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Actualités - OPINION

Éclairage Sunday Bloody Sunday Michel HAJJI GEORGIOU

Les autorités syriennes ont tôt fait de les démentir, mais on ne les oubliera pas de sitôt ces bonnes paroles murmurées à l’oreille de Ban Ki-moon sur la volonté d’allumer des « feux de joie » un peu partout « de la mer Caspienne à la Méditerranée », dans une pyromanie frénétique et destructrice, au cas où le tribunal international viendrait à être créé. Et à défaut de mer Caspienne et de Méditerranée, par humilité sans doute, le régime pourra bien se contenter, non sans délectation, de Tripoli et Achrafieh. Voudrait-on oublier ces paroles, refuser de les admettre comme une évidence tellement elles sont crues et flagrantes, ou même se crever les yeux pour vivre dans une douce ignorance qu’on ne le pourrait pas. Après tout, on ne renie pas facilement son passé. On ne crache pas, en d’autres termes, sur des pratiques élevées au rang de patrimoine national, qui suscitent la crainte des autres dans la région mais aussi leur jalousie et leur exaltation ; des pratiques qui continuent, à travers les générations, de forcer outrageusement l’admiration (Kissinger may punish me...) outre-Atlantique, comme le prouvent tous ces trémolos dans la voix de ceux qui découvrent, non sans angélisme, qu’il « serait bon d’initier une ouverture en direction de Damas », alors qu’ils ne savent strictement rien de la nature du régime syrien. Qu’ils ne comprennent pas que, du Liban à l’Irak, il n’y a, pour le régime, que l’exportation de la violence hors du territoire syrien, que la diffusion du chaos et de la déstabilisation, cette fameuse stratégie du bord du gouffre qu’affectionnait tellement Assad père, pour continuer à exister sur l’échiquier comme un « joueur », un négociateur de premier plan. Qu’ils sous-estiment le facteur qui veut qu’un régime dont l’existence est depuis aussi longtemps liée à l’exercice de la violence et de la répression n’est guère susceptible de changement ou d’évolution. Alors, pure coïncidence, cette flambée de violence entre Tripoli et Achrafieh, au lendemain de la confirmation que le tribunal international sera bientôt adopté sous le chapitre VII au Conseil de sécurité ? On aura vraiment beaucoup de difficulté à croire au « grand complot international » et à refuser de suivre l’éternelle piste syrienne. Certes, une phrase colportée, et qui a de plus fait l’objet d’un démenti, ne suffit pas pour accuser. Mais il se trouve qu’un grand nombre de signes ont préfiguré, depuis quelques jours déjà, la sombre journée d’hier. Ainsi, il y a eu ce sinistre présage de Sélim Hoss, à l’issue de sa rencontre avec des dirigeants syriens à Damas la semaine dernière : « Plus de complications nous attendent si le tribunal est adopté sous le chapitre VII. » Puis, selon des sources proches de la majorité, il y aurait eu, ces deux dernières semaines, un va-et-vient intensif entre Beyrouth et la capitale syrienne, dans le plus grand secret, de plusieurs pôles de l’opposition, parmi lesquels Sleimane Frangié, Omar Karamé, Élie Ferzli, ou encore Fathi Yakan. Le même Fathi Yakan qui, il y a quelques mois encore, était devenu le porte-parole de l’opposition au centre-ville, et qui a eu l’outrecuidance hier de prétendre avoir été mandaté par le commandant en chef de l’armée pour négocier un cessez-le-feu à Tripoli avec le régime syrien – information aussitôt démentie par la direction de l’orientation de l’armée. Qu’a donc été faire à Damas le prédicateur, réputé pour ses connections peu nettes, au moment où la campagne de déstabilisation semble repartie de plus belle ? Par ailleurs, voilà que les engins piégés sont de retour. Faut-il rappeler qu’il s’agissait d’une griffe particulière durant l’été 2005, pour couper court à l’envie des néo-souverainistes de festoyer après le retrait des forces syriennes ? Et puis il y a Fateh el-Islam… Fateh el-Islam, dont il avait déjà été question en décembre, lors de l’assassinat de Pierre Gemayel. Un groupuscule d’extrémistes, disait-on déjà dans les rangs de la majorité, « formé de tueurs professionnels » et « exportés de Damas à Beyrouth ». Dans les milieux du 14 Mars, on n’a pas oublié les propos de Bachar el-Assad qui avait reconnu dans la foulée du printemps