Aphorismes Le Mouvement du 30 février

Connaissez-vous les Agathyrses? Non? Alors, peut-être avez-vous entendu parler des Boudines, des Crobyses, des Dérousiens, des Gandariens, des Hyrcaniens, des Iyrces, des Lasoniens, des Macrons, des Nipséens, des Outies, des Psylles, des Sogdiens, des Thyniens ou des Zauèces. Non plus? Eh bien, rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls. À vrai dire, il y a longtemps que personne n’a plus entendu parler de ces nations-là. Et pour cause. Ayant fait le mauvais choix au mauvais moment et mal négocié un tournant après l’autre de leur histoire, elles ont toutes cessé d’exister et sont tombées dans l’oubli. Or la question se pose aujourd’hui de savoir si les Libanais se comportant aussi sottement que jadis ces nations-là, la nation libanaise ne subira pas bientôt le même sort qu’elles. Au vu du choix que chacun au Liban semble vouloir faire de son intérêt personnel au détriment du bien public, tout porte à croire que le peuple libanais finira lui aussi par passer à la trappe de l’histoire. Face à cette éventualité, un appel solennel s’impose. Appel aux dirigeants d’abord. Pas un appel à leur conscience puisqu’ils n’en ont pas, mais un appel à leur seule vanité. Un appel pour leur dire qu’ils se trompent lourdement s’ils croient survivre au peuple libanais. Leur patrimoine, les mausolées qu’ils ont érigés à la mémoire de leurs pères, les monuments qu’ils élèvent à leur propre gloire, leur généalogie réelle ou imaginaire, leurs gènes mêmes, ainsi que leur nom disparaîtront, si le peuple libanais venait à disparaître. L’histoire ne se souviendra alors pas plus d’eux, qu’elle ne s’est souvenue d’un certain Spargapéithès qui fut pourtant roi chez les Agathyrses. Un appel, surtout aux jeunes, les premiers concernés, afin qu’ils se détournent des partis et mouvements qui cherchent à les embrigader, à les monter les uns contre les autres et à faire d’eux de la chair à canon. Un appel pour leur demander de se retrouver tous dans le cadre d’un nouveau Mouvement du 30 février, qui tiendrait son nom d’une date qui n’existe pas parce qu’il œuvrerait justement pour un pays qui, lui, pourrait bientôt ne plus exister. Dans ce Mouvement du 30 février, il n’y aurait ni maître ni disciples, ni idole ni idolâtres, ni idéologie ni credo, ni slogan ni drapeau. Pas même un drapeau blanc. Ses membres ne seraient reconnaissables ni à la couleur de leur tee-shirt ou de leur casquette ni à l’autocollant ornant leur voiture ou leur classeur scolaire, mais à leur comportement quotidien tout empreint de civilité et de maturité, ainsi qu’à leurs propos mesurés et à leur ton posé d’où toute colère aurait été évacuée. Dans leur regard assuré, on ne lirait ni la peur de l’Autre ni l’angoisse du lendemain, mais la foi en soi et la confiance en l’avenir. Et sur leur visage avenant s’afficherait, plus forte que n’importe quel slogan ou oripeau, cette sérénité propre à ceux qui auraient décidé de ne plus se fier aux charlatans et de prendre leur destinée en main. Percy KEMP