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Actualités - CHRONOLOGIE

Conférence - Les multiples vestiges archéologiques attestent de leur popularité « Des thermes aux hammams : histoire des bains collectifs », par Boussac et Charpentier

L’histoire du bain collectif en Orient date du temps des Grecs. C’est toutefois à l’époque romaine que les thermes se répandirent dans tout l’empire et même dans les villages les plus modestes. Ouverts aux hommes et aux femmes, les bains étaient de véritables complexes architecturaux qui comprenaient des salles de sport, des bibliothèques, de petits théâtres, des salles d’eau de différentes températures. Même le mélangeur d’eau froide et chaude existait à cette période. S’appuyant sur les écrits antiques, les sondages et les monuments mis au jour, principalement en Égypte, Marie-Françoise Boussac (Université de Lille) et Gérard Charpentier (CNRS-IFPO) ont donné, à l’invitation des Amis du musée de l’Université américaine de Beyrouth, une conférence intitulée « Des thermes aux hammams : histoire des bains collectifs ». Les deux spécialistes devaient souligner à cette occasion que les thermes de Beyrouth et ceux de Beit-Méry ainsi que les bains « monumentaux » de Tyr, « les plus prestigieux du Moyen-Orient » mériteraient une étude plus approfondie. Les Grecs avaient l’habitude de se laver avec peu d’eau en utilisant le plus souvent le bain par aspersion dans un espace collectif. Avec la conquête macédonienne, cette pratique, qui était associée la plupart du temps à des exercices physiques, est importée en Égypte où elle trouve un « extraordinaire succès ». Les conférenciers signalent qu’à l’image de ceux de Taposiris-Magna (près d’Alexandrie), les vestiges architecturaux de ces bains souterrains, sont « admirablement préservés » et permettent de rendre compte de l’architecture balnéaire et de ses équipements. « Les baigneurs, qui transitaient par une première salle et se répartissaient dans deux rotondes, probablement en fonction de leur sexe, s’installaient dans des cuves plates accolées les unes aux autres contre le mur périphérique des salles circulaires. Le personnel des bains venait alors les asperger d’eau. Celle-ci était récupérée dans une petite cuvette située devant les pieds des baigneurs. » L’eau utilisée était tirée des puits à l’aide de machines hydrauliques (type saqiéh) et chauffée dans des foyers. Elle pouvait parfois être trop chaude comme l’indique le texte d’un papyrus du IIIe siècle avant J-C, qui mentionne la plainte d’une cliente ébouillantée par un garçon de bain. Du bain collectif à la baignoire individuelle La période romaine reste toutefois la mieux documentée dans l’histoire du bain public, explique Gérard Charpentier, indiquant que l’analyse architecturale des thermes a permis de relever les aspects liés aux circulations humaines (baigneurs, services), ou techniques (eau propre, eau usée, air chaud, fumées, lumière) et de montrer les évolutions des pratiques en fonction des changements de programmes. En gros, les thermes se composaient de quatre salles principales : le laconicum (salle de transpiration sèche), le caldarium (bains chauds), le tepidaruium (bain tiède), le frigidarium (bain froid). Les salles étaient coiffées de coupoles et dotées d’une ouverture à leur sommet (oculus). Le sol et les murs étaient chauffés par un système de chaudières et de réservoirs appelés hypocaustes. L’air chaud circulait sous les bains surélevés par des piliers de briques, mais aussi dans les murs au moyen de conduits en terre cuite. Reflet de la richesse de la ville, les bains pouvaient être luxueusement décorés, les sols tapissés de marbre ou de mosaïques et les murs peints. Plus tard, à l’époque byzantine, alors que l’on croyait que sous la pression de l’Église les bains collectifs avaient disparu, « les examens détaillés des édifices et les résultats archéologiques attestent, au contraire, d’un regain de vitalité de ces ensembles thermaux, aux IVe, Ve ou même VIe siècles », fait observer le spécialiste de l’IFPO. Il relève que dès la période protobyzantine, on observe au Proche-Orient une multiplication de petits bains collectifs, même au sein des villages. « L’étude de ces bains plus modestes semble indiquer la disparition progressive du bassin collectif au profit de la baignoire individuelle et du bain par aspersion. Cette nouvelle pratique peut être à l’origine d’une restructuration progressive d’un système fondé sur le renouvellement de la vapeur. » Gérard Charpentier signale également que le passage des thermes aux hammams fait aujourd’hui l’objet d’une controverse qui aboutit à deux points de vue différents : « L’un privilégie la filiation directe entre les bains de l’Antiquité et les premiers hammams ; le second souligne l’influence du monde oriental d’où proviendrait le système du bain de vapeur. La recherche doit être poursuivie ». Le conférencier ajoutera, par ailleurs, que l’avènement de l’islam n’a pas constitué une rupture dans la culture du bain et que du point de vue architectural, « les bains de l’époque omeyyade et abbasside se situent dans les traditions des bains protobyzantins de la Syrie du Nord, qui sont adaptés avec quelques modifications, mais sans vraiment de renouvellement ». Quant aux décors, « les héritages classiques et sassanides dominent les apports qualifiés d’arabo-musulmans », a-t-il encore dit. Innovation à l’époque ayyoubide Des technologies nouvelles dans les systèmes de chauffage et de distribution de l’eau vont apparaître à l’époque ayyoubide. De même, la disposition et les fonctions des salles se conforment désormais à des schémas nouveaux. D’où viennent ces innovations ? « La question reste actuellement sans réponse. Parallèlement, on construit toujours des bains qui suivent l’organisation locale classique, en usage dès l’époque tardo-antique », affirme Gérard Charpentier. Les bains de l’époque mamelouke adoptent les héritages antérieurs, ayyoubides. « Du point de vue technologique, il n’y a plus guère d’innovations, mais les fonctions des pièces, leurs volumes, leurs décors semblent dorénavant soumis à des impératifs précis, dictés par les traditions locales », ajoute encore le conférencier, soulignant que la première moitié du XVIe siècle et par la suite, les transformations économiques, sociales et culturelles du XIXe siècle furent marquées par l’apparition de nouveaux quartiers et la construction de nouveaux hammams. Gérard Charpentier devait conclure en soulignant que « si plusieurs monographies anciennes ont été consacrées aux aspects architecturaux de certains bâtiments, l’abandon rapide de la pratique des bains publics entraîne aujourd’hui la fermeture, puis la destruction de bon nombre de ces anciens établissements ». « Il y a donc urgence, conclut-il, à reprendre les études architecturales et à établir un inventaire aussi exhaustif que possible de ces édifices. Outre les bâtiments eux-mêmes, les chercheurs disposent d’abondantes sources documentaires d’ordre administratif, juridique ou littéraire peu ou pas exploitées. Leur exploitation systématique permettrait de tenter une véritable approche anthropologique de la pratique du bain durant la période ottomane. » M. M.
L’histoire du bain collectif en Orient date du temps des Grecs. C’est toutefois à l’époque romaine que les thermes se répandirent dans tout l’empire et même dans les villages les plus modestes. Ouverts aux hommes et aux femmes, les bains étaient de véritables complexes architecturaux qui comprenaient des salles de sport, des bibliothèques, de petits théâtres, des...