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Actualités - REPORTAGE

Les parachutistes s’en vont, les cavaliers arrivent « Benvenuto » pour une tournée de Naqoura à Chamaa auprès du contingent italien

Le ciel y est plus bleu qu’ailleurs, le bord de mer bien plus tranquille et serein et le tapis de verdure interminable, inaltérable. On dirait le Sud. La mer et la plage ne sont ponctuées que par des récifs de rochers plats et des cannes de pêcheurs que les invasions et les abominations n’émeuvent plus. Le charme du grand bleu n’est pas toujours accessible au regard vorace. Souvent des rideaux de peupliers, des rangées de palmiers et d’interminables orangeraies et bananeraies voilent la mer et prolongent l’attente. Mais la revoilà qui resurgit, toute bleue, toute fraîche. Ici, l’odeur humaine s’est estompée et l’heure de la laideur du béton n’a pas encore sonné. C’est le désert du Sud. Les collines de cyprès à Zahrani annoncent le changement de climat. Voici la Galilée biblique et ses paysages qui enivrent. Ici la boue est faite de nos rêves. Des rêves de paix à venir, sûrement, dans un jour, dans un mois, dans une éternité. « La nature finit toujours par reprendre le dessus », remarque Giuseppe Cassini, en déplaçant le levier de vitesse. « La fameuse ligne bleue tombera un jour », ajoute-t-il, et son regard bleu n’en finit pas de se promener derrière la vitre. L’ancien ambassadeur d’Italie (1998-2002) connaît bien le Sud. Il avait apporté son aide à la population civile dans le cadre du programme « Italie pour le Liban-Sud », lors des innombrables bombardements, et s’était lié d’amitié avec l’uléma Mohammad Hussein Fadlallah. Ces gens-là n’ont pas la mémoire courte. Le gouvernement italien a eu une bonne intuition en nommant le Génois au poste de conseiller du contingent italien. Car Giuseppe Cassini connaît le Liban-Sud comme le fond de sa poche. Le contingent italien, fort de 2 500 hommes environ, est le plus nombreux de la Finul. Le secteur ouest (qui regroupe le caza de Tyr et celui de Bint Jbeil) est sous commandement italien. Les treillis de « l’esercito », l’armée de terre, sont répartis entre les bases aménagées à Haris, Chamaa, Ras el-Aïn (près du bord de mer), Maaraké et Tibnine, où siège le général Maurizio Fioravanti, qui a remplacé le général Paolo Gerometta, après six mois de service. À Tyr, dans le quartier Bourj al-Chamali, à l’école Mosan Day Care Center pour les enfants à besoins spécifiques, les parachutistes de la brigade Folgore (littéralement Foudre ; la plus importante en Italie), du 186e régiment de parachutistes de l’esercito, nous accueillent avec toute la chaleur de la Méditerranée. Le capitano Tommaso Magistretti qui était le porte-parole du contingent italien nous sert d’interlocuteur, même s’il a été remplacé, dimanche dernier, par le lieutenant-colonel Mattiassi. « Nous sommes prêts à riposter » Ici, les militaires italiens ne jouent pas seulement au foot avec les enfants. Ils les aident à fabriquer toutes sortes de pains italiens et allemands (vollbrot, kornbrot, pain de seigle, bretzels...) Avec le soutien de la fondation allemande Brot gegen Not (du pain contre la misère), l’école Mosan, dirigée par Ali Charafeddine et Ria Bereti, produit du pain, vendu aux ambassades d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, à la communauté protestante allemande de Beyrouth et aux particuliers. Ce qui permet de faire connaître le centre et de le soutenir financièrement. Ici, le jour le plus populaire de la semaine est le « mercoledi », lorsque les Italiens emploient leur talent à la création de pizzas, qui font la joie des enfants de l’école. Emiliano, de Napoli, et Francesco, de Taranto, aident aux cuisines et apprennent aux enfants à moudre la pâte qui, en soit, représente un exercice thérapeutique pour les corps en difficulté. « Notre mission est d’aider la population à se remettre debout », souligne le lieutenant-colonel Di Georgio. À Mosan, les militaires mettent la main aux travaux de charpenterie, aux installations électriques et à la tuyauterie. Les armes sont dissimulées. Les Sudistes souffrent du syndrome de la war fatigue. L’esercito ne veut pas gagner de bataille. Elle préfère gagner les cœurs. À bord d’un transporteur VM 90 du constructeur italien Iveco, les hommes de la Folgore quittent Tyr en direction de Naqoura. « Patrouiller fait partie de nos tâches quotidiennes, indique le capitaine Magistretti. Nous devons voir et être présents. » Les pistolets