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Actualités - ANALYSE

ÉCLAIRAGE - Un dossier, politique mais aussi technique, d’une effroyable complexité Le tribunal, une nécessité absolue porteuse d’une espérance toute relative…

« Afraid to find out, but afraid to not know. » (Harry Belafonte - Dangerous Times) L’embargo. En Irak, les enfants décimés, affamés, sans lait, rendus malades, sans médicaments, sans assez de personnel ou d’équipements pour les soigner. Leurs parents, dans un pays auparavant prospère, même pendant la guerre avec l’Iran, réduits à la misère. Tandis que le trafic du programme « pétrole contre nourriture », dans lequel devait être impliqué le propre fils de Kofi Annan, faisait les choux gras de Saddam et de son clan. Avec petits cadeaux de leur part, en bons de barils, à nombre d’amis de par le monde. Dont quelques Libanais, pourtant alliés notoires du jumeau-ennemi baassiste syrien. Le prologue qui précède, l’entrée en matière grasse, et en forme de digression préliminaire, débouchent sur quelques menues interrogations. Bis repetita ? Le renard passe, passe, à chacun à son tour ? Un Baas après l’autre ? La Syrie se retrouve effectivement menacée de sanctions, de blocus. Via le chapitre VII appelé à chapeauter la mise en place d’un tribunal international devant juger l’affaire de l’assassinat du président Rafic Hariri. Il n’est donc que de se référer à l’exemple irakien cité, pour comprendre combien il serait regrettable que les Syriens, nos frères, paient pour un régime qui n’est guère tendre avec eux. Pour ne pas dire qui les opprime, tout étant relatif : généralement, dans un pays totalitaire, si l’on ne se mêle pas de politique, si l’on n’est pas trop regardant à l’exercice des libertés, aux droits de l’homme, l’appareil de contrôle vous laisse tranquille. Il reste que, réalité éventuelle facilement prévisible, tout comme jadis à Bagdad, dans la proportion exactement inverse d’un appauvrissement de la population, déjà pas bien florissante, un embargo enrichirait encore plus la rutilante classe au pouvoir et son chef. Dont la fortune personnelle est évaluée par la revue spécialisée Forbes à plus de 2,5 milliards de dollars. Et qui pourra engranger, sans doute, une sinistre plus-value, placée à l’étranger. Pour plus de sûreté, les sanctions édictées au chapitre VII ne prévoyant aucune mesure contre les avoirs des responsables, en tant que particuliers. Mais alors, demandera-t-on, si ce régime ne risque pas d’être égratigné sur le plan matériel, pourquoi a-t-il si peur du tribunal ? Une montée en puissance de la sourde grogne populaire ? Il saurait toujours la contenir, la réprimer, il en a largement les moyens. Non, ce qu’il redoute, en fait, c’est de voir ses sbires, planificateurs ou exécutants de hautes et basses besognes, repérés et poursuivis. Certes, il s’est engagé, au risque d’être excommunié par la communauté internationale, à ne pas les livrer. Mais en promettant, bien obligé, de les faire juger à domicile. Auquel cas, pour se dédouaner, ils le mettraient sans doute très vite dans le bain, comme on dit familièrement. Pire encore, certains d’entre eux, qui sont militairement forts, pourraient se soulever contre lui. Tableau d’ensemble Cela étant, sauf pour ce régime comme pour les prévenus potentiels, le tribunal est une nécessité évidente. D’abord pour les considérations d’ordre général suivantes : – L’homme (et parfois la femme) étant une créature morale, la vérité, la justice font pour lui partie de ces nourritures spirituelles aussi indispensables à la vie que la mloukhiyé, ou le kebbé. Zahliote, bien entendu. – Ces valeurs ont également une dimension certaine de défense d’une humanité de plus en plus frappée par le mal, terrible, du terrorisme. Dans ce cadre, les moyens militaires ne sont pas toujours bons. Surtout quand les renseignements, instrument essentiel de prévention ou de répression, sont mauvais, c’est-à-dire faux. En conduisant par exemple (frappant) à l’invasion d’un Irak aussi bien démuni de ces armes de destruction massive dénoncées par les renseignements que de liens avec el-Qaëda, comme le soutenaient les mêmes agences. Tandis que, quand cela est possible, un procès devant un tribunal composé de sages constitue, au fond, la riposte la mieux appropriée