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Actualités - OPINION

TRIBUNE Carlos Eddé répond point par point à l’article de Michel Aoun Carlos EDDÉ

Dans son article paru dans le Nahar et L’Orient-Le Jour, le général Aoun loue les mérites d’un dialogue rationnel par écrit, loin des échanges instinctifs, extrêmes et confessionnels (et je rajouterais aussi dans le but d’éviter des dérapages d’humeur) mettant ainsi fin à une pratique politique de presque vingt ans. Nous félicitons le général pour ce changement et remercions l’Église maronite représentée par ses trois évêques qui réussirent cette métamorphose grâce au pacte d’honneur. Si nous partageons la position du général sur la nouvelle forme de communication politique qu’il semble vouloir adopter, qui va dans le sens que nous avons toujours prôné et bien qu’il pourrait paraître étrange de la part de quelqu’un qui a échoué aux élections de refuser la chance de se « rattraper » qu’on lui propose, il est important, pour le succès d’un dialogue démocratique et constructif et par respect des règles politiques et juridiques, de revenir sur son argumentation afin d’y apporter des corrections légales et historiques. Notons tout d’abord qu’au cours de son exposé, le général critique la « mauvaise » gestion du gouvernement et pas celle du Parlement bien que son article, d’après son intitulé, s’articule autour de la nécessité de la tenue d’élections législatives anticipées. Mais on n’est pas là à la première inconsistance ! Quand le général déclare que la mauvaise loi électorale de 2000 est cause essentielle de la demande d’élections anticipées, on constate que sa mémoire est sélective et celle de l’opinion publique très courte ou atteinte d’amnésie. Rappelons certains faits : 1) La loi électorale de 2000 était le produit du régime syrien et de leurs alliés. Avant les élections de 2005, l’ancienne Assemblée, mise en place par les Syriens et contrôlée essentiellement par le Hezbollah et Amal, et sous la direction du président Nabih Berry, donnait aux Libanais deux choix : soit les élections se tiendraient à la date prévue sous l’empire de la loi de 2000, soit les élections seraient reportées à une date indéfinie en attendant l’élaboration d’une nouvelle loi électorale. La décision finale est en fait venue du Parlement que contrôlaient les alliés du général. 2) D’ailleurs, le général Aoun dans une interview au Nahar du 31/3/2006 déclare au journaliste Radwane Akil qu’il défiait la majorité actuelle de tenir des élections anticipées auxquelles il serait prêt à participer sous l’empire de la loi de 2000. Cette affirmation a été faite librement et publiquement à la presse, sans contraintes et sans menaces, et confirme le principe selon lequel les hommes d’honneur, quand ils acceptent de jouer selon des règles, doivent s’y conformer et accepter et le résultat positif et ce qui ne leur convient pas. Notons ici en passant que le général, qui est actuellement le chantre des élections anticipées et le grand pourfendeur de la loi de 2000, n’a toujours pas fait l’effort de proposer un projet de loi électorale (contrairement au Bloc national), alors que la participation du CPL et de son bloc parlementaire aux travaux de la commission Fouad Boutros a été plus que marginale et oscillante entre la proportionnelle et le scrutin majoritaire uninominal. Peut-être faut-il encore attendre que les intérêts électoraux du général s’éclaircissent pour connaître son avis final sur la question ? Dans cette même interview, le général Aoun déclare de façon encore plus spectaculaire que suite aux élections législatives anticipées qu’il propose (sur base de la même loi de 2000), il accepterait des élections présidentielles à la majorité simple de 65 voix et non pas de 86 voix, rejetant ainsi le concept de la majorité des deux tiers, ce qui semble avoir fait l’objet d’une étude juridique approfondie de sa part. Ici, je demande comment il se permet de choisir la formule qui lui convient un jour et la rejette le lendemain quand ses intérêts