Rechercher
Rechercher

Actualités

Libanité profonde face au non-dit et à la subordination

Le séminaire international organisé à Chardonne (Suisse) par l’Association suisse pour le dialogue euro-arabo-musulman (Dialogue), autour de « La question libanaise », avec la participation d’universitaires, de politologues et d’acteurs sociaux, débouche sur un inventaire des grands enjeux libanais, régionaux et internationaux d’aujourd’hui et sur des perspectives d’action, portant principalement sur la consolidation de la paix civile face à des techniques sophistiquées de manipulation à la fois internes et externes. « Qu’on sorte au moins avec une lueur d’espoir. » Cet appel poignant de Abbas el-Halabi à la séance de clôture reflète le volume des blocages, rigidités, impasses, programmations idéologiques et tout l’arsenal du non-dit qui font obstacle à un dialogue interne libanais fructueux et opérationnel. On peut dégager du séminaire des conclusions et perspectives pratiques d’action qui ne suscitent pas nécessairement une adhésion unanime et explicite : 1) Prémunir et consolider la paix civile : Abbas el-Halabi le souligne avec insistance. Depuis le retrait des forces armées syriennes du Liban, le pluralisme libanais se trouve manipulé par des techniques sophistiquées, alors que, par nature, ce pluralisme est fondé sur des équilibres délicats, « comme la balance de l’orfèvre », suivant une expression du président Hussein Husseini. Une des techniques de manipulation a consisté à « faire émerger des éléments libanais qui servent à camoufler le conflit régional. Si ces éléments savent qu’ils servent de paravent, cela est grave, et s’ils ne le savent pas, c’est plus grave encore ». A-t-on opéré une révision de l’expérience des guerres de 1975-1990 ? Des révisions ont été opérées « et des leaders ont proclamé une contrition ». L’exigence de prémunir la paix civile est d’autant plus impérative que le Liban est condamné à vivre dangereusement « tant que le problème palestinien n’est pas réglé » et qu’un pays arabe menace de « semer le bordel dans la région ». 2) Taëf, « dernier pacte national » : on insiste sur l’exigence de « rester dans le cadre de l’accord de Taëf » (Farid el-Khazen, Aref el-Abd…), avec la référence à cet accord en tant que dernier pacte national qu’il faudra « œuvrer à enrichir et non à annuler », suivant une expression de Rachid Karamé, en 1976, à propos du Pacte national de 1943. 3) Se référer à la « boussole » des institutions : il s’agit, souligne-t-on, de « réhabiliter l’autorité des normes institutionnelles sans discours et menaces d’actions du type putschiste ». Une telle perspective permet de déjouer les manipulations et d’empêcher un vacuum institutionnel et une situation de non-droit. Des notions sont cependant « polluées », avec une propension à « ériger des pathologies des systèmes consensuels en normes de bon fonctionnement ». Se renforcer (istiqwâ’) par les armes suscite la peur, ainsi que la promotion de valeurs grégaires à travers des manifestations de foules mobilisées par des instances plus fortes que l’État et mues par un discours politico-religieux. C’est le fonctionnement des institutions qui est « le premier garant de la paix civile ». C’est aussi dans le cadre institutionnel, souligne-t-on, « qu’on peut dialoguer pour l’intérêt national » et que le dialogue devient efficient, ciblé, opérationnel, sans dérive guerrière et sans menace explicite ou sous-jacente. Or, le plus grand paradoxe, relève un participant, est « la revendication du débat public au sein du gouvernement qui est un organe exécutif, alors que les portes du Parlement qui est le lieu permanent du dialogue se trouvent fermées ». L’augmentation du nombre des députés s’inscrit dans la perspective « d’élargissement du débat public au sein même de l’Assemblée ». Dans ce cadre, Ghassan Moukheiber insiste sur la réforme du travail de l’Assemblée parlementaire : « De 1992 à 2006, le Parlement n’a tenu que sept séances de débat général, dont deux seulement en 2005. » On souligne aussi que nul ne parle de la fonction du président du Parlement, qui peut être membre ou président de parti, mais « qui doit observer la neutralité en tant que président du Parlement ». On relève à propos du nouveau projet de loi électorale que ce projet a été le fruit d’une concertation nationale. 4) Un terme à « l’assurance impunité » : le problème-clé du tribunal international est souvent contourné, alors qu’il faudra « mettre un terme, même symbolique, à l’assurance impunité qui a régi le Liban exploité comme terrain d’opérations terroristes ». 