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Actualités - REPORTAGE

ÉDITION JEUNESSE - Créée en 2005, la maison d’édition a obtenu récemment la reconnaissance du Salon de Bologne Dar Ounboz «sème à tout vent»

Comment perçoit-on le livre de langue arabe ? Que signifie la littérature jeunesse ? Est-on à l’écoute des besoins des enfants ? Questionnement qui engendre un débat. Et, au bout du compte, un changement, un revirement dans le domaine opérés par la volonté de Nadine Touma, Sévine Ariss et Raya Khalaf. Avec des idées plein la tête et de l’amour plein le cœur, les trois jeunes femmes relèvent le défi en 2005 et créent Dar Ounboz. Aujourd’hui, plus qu’une maison d’édition, cette famille de créatifs s’est agrandie, a fait du chemin et se réjouit d’avoir déjà son lectorat jeune et la reconnaissance de ses pairs. «Si on donne des graines de chanvre aux oiseaux, ils gazouillent, dit Nadine Touma, éditrice, rédactrice et catalyseur de la maison Dar Ounboz. Tel était notre objectif premier: faire aimer la langue arabe aux jeunes en mettant à leur portée des livres de qualité, tant au niveau du contenu que de la forme, jeter des passerelles entre parent et enfant, et enfin ouvrir d’autres horizons en initiant des espaces de lecture, même si cela supposait un “U Turn”, un renversement de certains acquis.» À l’origine de ce projet innovateur et audacieux, une seule vision que partagent les trois amies et qu’elles entendent communiquer aux autres. «C’était certainement les lacunes qu’on percevait dans les livres de jeunesse qui ont déclenché cette action, mais nous avions également l’intention de prendre une autre direction que nos prédécesseurs», avoue Touma. «Et, poursuit-elle, si le nom choisi de la maison fait allusion aux graines de chanvre qui rendent l’oiseau guilleret, il évoque néanmoins pour moi un souvenir personnel. Autrefois, ma grand-mère salait et grillait ces graines et les distribuait à ses petits-enfants tout en leur racontant de belles histoires. C’est donc en hommage à cette oralité, acquise en héritage, que j’ai donné ce nom à la grande famille de Dar Ounboz. Créer des rêves Il s’agit effectivement de famille, puisque la chaîne qui s’est construite au fil des jours entre imprimeurs, distributeurs, illustrateurs et rédacteurs s’est tissée d’amour et de partage. «On n’aurait pu participer à un tel travail s’il n’y avait pas à la base de l’amour. C’est notre respect pour l’enfant, d’une part, et notre amour de la langue arabe et des belles choses, de l’autre, qui nous ont poussé à nous lancer dans ce projet.» «L’édition d’un ouvrage nécessite beaucoup de temps et les efforts conjugués de toute l’équipe, ajoute Touma. C’est un travail de dialogue, de va-et-vient, qui engage Sévine, chargée de la musique et des films (qui accompagnent souvent les ouvrages); Raya, pour les illustrations, et moi-même. La conception que nous avons du livre est différente des autres conceptions. Pour nous, un livre mis entre les mains d’un enfant se doit d’être un ouvrage artistique, mêlant différentes disciplines. Ainsi donc, les travaux de la musicienne Iman Homsi, de la peintre Zeina el-Khalil, d’ingénieurs de lumière et d’autres créatifs se sont greffés à cette cellule familiale pour apporter leur contribution imaginative.» Faire rêver l’enfant, forcer les portes de son imaginaire, mais également lui refaire découvrir la langue arabe, si colorée et si musicale, tout en l’employant comme vecteur qui, non seulement véhiculerait des sensations, mais replacerait l’enfant dans son propre contexte et dans sa problématique personnelle, tel était l’enjeu de cette entreprise. Bousculer les interdits Pour y arriver, il fallait dépasser de nombreux obstacles. La plupart des livres jeunesse en langue arabe s’étaient installés dans une sorte de laxisme, négligeant les besoins réels de l’enfant, privilégiant la facilité et la monotonie. L’ouvrage de lecture allait devenir, avec le temps, plus une corvée qu’un divertissement. Alors que les jeunes semblaient admettre, voire adopter cette nouvelle vision qui leur était proposée, les réticences se faisaient entendre de la part des adultes. Incompréhension des textes ou refus de comprendre? Pression des tabous ou peur du nouveau? Soutenus et encouragés d’abord par des groupes de pédagogues, puis par le ministère de l’Éducation et les bibliothèques publiques, les débats et les conférences se sont multipliés dans les écoles et ont permis d’ouvrir une brèche. Peu à peu, la maison d’édition imposait ses opinions. À Dar Ounboz, les lettres de l’alphabet sont des filles en fleurs ou en pierres précieuses, la perte d’un être cher est évoquée par celle des doigts et la peur est synonyme de papillons qui trifouillent le ventre. Dans cet univers, les gosses jouent encore avec les guêpiers (wirwar), escaladent des arbres et hument l’arôme des concombres d’antan. Le passé s’est fait présent, sans nostalgie aucune, mais dans le respect de l’authenticité. Toutes les «choses de la vie» deviennent des métaphores que l’enfant peut saisir dans son espace de solitude, en groupe, ou accompagné d’un adulte. On ne lui cache rien, mais on le laisse comprendre par des images, des illustrations et souvent par des mots simples. L’univers de l’enfant Les enfants de Dar Ounboz sont uniques. Pas de formatage ou de clonage, mais une identité particulière et des états d’âme qui s’habillent de couleurs. Là, on ne craint pas le noir, le gris ou les pages blanches, car ces tonalités sont synonymes d’humeurs. L’esprit ouvert, l’enfant a la faculté de comprendre si on lui donne les outils nécessaires pour la perception. Il peut se laisser aller à sa «kharbacha» (gribouillage) car elle est génératrice d’idées ou d’action. Enfin, chez Dar Ounboz, le livre n’est pas nécessairement éducatif et certainement pas moralisateur. «Nous nous sommes toujours opposées à cette politique moralisante qu’on essaye à tout prix d’infliger aux enfants à la fin de chaque ouvrage littéraire. C’est principalement pour cette raison que le livre est devenu un objet rébarbatif et que l’enfant s’en est éloigné, confie Nadine Touma. Nous essayons de l’en rapprocher et de le faire adopter par lui pour qu’il fasse partie un jour de la vie quotidienne du jeune sans contrainte. Dans les livres édités, on privilégie le monde de l’enfant à l’enfant lui-même. Un univers fait de rêves, de curiosité et de questions qui n’ont pas nécessairement de réponses.» Aujourd’hui, les artistes qui veulent partager la même vision que l’équipe de Dar Ounboz embarquent pour la grande aventure qui réserve certainement encore beaucoup de surprises. Objets parlants, du vivant et du vécu, leurs livres ont réussi à élargir les horizons artistiques de l’enfant et à aborder, en toute simplicité, le thème de la conception de soi: terrain, qu’on craignait, jusque-là, de fouler. Colette KHALAF

Comment perçoit-on le livre de langue arabe ? Que signifie la littérature jeunesse ? Est-on à l’écoute des besoins des enfants ? Questionnement qui engendre un débat. Et, au bout du compte, un changement, un revirement dans le domaine opérés par la volonté de Nadine Touma, Sévine Ariss et Raya Khalaf. Avec des idées plein la tête et de l’amour plein le cœur, les trois jeunes...