépasser la crise de confiance, car ce sont eux qui se sont placés dans une telle situation en s’engageant sur une voie en totale contradiction avec leur passé de porte-étendard du courant souverainiste. L’issue pour le CPL (et, par la même occasion, pour le pays tout entier) n’est pas impossible, du moins en théorie : elle consiste, pour le courant aouniste, à maintenir les liens forgés avec le Hezbollah, tout en réaffirmant son attachement à l’esprit du 14 Mars, au projet souverainiste de la révolution du Cèdre, et dans le même temps rétablir les ponts avec, au moins, certaines fractions de la majorité afin de prouver qu’il peut être rassembleur et offrir une alternative – une troisième voie – en faisant la synthèse entre le 14 Mars et le 8 Mars. Une feuille de route serait le plus court chemin pour réaliser un tel objectif. Autrement, il y aurait anguille sous roche. Et on aurait aussi la preuve tangible et irréfutable que le CPL fait très peu de poids face au projet transnational et aux calculs essentiellement régionaux du Hezbollah. Auquel cas, le CPL se doit de choisir clairement son camp. On ne peut à la fois revendiquer un positionnement souverainiste et être en même temps le complice objectif de ceux qui cherchent à saper les fondements d’un État souverain. S’associer en outre au slogan trompeur de « cabinet d’union » avant l’élection d’un nouveau président revient à contribuer à l’affaiblissement de ceux qui font face à la contre-offensive de l’axe irano-syrien. Lors de l’approbation de l’accord de Taëf en 1989, le général Aoun affirmait (à juste titre) à l’adresse de la classe politique de l’époque que les positions médianes au sujet de l’accord en question n’étaient pas concevables et que tout responsable se devait de trancher en se prononçant clairement pour ou contre le document. Dix-huit ans plus tard, c’est une même attitude sans équivoque qui est requise. Car comme en 1989, c’est le Liban souverain qui est la cible des visées hégémoniques régionales. Avec une différence fondamentale : ce n’est pas une seule puissance régionale qui prend aujourd’hui le Liban pour cible, mais deux…
Dans une interview télévisée à la fin de la semaine dernière, le député Farid el-Khazen se livrait à une argumentation en apparence rationnelle pour tenter d’expliquer pourquoi à son avis un « gouvernement d’union nationale » est la seule issue possible à la crise actuelle. L’opposition fait de ce slogan, en tous points trompeur, un véritable leitmotiv et se livre...