5) L’État démocratique, « création citoyenne quotidienne » : on affirme : « Quand l’État sera juste et efficient, nul besoin de l’armement d’une organisation para étatique. » Affirmation en apparence logique et innocente, mais qui reflète une perception totalitaire d’un État-clé en main, fort en lui-même, in se, et qui jouit de la subordination des gens. Or l’État, par nature, est un appareil répressif, ne puise sa force et sa légitimité qu’à travers des citoyens vigilants, responsables et qui harcèlent en permanence cet État pour qu’il ne dévie pas de sa finalité publique de gestion du bien commun. La question est posée : « Comment libérer l’État de son impuissance ? » (Raghid el-Solh). Là aussi, le débat dévie par moments sur les fonctions régaliennes de l’État (défense, justice, fiscalité). On appréhende que l’équation ne soit la suivante : « Donnez-nous l’État, et prenez alors nos armes ! » Un participant souligne : « Quand on cherche à être plus fort que l’État, c’est déjà une violation de la souveraineté. » 6) « La barrière autour de votre jardin » et « l’isolationnisme progressiste » : on cite cette expression de Nicolas de Flüe vers 1481 à l’adresse des Suisses : « Dressez une barrière autour de votre jardin. » Comment développer une « culture libanaise de prudence dans les relations extérieures ? ». Il s’agit de contrecarrer les tentatives hégémoniques (istiqwâ’), tout comme la shatâra (débrouillardise), et le tazâki (se croire plus malin que le type de l’autre communauté). Cette culture exige le retour à l’esprit et à la dynamique du « Plan de rénovation pédagogique » entamé au CRDP par le professeur Mounir Abou Asly en 1997-2001, notamment pour l’éducation civique et l’histoire. Cette culture est isolationniste, progressiste : isolationniste par l’affirmation de la primauté du Liban, « patrie définitive pour tous ses fils », et progressiste parce qu’elle offre le modèle normatif de l’arabité démocratique, et non l’arabité des prisons, de l’islam des lumières et de l’unité dans la diversité. « Aucun régime arabe, souligne Ali Fayyad, n’offre un modèle normatif et la formule libanaise, nous y sommes attachés. » 7) L’ONU pour la protection des petites nations : la question est posée : « Les petites nations dans le système international d’aujourd’hui ont-elles d’autres moyens pour protéger leur indépendance que la légitimité internationale à travers les résolutions de l’ONU ? » Dans les années 1980, Ghassan Tuéni, en tant qu’ambassadeur du Liban à l’ONU, exhortait toujours à un rôle accru de l’ONU pour la protection des petites nations. 8. « Internaliser » autant que possible la crise : est-il possible d’« internaliser » la crise libano-régionale ? Une telle perspective implique que des factions soient « libres de leur décision » ou du moins qu’elles cherchent à se « délier des pôles régionaux de subordination ». La question est posée par Talal Husseini : « Les Libanais sont-ils capables de se gouverner eux-mêmes ? » L’agression rampante contre les « valeurs républicaines » est un prélude à des dictatures. Aussi insiste-t-on à la séance de clôture sur l’urgence d’un « code éthique minimal de conduite politique ». C’est la référence à un « ordre juridique », comme le relève Yves Besson, en tant que moyen de régulation du politique, qui fait le plus souvent défaut en faveur d’une exploitation instrumentale de la loi. Or, cet ordre même, selon nombre d’interventions, dont celles de Ghaleb Mahmassani, Rola Noureddine, Aref el-Abd, garantit la convivialité et la paix civile. Antoine MESSARRA Professeur, coordonnateur des programmes de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, président de l’Association libanaise des sciences politiques Les participants à la table ronde « non en tant que représentants, mais de personnes influentes ou actives dans la vie publique », sont : Antoine Maurice, Yves Besson, Patrick Haenni, C. Brunner, Didier Pfirter, P. de Senarclens, Abbas el-Halabi, Ali Fayyad, Raghid Solh, Farid el-Khazen, Samir Hobeika, Hassan Ghaziri, Aref el-Abd, Antoine Messarra, Rola Noureddine, Ghassan Moukheiber, Ali Hamdane, Ghaleb Mahmassani.



Le séminaire international organisé à Chardonne (Suisse) par l’Association suisse pour le dialogue euro-arabo-musulman (Dialogue), autour de « La question libanaise », avec la participation d’universitaires, de politologues et d’acteurs sociaux, débouche sur un inventaire des grands enjeux libanais, régionaux et internationaux d’aujourd’hui et sur des...