Beretta 92FS 9 mm et les mitraillettes Beretta AR 70/90 (les M16 italiennes) sont également présents, mais ils sont cachés par égard aux civils. Les hommes sont courtois, certes. « Mais en cas d’attaque, nous sommes prêts à riposter », poursuit-il. Seuls les journalistes présents sur le véhicule n’ont pas l’expérience des conflits de l’Albanie, du Kosovo et de la Bosnie. Deux chars Puma (véhicules blindés légers Iveco) du quatrième régiment Dragon nous accostent. Gloria est l’une des cinquante femmes du contingent. Elle est aux commandes. Elle se dit « heureuse de sa première mission en dehors d’Italie ». Enzo en a vu d’autres. Il a été en poste en Irak. Il se dit « fortunato », chanceux, et reste confiant qu’il n’aura même pas besoin de se servir de son arme. Tirant sur sa cigarette, il ajoute : « La costa e la spiaggia sono bellissime », en admirant la plage et la côte, qui émergent derrière les bouquets de genêts et de coquelicots. La plage de « Big Sur » ne saurait être aussi tranquille. La VM 90 ne cesse de bondir sur le chemin. Mieux vaut avoir les reins solides. Le Sud a été abandonné des dieux et des hommes. Seule la rancune de l’armée israélienne lui rend visite de temps à autre. Le photographe de l’agence italienne Emblema est d’accord : le paysage lui rappelle la Sicile, la Sardaigne, Calabre et Basilicata. Quand passent les cigognes À Aalma al-Chab, passent les cigognes. Les villes israéliennes de la Galilée sont à une poignée de kilomètres. La base de Chamaa a un périmètre de 2,4 km. Il serait superflu d’essayer de compter les tentes et les véhicules militaires qu’elle abrite. C’est un gigantesque campement militaire italien de ceux que ne redouterait pas Obélix. Mais il n’y a pas de centurion romain. Le colonel Giangaetano Carancini (Folgore) est un Génois qui devrait rester au Liban-Sud jusqu’à fin octobre prochain. « Notre tâche principale est d’éliminer les mines et les bombes à sous-munitions, de construire de nouvelles routes, de contribuer aux projets d’installation d’eau et d’électricité », indique-t-il. Les spécialistes du régiment font la tournée des écoles de la région pour expliquer aux élèves comment se comporter face à une bombe ; 747 élèves ont déjà profité du programme Mine Risk Prevention. Il était temps de voir, sur le terrain, comment les hommes de la Folgore se débarrassent des bombes à sous-munitions. Dans les champs splendides et abandonnés, un berger avait trouvé, la veille, deux bombes. Chacune contient quelque 350 billes. L’explosion produite par l’une de ces bombinettes équivaut à celle de 60 grammes de C4. L’adjudant-chef Pezzanu Rocco nous demande de nous éloigner. Il a entouré les bombes de sacs de sable. La détonation et le champignon de fumée qui monte au ciel sont pourtant spectaculaires. En six mois, les Italiens ont pu se débarrasser de quelque 3 000 bombes. C’est l’un de leurs exercices quotidiens. Les Israéliens en avaient largué un million… Le colonel Carancini précise que « la primavera », le printemps, est un danger en soi. L’herbe verte pousse et cache les bombes. Avec le temps et la pluie, celles-ci prennent la couleur de la terre et s’enfoncent davantage dans le sol du Sud. Il devient plus difficile de les débusquer. À l’aéroport de Beyrouth, Hussein Banjak, 15 ans, s’apprête à prendre l’avion, en compagnie de sa mamma, pour Trieste. « J’allais avec un ami de notre village, Chaaytiyeh (caza de Tyr), à la mer, raconte-t-il. Au bord de la route, un engin a explosé sous mes pieds. » L’adolescent a perdu le talon du pied droit et trois orteils au pied gauche. La main gauche est très affaiblie : des muscles et des nerfs ont été sectionnés. Les soins fournis à Hussein seront couverts par une fondation italienne portant le nom de quatre journalistes tués en Bosnie. Il n’est pas seul à partir en Italie. Des centaines de parachutistes ont regagné leur patrie, dimanche dernier, laissant la place aux cavaliers de la brigade Pozzuolo del Friuli (du nom d’un village où avait eu lieu une bataille en 1917) et au nouveau commandant du secteur ouest, le général Fioravanti. Arrivederci. Jad SEMAAN

Le ciel y est plus bleu qu’ailleurs, le bord de mer bien plus tranquille et serein et le tapis de verdure interminable, inaltérable. On dirait le Sud. La mer et la plage ne sont ponctuées que par des récifs de rochers plats et des cannes de pêcheurs que les invasions et les abominations n’émeuvent plus. Le charme du grand bleu n’est pas toujours accessible au regard...