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Actualités - OPINION

Impunité et torture, un crime d’État

À chaque amnistie, des voix s’élèvent au Liban pour nous expliquer à nous, défenseurs des droits de l’homme et autres utopistes, que c’est le seul moyen de tourner la page. On nous explique, avec une force de frappe médiatique écrasante, que s’opposer à une amnistie, c’est vouloir raviver la guerre et entraver le processus de réconciliation nationale. Les arguments ne manquent pas à l’establishment politique local, parfois avec la complicité de chancelleries de grands pays démocratiques, pour tenter de nous museler et de rendre notre voix inaudible. En juillet 2005, nous avons réclamé qu’au lieu d’une amnistie, l’on organise des procès équitables pour que les criminels répondent devant la justice de leurs actes et, plus important encore, pour que les innocents, et Dieu sait comme les prisons libanaises en regorgent, se voient restaurés dans leur dignité. En plus de la nécessité absolue du respect du droit à un procès équitable, nous avons et continuons à réclamer que des enquêtes sérieuses et indépendantes soient diligentées sur les allégations de torture. J’entends déjà ceux qui s’offusquent qu’on parle de torture et de responsabilité des services de sécurité alors que ces derniers comptent leurs morts. Et pourtant… La problématique essentielle, c’est que la violence n’engendre que la violence, et que la torture pratiquée à l’encontre des personnes arrêtées par les services de sécurité libanais, torture qui reste impunie, ne fait que renforcer la rhétorique nihiliste de tous ces groupuscules terroristes. L’impunité des acteurs étatiques coupables de ces actes de torture ne fait que renforcer la sympathie dont peuvent jouir ces groupes dans certains milieux, surtout les plus défavorisés. Le recours à des amnisties vient rajouter un dernier « ingrédient » à ce « mélange explosif ». En effet, comment renforcer les voix des modérés et des pacifistes quand les innocents sont libérés par une amnistie ? Comment garantir aux familles des victimes d’aujourd’hui qu’elles ne subiront pas le sort des familles de victimes des crimes de Denniyé en 2000 ? Comment garantir aux innocents qui sont ou seront arrêtés aujourd’hui et demain, qu’ils ne subiront pas le même sort que tous ceux, nombreux, qui ont été arrêtés après les événements de Denniyé en 2000 et qui ont été torturés puis amnistiés sans que leur honneur ne soit lavé des accusations gravissimes portées contre eux ? Comment garantir à la société que les criminels arrêtés pendant cette période ne seront pas libérés dans un grand marchandage électoral et politique local ou régional ? Ces questions sont à l’adresse de tous ceux qui aujourd’hui clament partout leur va-t’en-guerre contre les méfaits des autres. Elles sont adressées aussi à toutes les forces politiques libanaises pour que l’impunité cesse dans ce pays. Si je compare aujourd’hui l’affaire de Denniyé et celle de Nahr el-Bared, c’est à cause de la similitude macabre entre les deux situations, à savoir des groupuscules terroristes s’opposant aux forces de sécurité libanaise. L’État a failli à son devoir au cours de l’affaire de Denniyé comme dans beaucoup d’affaires et le Liban en paye aujourd’hui les conséquences. L’État a en effet manqué à son devoir vis-à vis des familles des victimes de Denniyé dans un premier temps, puis vis-à-vis de tous ceux arrêtés arbitrairement et torturés dans cette affaire, qu’ils soient coupables ou non, et enfin vis-à-vis de la société libanaise dans son ensemble pour avoir laissé s’instaurer une culture d’impunité généralisée dans le pays. Briser ce cycle de torture et d’impunité est le seul moyen de lutter contre la violence terroriste qui aujourd’hui menace le Liban. Le mythe de l’éradication a déjà coûté des centaines de milliers de vies en Algérie et dans d’autres pays. Lutter contre le terrorisme par la violence ne fait que le renforcer et affaiblir l’État de droit. Seul l’établissement d’un véritable État de droit juste, un vrai programme de réforme qui apportera plus de justice sociale, constituera une véritable solution pour mettre un terme à la spirale de la violence dans laquelle se trouve aujourd’hui entraîné le Liban. La misère, dans quelque communauté que ce soit, est le terreau fertile de tous les extrémismes. Wadih AL-ASMAR Vice-président du Centre libanais des droits humains - CLDH

À chaque amnistie, des voix s’élèvent au Liban pour nous expliquer à nous, défenseurs des droits de l’homme et autres utopistes, que c’est le seul moyen de tourner la page. On nous explique, avec une force de frappe médiatique écrasante, que s’opposer à une amnistie, c’est vouloir raviver la guerre et entraver le processus de réconciliation nationale. Les arguments...