de Beyrouth le transit vers Beyrouth de combattants d’el-Qaëda... sans, bien sûr, que rien ne soit fait pour les intercepter. Le régime syrien est tellement libéral qu’il ne contrôle pas ce qui se meut à l’intérieur de ses frontières ou ce qui les traverse. Ou bien, ces combattants sont peut-être passés clandestinement par la frontière népalaise ! Il ne faut écarter, après tout, aucune théorie. L’essentiel, c’est que le régime syrien « n’ait rien à voir » avec ce qui se déroule au Liban. Tout comme il « n’a rien à voir » avec ce qui se passe en Irak. Ou encore avec le tribunal international et l’enquête sur les assassinats de Rafic Hariri, Samir Kassir, Georges Haoui, Gebran Tuéni, Pierre Gemayel. Le régime syrien n’a qu’une seule réponse : il n’est pas concerné. À ce titre, la fermeture de la frontière nord par les autorités syriennes aura été hier la cerise sur le gâteau. Les extrémistes, c’est comme les libertés publiques et les démocrates, le régime syrien ne veut tout simplement pas en entendre parler chez lui. Qu’à cela ne tienne, si la déstabilisation du gouvernement Siniora par tous les moyens est l’objectif du régime syrien – tribunal international oblige – ce dernier pourrait bien se heurter à un obstacle de taille, comme cela a été le cas hier, à Tripoli. Cet obstacle, c’est l’État, le sentiment d’attachement à l’État. Dans cette optique, le régime aura beau envoyer toutes les néo-Saïka du monde, en pensant qu’il peut de nouveau briser le pouvoir central. Il pourra s’acharner autant qu’il le souhaite sur le Nord à l’aide des fondamentalistes qu’il sèvre, par défaut, parce qu’il a essayé la discorde sunnito-chiite avec l’affaire du double attentat de Jadra et que cela n’a pas marché... Il reste que tout cela ne fonctionnera pas. S’il est une leçon à retenir de cette nuisance multiforme que le Liban subit depuis deux ans, sinon depuis trente ans, c’est que son appétit de vivre est plus fort que toutes les formes de mort vers lesquelles on souhaite le pousser. Le sentiment de l’État existe. Il existe parce que des morts fondatrices l’ont enraciné, des actes héroïques de résistance aussi. Ce sentiment a beau être plus sentimental que rationnel, plus instinctif que réfléchi, et certainement pas au point, il existe indubitablement. Il n’y aura pas de salut en dehors de l’État. C’est pourquoi il est temps pour toutes les composantes politiques de se retrouver autour de la légalité. C’est là l’hommage qu’il faut rendre aux martyrs de l’armée qui sont tombés hier dans le cadre des combats avec Fateh el-Islam. Ils ont incarné la résistance de l’État face au projet de destruction des institutions. C’est bien sur ce point qu’il faut critiquer le Hezbollah, dont le communiqué d’hier, bien frileux, était toujours en deçà de la position requise, et à l’heure où al-Manar a superbement ignoré les événements de la journée... comme si Tripoli était dans un autre pays, dans un autre État. C’est enfin sur ce point qu’il faut interpeller le général Michel Aoun. Certes, l’implantation est un grand danger. Oui, mille fois oui, il est plus que nécessaire de régler le problème de l’arsenal palestinien hors des camps. Mais le seul point d’appui est aujourd’hui la légalité : participer à son érosion, à son effritement, c’est aider à la destruction du Liban. C’est ainsi que fonctionne le manichéisme syrien, et ce n’est qu’unis que tous les Libanais pourront résister. Le monopole de la violence légitime était, au côté de la souveraineté, la principale constante du discours aounien, et elle doit le rester, bien avant les règlements de comptes à caractère politique. Continuer à vouloir ignorer la contre-offensive syrienne qui est en marche depuis l’instant même du retrait des troupes syriennes, en avril 2005, c’est poursuivre ce à quoi Fateh el-Islam et les poseurs de bombe d’Achrafieh ont apporté hier leur contribution : le processus d’annihilation du Liban.
Les autorités syriennes ont tôt fait de les démentir, mais on ne les oubliera pas de sitôt ces bonnes paroles murmurées à l’oreille de Ban Ki-moon sur la volonté d’allumer des « feux de joie » un peu partout « de la mer Caspienne à la Méditerranée », dans une pyromanie frénétique et destructrice, au cas où le tribunal international viendrait à être créé. Et à défaut...