personnels en sont desservis ? Le principe de la démocratie est basé sur la stabilité des institutions, de la séparation des pouvoirs et de mécanismes précis pour modifier et interpréter les lois. Or, l’opposition en la personne de son porte-parole le plus véhément interprète à sa guise, et sans aucun fondement juridique, la Constitution et les lois afin de les adapter aux nécessités du moment. Les changements de position cités ci-dessus sont à peine un échantillon parmi une multitude d’exemples. Pauvre pays et pauvre peuple qui échangent la sagesse de Georges Vedel et d’Edmond Rabbath par exemple, pour les déclarations juridico-constitutionnelles fantaisistes des généraux Lahoud et Aoun. Quant à sa grande désolation du fait que nous n’avons plus de Conseil constitutionnel, une fois de plus nous devons confronter les paroles du général à la réalité suivante : a) Ce Conseil qui avait été mis sur place par le régime de Damas, par Libanais interposés, avait été, lors de sa constitution et tout au long de son mandat, critiqué par le général Aoun et le CPL. b) À l’expiration de son mandat, il était normal qu’il fut substitué par un nouveau Conseil. c) L’affaire la plus célèbre de l’ancien Conseil constitutionnel fut sa décision lors de l’élection partielle du Metn, où il infirma la victoire de Gabriel Murr et trouva comme solution l’annulation des deux candidatures majoritaires au profit, après une longue négociation, du candidat Ghassan Moukheiber que j’avais soutenu de bonne foi. Cependant, malgré mon appui à Moukheiber, je m’étais élevé publiquement contre cette décision farfelue et j’avais demandé avec insistance et sans succès que mon candidat de l’époque n’accepte pas cette désignation facétieuse. En résumé, ce n’était pas un Conseil constitutionnel indépendant comme il devrait être conçu... Le général Aoun est devenu maintenant l’avocat de ceux qu’il critiquait dans ses déclarations enflammées. Eux n’ont pas changé de position, mais lui, par contre, si ! Il défend le même président Lahoud qui pourtant faisait l’objet de ses attaques pour les mêmes actes. Rappelons que la résolution 1559 dont le général Aoun s’octroyait la paternité était née de la volonté de reconduction anticonstitutionnelle du président Lahoud. À partir de ce moment, et par son refus de se conformer à une décision du Conseil de sécurité, la communauté internationale ne le reconnaissait plus comme président de la République. Donc il était normal que le général Lahoud ne soit pas invité à participer à des réunions internationales de chefs d’État. Le général Aoun semble oublier que le Liban, membre fondateur des Nations unies et signataire de toutes les conventions qui en découlent, est tenu de se conformer aux décisions de ses instances. Le général n’a ni le pouvoir ni le droit de rejeter ces accords et d’enfoncer le Liban parmi les parias internationaux, c’est-à-dire dans les camps de ses principaux alliés étrangers d’aujourd’hui. De même, il demande aux puissances étrangères d’arrêter leurs ingérences au Liban. Comme on est loin de ma première rencontre avec le général à Paris, où il nous disait que nous étions incapables, au Liban, de changer l’état des choses et que la solution viendrait obligatoirement des États-Unis et cela grâce à sa demande d’intervention directe dans notre pays pour obtenir le départ des Syriens et le désarmement du Hezbollah. De plus, le général déclare, sans aucun fondement historique ou juridique, qu’un grand événement comme une guerre doit entraîner de nouvelles élections. Cela est incorrect. Un gouvernement pourrait éventuellement tomber s’il a entraîné son pays dans une guerre impopulaire, illégale et désastreuse. Comme exemple, nous pouvons citer le cas du gouvernement des généraux durant la dictature en Argentine qui s’effondra suite au désastre de la guerre des Malouines contre les Anglais en 1982. Mais ici, la guerre, dont les instigateurs sont dans l’opposition et non au pouvoir, ne peut être une cause de chute de gouvernement ou d’élections