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Actualités - CHRONOLOGIE

VIENT DE PARAÎTRE - Un manuscrit inédit découvert par Fouad Debbas «Voyages en Orient»: le journal inédit (et fort instructif) de la comtesse de Perthuis

Un vrai plaisir que de lire « Voyages en Orient », le journal inédit de la comtesse du Perthuis (éditions Dar an-Nahar). Un style guindé, concis, précis, presque dépourvu de sentiments, un brin condescendant (quand même) pour décrire des événements qui se sont déroulés dans cette région du monde au milieu du XIXe siècle et qui ressemblent d’une manière ahurissante à ce qui se passe ici depuis trois décennies au moins. Une grande leçon d’histoire, donc, mais aussi une lecture agréable et constructive, un voyage dans le temps avec les consuls, la colonie européenne, la famille, les voisins libanais de cette dame de « la haute » qui a côtoyé les « décideurs » de l’époque. Un flash-back avec des airs de déjà-vu. À la découverte de notre Orient mystérieux et ô combien complexe, une aristocrate française qui s’est rendue à deux reprises dans cette région du monde. Un carnet illustré par les dessins de l’auteur ou des croquis de son mari. Un petit bijou découvert par Fouad Debbas en 1990. Mais le contexte politique ne permettait pas de le faire découvrir au public. Debbas était réticent à publier ces carnets au cours de la dernière guerre civile. Il disait ne pas vouloir remuer le couteau dans des plaies mal cicatrisées et approfondir les dissensions et les différends confessionnels. Ibtissam Messara, qui a veillé à la relecture et aux corrections du manuscrit, se souvient de l’enthousiasme et de l’émerveillement de Fouad Debbas en feuilletant ce manuscrit. «Après les livres qu’il avait écrits, les expositions qu’il avait montées, son rêve était de publier ce manuscrit. Malheureusement, les circonstances et la situation prévalant au Liban l’en avaient empêché, et il est décédé sans avoir pu réaliser son rêve.» Mme la comtesse a effectué le premier voyage entre 1853 et 1855, en compagnie de son mari, pour rendre visite à son fils Edmond qui vivait à Beyrouth. Edmond du Perthuis était en effet représentant au Levant des Messageries maritimes, importante ligne de bateaux à vapeur. Il jouera un rôle économique important dans la seconde moitié du XIXe siècle pour moderniser la route de Beyrouth à Damas et rénover le port de Beyrouth. Du 18 avril au 15 mai 1854, la comtesse, son mari, son fils Edmond, sa bru Louise, Élisabeth, la femme de chambre, Youssef le drogman-cuisinier et deux aides effectuent depuis Beyrouth un voyage en Terre sainte. Ils rejoignent Jaffa en bateau puis à cheval, logeant tel soir sous la tente, tel autre dans un couvent. Ils visitent Jérusalem, Bethléem, la Fontaine des voleurs (Aïn el-Haramieh), Naplouse, le lac de Tibériade, Cana, Nazareth, le mont Thabor, Haïfa… l’Évangile à la main bien sûr. Ils y rencontrent des chrétiens, des Turcs, des juifs, des Bédouins, des matawilat (chiites) et aussi des Français, des Anglais en voyage. Au Caire, devant les pyramides, elle refuse de monter jusqu’au sommet de la grande pyramide pour la «sotte gloire de dire que nous y étions grimpées et de voir le désert». Elle relate également avec moult détails sa visite au harem de Moustapha bey, le fils d’Ibrahim pacha. Pour revenir, ils empruntent, toujours à cheval, la route du littoral: Saint-Jean d’Acre, le Cap blanc, Tyr, Saïda, Nabi Younès (du nom du prophète Jonas, qui aurait en ces lieux revu le jour en sortant de sa baleine) et après avoir traversé à gué le Damour, Beyrouth. La politique s’y mêle Deuxième périple levantin, entre 1860 et 1862, au cours duquel elle a également parcouru divers lieux de la région et rencontré un grand nombre de personnalités et de consuls. Le texte du second voyage est riche en informations essentielles sur les guerres civiles qui ont déchiré la Syrie en 1860. «Ces informations n’ont pas fait l’objet, jusqu’à présent, d’une étude sérieuse et sont publiées là pour la première fois, près d’un siècle et demi après leur rédaction», indique Badr el-Hage dans son texte introductif. «Un manuscrit qui témoigne, encore une fois, de l’exploitation historique de la mentalité confessionnelle dans nos pays. Exploitation qui, des décennies durant, a charrié dans son cortège mort, destructions, massacres, partition, perdition et ingérences étrangères», souligne el-Hage. Il est vrai qu’il ne s’agit pas là d’un genre nouveau, les mémoires de voyageurs en Orient étant monnaie assez courante. Mais celles-là revêtent une importance particulière du fait d’abord de l’identité de leur auteur, une dame de la haute société, mère d’un entrepreneur puissant qui avait ses entrées chez les expatriés européens, les pachas ottomans, les marchands locaux et régionaux. Mais Mme la comtesse ne décrit pas seulement l’élite. Elle s’intéresse également aux subalternes, aux domestiques, aux bonnes à tout faire, aux majordomes et aux cuisiniers… L’importance de ces écrits réside également dans leur datation historique puisqu’ils couvrent une période de transition déterminante dans l’avenir des pays concernés, qu’ils soient orientaux ou occidentaux. «Ce précieux document est une contribution originale, voire unique à l’étude d’une période critique de notre histoire, affirme l’éditeur Ghassan Tuéni. J’ose dire que nous sommes en présence d’une relation de l’histoire au quotidien, réelle, sans artifice ni fioritures.» Il ajoute que ce document devrait avoir sa place dans une éventuelle étude socio-anthropologique du XIXe siècle, qui servirait à mieux expliquer les événements prénommés, un peu hâtivement, tantôt massacres, tantôt guerres civiles ou enfin, pour simplifier, guerres de religions. Comme le note si bien Leila Fawaz dans la préface, «Mme de Perthuis semble avoir été une personne assez aimable quoique son attitude envers les autres cultures, bien que bienveillante, était assez condescendante comme cela était souvent le cas avec un membre d’une superpuissance à l’époque de la domination européenne. Au-delà de la gaieté des dîners, des excursions, des sorties et des rassemblements en famille, des travaux de charité (…), se trouve une étrangère qui observe une autre culture, un autre peuple, non seulement avec une curiosité intellectuelle et une grande compassion, mais aussi, peut être par mégarde, depuis sa position avantageuse d’européenne à l’époque de l’inégalité entre les grandes et petites puissances, entre l’Occident et l’Orient». Ah, ce petit air de déjà-vu. Maya GHANDOUR HERT
Un vrai plaisir que de lire « Voyages en Orient », le journal inédit de la comtesse du Perthuis (éditions Dar an-Nahar). Un style guindé, concis, précis, presque dépourvu de sentiments, un brin condescendant (quand même) pour décrire des événements qui se sont déroulés dans cette région du monde au milieu du XIXe siècle et qui ressemblent d’une manière ahurissante à...