au terrorisme. Car à sa barbarie répond alors une forme élevée de civilisation. – Sur le plan sécuritaire, comme le pensent beaucoup d’observateurs avertis, qui n’appartiennent pas nécessairement au 14 Mars, un verdict judiciaire mettrait un terme à la série d’attentats criminels perpétrés au Liban. À dire vrai, il faut certainement espérer un tel résultat, mais on ne peut objectivement en être sûr d’avance. Rien ne dit, en effet, que la partie commanditaire, accoutumée à des réactions de durcissement brutal, ne cherche le cas échéant une fuite en avant par le renouvellement de ce cycle de violence. Avantages – Au niveau du pays, le bienfait d’un tribunal est de rappeler aux Libanais qu’ils sont unis, se déclarent unanimes, en ce qui concerne la quête de la vérité et de la justice. Ceux d’entre eux qui le disent sans vraiment le penser, en se découvrant par leurs conditions obstructionnistes, ne seraient plus en mesure de contrer le sentiment national, une fois que le tribunal deviendra réalité vivante. Pour ne pas dire fait accompli. – Par voie de conséquence, le tribunal, une fois mis en place, représenterait une arme puissante dans la lutte politique quasi vitale livrée, face au vorace régime syrien, pour un État de droit libanais, libre et souverain. – Pour ce qui est du volet strictement juridique, il va de soi que, sans tribunal, on ne peut préserver les principes premiers, directs, afférents au respect de la mémoire des victimes, aux droits des familles, ou aux intérêts légitimes des multiples parties matériellement lésées par les crimes. Sous cet angle précis, parallèle à l’action antiterroriste qu’une instance internationale doit mener, il paraît évident que le tribunal saisi devrait être purement libanais. Donc, l’on devrait disposer de deux juridictions bien distinctes. Et pour qu’il n’y ait pas confusion, on décréterait qu’exceptionnellement, vu que le côté sûreté de l’État libanais est traité cette fois par l’instance internationale, on n’aurait pas recours localement à la Cour de justice, mais aux assises ordinaires. Obstacles Cependant, les perspectives d’aboutissement positif restent, en l’état, tout à fait incertaines. Pour les causes suivantes : – Sur le plan technique policier, les critères, et les cratères, concernant un meurtre individuel et un attentat terroriste, ou un assassinat politique, ne sont pas tous pareils. Plus il est gros, plus le crime se rapproche du parfait. Les moyens de criminologie sont également différents, beaucoup moins affinés à l’échelle des attentats que dans un cadre d’investigation, par le truchement de la police scientifique, sur un crime ordinaire. Naturellement, les mobiles, qu’il faut cerner, sont également différents. Quant au personnel, on relève que l’appareil policier est pratiquement inexistant au niveau des attentats à caractère international. En effet, les brigades antiterroristes nationales traquent les cellules subversives, font de la prévention et de la répression, disposent de commandos de choc. Coordonnent parfois entre elles. Mais sans qu’il y ait une superpolice internationale spécialisée dans ce domaine. Et pour cause : on trouverait difficilement assez de fins limiers, de détectives pointus, d’investigateurs experts à la fois généralistes et spécialisés. Aujourd’hui, les Sherlock Homes ou les Hercule Poirot doivent avoir assimilé, s’ils se convertissent à l’autopsie des attentats, diverses techniques sophistiquées, depuis le renseignement jusqu’aux études médico-légales nécessaires en la matière. Ce qui explique la palette étendue de professionnels qui composent la commission dite Brammertz. Ce qui explique aussi pourquoi cette équipe a dû demander une rallonge substantielle de son mandat. Sa tâche étant rendue plus difficile par trois éléments : les indices de terrain ont été salopés à dessein aussitôt après l’attentat ; la crédibilité de certains témoins prête à contestation ; la tension politique pollue inévitablement le labeur technique, à preuve qu’il faut ménager la Syrie pour en obtenir un certain degré de coopération. La procédure Comme le soulignent, en privé, nombre d’autorités, dont l’éminent magistrat Chucri Sader, c’est la toute première fois que la légalité internationale s’estime obligée de se pencher sur le cas de