anticipées. Au contraire, cette guerre a eu lieu pour forcer des changements dans le gouvernement et dans le Parlement à travers la ruine de l’économie, la fuite des cerveaux et la déprédation des institutions. Dans les régimes parlementaires civilisés, un gouvernement tombe quand il perd la confiance de l’Assemblée, et les élections sont anticipées quand le Parlement devient incapable de former une majorité nécessaire pour donner la confiance à un nouveau gouvernement. Or, cette assemblée maintient sa confiance au gouvernement et est capable en cas de changement d’assurer une nouvelle majorité. Aussi, l’affirmation du général que le gouvernement actuel serait devenu illégitime du fait de la démission des ministres chiites et en violation des textes constitutionnels passe outre (sciemment ? !) au fait que l’article 69 de la Constitution ne cite pas cette hypothèse parmi les cas où le gouvernement devrait être démissionnaire et que l’article 95 dans son alinéa 1er ne régit pas le cas où tous les ministres d’une communauté démissionneraient de leur propre gré, mais stipule uniquement que les communautés religieuses doivent être équitablement représentées lors de la formation du gouvernement. Quant à l’alinéa (j) du préambule, il ne fait qu’énoncer un principe général laissant aux autres dispositions constitutionnelles le soin de réglementer chaque situation particulière, alors que les articles 69 et 95 régissent précisément et clairement la question en débat. De même pour l’interprétation que fait le général de l’article 52 de la Constitution sur la compétence présidentielle en matière de traités internationaux, qui méconnaît le fait que le président Lahoud était présent en personne lors du Conseil des ministres qui a chargé les magistrats Sader et Riachi de négocier les termes de l’accord avec les Nations unies sur le tribunal international, et que, par conséquent, il a approuvé la délégation qui leur a été faite à ce sujet par l’État libanais. Et pour terminer, sachant qu’il existe bien d’autres points nébuleux dans l’article, je m’étonne quand le général déclare que sans respect de la Constitution (quelle Constitution ? L’officielle ou la variable qui convient au général ?) c’est la mafia de Chicago ou la Jahiliyya, la période préislamique qui gouvernerait le pays. Quel dommage que, peut-être pour se conformer à la doctrine de ses nouveaux alliés, le général efface des centaines d’années de civilisation. Durant la Jahiliyya, comme l’a appris mon fils Pierre l’année dernière en classe de sixième (1 000 ans avant la venue du prophète), la Grèce antique jetait les fondations du système démocratique vers lequel se dirigent aujourd’hui un nombre croissant de régimes de par le monde, même si ce n’est toujours pas le cas au Moyen-Orient. On sait aussi que durant la Jahiliyya (soit 800 ans avant la révélation de la parole de Dieu transmise à travers le Coran), les Romains jetaient les fondements du droit que nous connaissons et qui aboutirent vers 534 de notre ère au code Justinien, base juridique utilisée par la plupart des pays arabes aujourd’hui. Mais ce que beaucoup de nos compatriotes méconnaissent, oublient ou préfèrent effacer est que durant la Jahiliyya (400 ans avant l’ère musulmane), Beyrouth avait l’honneur d’abriter la plus fameuse école de droit du monde romain de son époque. L’école de Beryte, où enseignait Papinien, se trouve fort probablement sous la place Riad el-Solh devenue célèbre aujourd’hui par ses tentes. Des enseignements d’Aemilius Papinianus aux leçons de droit constitutionnel des généraux Lahoud et Aoun en 1 800 ans, quel progrès ! Carlos EDDÉ Article paru le Mardi 13 Février 2007
Dans son article paru dans le Nahar et L’Orient-Le Jour, le général Aoun loue les mérites d’un dialogue rationnel par écrit, loin des échanges instinctifs, extrêmes et confessionnels (et je rajouterais aussi dans le but d’éviter des dérapages d’humeur) mettant ainsi fin à une pratique politique de presque vingt ans. Nous félicitons le général pour ce changement et...