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Actualités - CHRONOLOGIE

Cet organe, institué par le traité de fraternité et de coopération, met en péril la séparation des pouvoirs Le Conseil supérieur syro-libanais, un monstre juridique aujourd’hui en veilleuse Lélia MEZHER

Le traité de fraternité et de coopération signé par la Syrie et le Liban figure en annexe du « pacte national libanais » ratifié par le Parlement libanais le 5 novembre 1989. En effet, dans la foulée de l’accord de Taëf qui a mis un terme a la guerre fratricide dans laquelle s’était empêtré le Liban depuis 1975, une foule d’accords économiques et culturels ont été signés en annexe, dont le traité de fraternité et de coopération, qui, en pratique, chapeaute toutes ces autres conventions, et ce grâce au large spectre de compétences qui lui ont été octroyées. Ce traité de coopération, signé le 22 mai 1991 par les présidents respectifs des deux pays, Hafez el-Assad et Élias Hraoui, répondrait « aux aspirations des deux peuples » et a pour objectif de « réaliser le pacte national libanais », comme l’indique, en préambule, ce traité. Le texte est organisé en six articles, dont le dernier jette les bases, entre autres, d’un conseil intitulé « Conseil supérieur ». Si tous les articles qui figurent dans le traité sont caractérisés par des termes choisis délibérément pour être généraux et imprécis, ce sixième article l’est d’autant plus qu’il institue un nombre illimité d’organismes. Le texte dispose ainsi que « les organismes suivants sont constitués afin de réaliser les objectifs de cette convention, il est aussi possible de créer d’autres organismes, par le biais d’une décision du Conseil supérieur citée ci-dessous ». Il convient en outre de garder à l’esprit, dans ce cadre, que ce traité a valeur constitutionnelle. Compétences Le texte du traité détermine les membres de ce Conseil et dispose que « le Conseil est constitué du président de chacun des deux pays » ainsi que, côté syrien, du « président du Conseil du peuple, du Premier ministre et du vice-Premier ministre ». Côté libanais, participent à ce Conseil « le président de la Chambre des députés, le Premier ministre et le vice-Premier ministre ». L’article 6 du traité précise d’autre part que le Conseil tient une réunion par an, mais aussi « lorsque le besoin s’en fait ressentir ». Le lieu de réunion n’est pas précisé par le texte, puisque celui-ci souligne qu’il sera décidé en temps voulu. Pour ce qui est des compétences de cet organisme, le texte les définit comme suit : « Le Conseil supérieur met en place la politique générale de coopération entre les deux pays, dans les domaines politique, économique, sécuritaire, militaire et autres. Le Conseil en supervise l’application et adopte les plans et les décisions prises par le comité de suivi et de coopération » et par les autres commissions spécialisées créées par le traité. Quelle est, d’autre part, la force juridique de ces décisions ? L’alinéa suivant indique que toutes les décisions du Conseil sont obligatoires pour les deux pays et entrent en vigueur immédiatement. D’autre part, le Conseil détermine l’ordre du jour, « les sujets » que les commissions « ont le droit d’examiner ». Les décisions desdites commissions sont « effectives dès qu’elles émanent » des commissions spécialisées. Le Conseil décide donc, par lui-même, de son ordre du jour, mais le traité de coopération met aussi en place un comité de suivi, chargé de soumettre au Conseil supérieur toutes les « questions qu’il devra examiner ». Le comité de suivi est composé d’un nombre indéterminé de membres puisque le texte du traité dispose : « Le comité de suivi est composé du Premier ministre de chacun des deux pays, en plus d’un certain nombre de ministres concernés par les relations bilatérales. » Une fédération qui ne dit pas son nom Pour déterminer la nature des accords signés entre la Syrie et le Liban, il convient de revenir aux principes fondamentaux du droit international public. En effet, le droit reconnaît trois sortes d’États : l’État unitaire, l’État confédéral et enfin l’État fédéral. Il convient de souligner, d’emblée, qu’après avoir signé un traité comme celui du traité de fraternité et de coopération, le Liban avait tiré un trait sur ses caractéristiques d’État unitaire. Sans vouloir rentrer dans les détails ayant trait à la validité de son consentement, du point de vue juridique, eu égard notamment aux circonstances qui ont entouré la signature dudit