l’assassinat d’une personnalité déterminée. En effet, répétons-le, le dossier relève tout à la fois du crime ordinaire (bien qu’à mobile vraisemblablement politique, selon la commission Brammertz) et du crime terroriste. Cette particularité suscite un défi juridique procédural. On s’imagine, couramment, que les lois des pays s’inspirent de l’un ou de l’autre de deux grands systèmes, le latin et l’anglo-saxon. Ce n’est pas inexact. Sauf qu’en matière de codes, des variations apparemment minimes, ou collatérales, peuvent modifier en profondeur l’esprit qui régit le fonctionnement des tribunaux. L’on voit, par exemple, que l’ONU ne retient pas la peine capitale, prévue dans notre code. De même, la fourchette des condamnations pénales à tant ou tant d’années de prison, varie souvent du simple au double entre un pays et un autre. La synthèse est difficile à opérer. Or un tribunal formé à l’ombre du chapitre VII ne devrait plus retenir comme base de fonctionnement la procédure libanaise, comme cela était prévu dans cette convention pratiquement rejetée par l’obstructionnisme syrien et prosyrien. Alors, comment sortir un code spécial ? Comment traiter le pénal, les débats de prétoire, les audiences, les délibérations ? Avec ou sans jury ? Avec ou sans juges d’instruction ? Quelles seraient les prérogatives, et les barrières, du parquet ? Disposerait-il d’un appareil policier conséquent ? Comment former à un code innovant, vite mais bien, les magistrats de siège des deux degrés ? Et ces juges, comment les choisir ? Il y a là, en effet, un problème de sélection à partir d’un a priori de parti pris disqualifiant. En principe, jamais le tribunal ne devrait comprendre de magistrats du cru, le Liban, qui a porté plainte devant l’ONU, ne devant pas être juge et partie. Il est également évident qu’aucune des parties qui se sont déclarées concernées, à des degrés divers, ne peut siéger au tribunal. Donc, pas de Saoudiens, d’Iraniens, de Français ou d’Américains. Pas d’Arabes ni même d’Européens, de Russes ou de Chinois. Et pas de Syriens. Damas, position arc-boutée, propositions déboutées Vieux renard aguerri, et guéri du virus assadien, Abdel Halim Khaddam a échappé de justesse aux mailles du filet qui allait l’étrangler. Ou à la balle de revolver qui a « suicidé » Ghazi Kanaan, autre coupable d’amitié pour Rafic Hariri. Et son frère, un an plus tard ! De la 1595 à la 1644, Damas a tout fait, frénétiquement, au-dehors, au-dedans, et surtout au Liban, pour s’éviter le tribunal. Prenant même les devants, le régime syrien a pensé avoir payé plus que le prix (du sang ?) réclamé, en retirant ses forces, dès le 26 avril 2005, du Liban occupé depuis 30 ans. Faux sacrifice, du reste, car malgré le retrait du gauleiter Rustom Ghazalé, malgré la rétrocession d’un Anjar où l’on allait découvrir un charnier, la tutelle politique allait être à moitié maintenue. Via d’anciens alliés auxquels se joignent, pour compenser en quelque sorte de notables grosses défections, d’étranges recrues nouvelles non déclarées. Quoi qu’il en soit, en deux ans et quelque, Damas a successivement, ou alternativement, demandé : – Que l’on gèle le tribunal en attendant que l’enquête se termine. (À ce propos, Mehlis avait publiquement dénoncé les menaces qui lui avaient été adressées…) – Que l’on gomme totalement le sujet, faute de quoi on verrait ce qu’on verrait, au Liban. Et on a vu, on voit encore. – Que l’on modifie le statut, sous prétexte de prévenir la politisation de l’instance comme du procès. – Que l’on adopte la procédure syrienne, comme on comptait le faire, avant capotage, pour la procédure libanaise. – Que la loi internationale ne tente pas de juger des ressortissants syriens, justiciables uniquement des tribunaux de leur pays. – Que l’on sache enfin que la Syrie, malgré tout ce qui précède, et tout ce qui va suivre, n’est pas « concernée. » Tout cela a été rejeté. Sèchement. Jean ISSA

« Afraid to find out, but afraid to not know. »
(Harry Belafonte - Dangerous Times)

L’embargo. En Irak, les enfants décimés, affamés, sans lait, rendus malades, sans médicaments, sans assez de personnel ou d’équipements pour les soigner. Leurs parents, dans un pays auparavant prospère, même pendant la guerre avec l’Iran, réduits à la misère. Tandis que le trafic du...