traité, il convient néanmoins de mettre en exergue l’ampleur des attributions du Conseil supérieur, attributions qui officialisent d’ailleurs la mainmise hermétique du régime syrien sur le système politique et institutionnel libanais dans son ensemble. Les traités syro-libanais instituent-ils donc une confédération ? Rien n’est moins sûr. Dans une confédération, les deux États demeurent souverains, et l’association des pays est opérée par le biais de négociations entre les pays, et sont ensuite suivies par une ratification par le Parlement. Une confédération n’altère donc pas la souveraineté des pays y participant, puisque la coopération se limite au champ de la politique étrangère. En pratique, le traité de fraternité et de coopération instituerait donc une fédération qui ne dit pas son nom, car le Conseil supérieur ainsi créé est une sorte de supra-institution qui chapeaute en pratique toutes les autres institutions des deux pays. Ses compétences, comme nous l’avons vu plus haut, sont très larges, et le texte prend soin d’octroyer à ses membres un pouvoir discrétionnaire leur laissant la possibilité de décider de l’opportunité de la création de nouvelles commissions spécialisées ou de rapprocher les dates de réunion. En hibernation depuis le retrait syrien Cette fédération n’a pas été officiellement reconnue par les textes, sans doute principalement à cause des réticences des pays occidentaux, qui voyaient d’un mauvais œil une assimilation officielle du Liban par la Syrie. Une autre raison qui a empêché la Syrie d’officialiser cette assimilation : sa volonté de conserver un vote qui lui est favorable, au sein des instances internationales, type ONU ou Ligue arabe. Car, comme l’explique un analyste ayant souhaité garder l’anonymat, dans ce traité, « les Libanais ont servi de simple couverture » et ils ont permis à la Syrie de « réaliser ses desseins ». Il est en effet nécessaire de se replonger dans le contexte historique de l’époque pour se rendre compte que l’équilibre entre les deux pays avait alors été sérieusement rompu en faveur de la Syrie. La partie libanaise ne jouait plus alors qu’un rôle de simple « prête-nom » servant à camoufler des décisions prises unilatéralement par la Syrie. Ce Conseil, pur produit de la partie syrienne, constitue sur le plan constitutionnel une nette violation du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, sur lequel est d’ailleurs fondé le système parlementaire libanais. Le concept même de ce Conseil est une entrave au principe de séparation, puisqu’il réunit, dans le cadre d’une même instance, les chefs d’État, les Premiers ministres et les présidents des Chambres des deux pays. C’est un monstre institutionnel et constitutionnel, pratiquement gelé depuis le retrait de l’armée syrienne en mars 2005. De source gouvernementale, on aime à souligner que ce « Conseil est non seulement gelé, il est dans un coma très profond » et que, « depuis la détérioration des relations syro-libanaises, il est mis en veilleuse ». Existe-t-il une volonté, au sein du Parlement, de voir le texte abrogé ? Les sources précitées indiquent que, « même si cette volonté n’existe pas, il n’y a pas non plus de volonté de le refaire fonctionner ». Il convient de préciser à cet égard que, sur le plan purement juridique, l’abrogation de n’importe quel traité est possible sur simple vote de la Chambre. Le Parlement libanais est donc en mesure de révoquer le traité de fraternité et de coopération, encore faut-il que, pour cela, il existe une réelle volonté politique et que celle-ci ne soit pas de nature à compliquer encore plus les relations désormais houleuses entre le Liban et la Syrie. Car il faut savoir qu’un texte, même gelé plusieurs années durant, ne devient jamais caduc. L’analyste politique précité prend pour exemple le texte de la résolution onusienne numéro 425, votée en 1978. Cette résolution, qui demandait le retrait des forces israéliennes du Liban, n’a trouvé application qu’au printemps de l’an 2000. Gelée plusieurs années durant, elle a néanmoins été appliquée lorsque les circonstances politiques y ont été favorables.
Le traité de fraternité et de coopération signé par la Syrie et le Liban figure en annexe du « pacte national libanais » ratifié par le Parlement libanais le 5 novembre 1989. En effet, dans la foulée de l’accord de Taëf qui a mis un terme a la guerre fratricide dans laquelle s’était empêtré le Liban depuis 1975, une foule d’accords économiques et culturels ont été...