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Actualités - OPINION

La parole aux médecins L’hystérie, ou comment accorder maternité et féminité Par le Dr Chawki AZOURI*

« C’est parce que l’hystérie mobilise les défenses inconscientes contre le mystère toujours redoutable de la sexualité féminine que la ligue se reforme pour dénoncer, d’époque en époque, l’hystérie comme “impudique image de la mauvaise mère” et, tout autant, “ambigu désordre d’une chair androgyne” ». François Perrier, l’un des psychanalystes les plus brillants des années 60 et l’un des principaux élèves de Jacques Lacan, a compris l’essentiel : l’hystérique veut être mère tout en jouissant de sa féminité. Depuis que la société humaine existe, l’hystérie évolue avec cette société et la fait évoluer par cette affirmation adressée à l’idéologie au pouvoir, plus particulièrement l’idéologie judéo-chrétienne : « Je veux être mère tout en jouissant de mon corps. » Ce rapport énigmatique de l’hystérique à la maternité et à la féminité, nos ancêtres grecs et égyptiens en avaient saisi l’essentiel avec le « mythe de l’utérus migrateur ». Comme la médecine le sait bien, les symptômes hystériques peuvent prendre n’importe quelle forme et apparaître dans n’importe quelle zone du corps. Nos ancêtres pensaient que l’utérus, « en mal de sperme qu’il ne trouve pas dans le vagin, va à sa recherche dans le corps ». Chemin faisant, l’utérus peut comprimer n’importe quel organe et provoquer ainsi les symptômes hystériques. À la fin du XIXe siècle, Charcot le neurologue, Breuer le psychiatre-psychothérapeute et Chrobak le gynécologue en ont conclu que « l’hystérique voulait copuler, qu’elle cherchait des relations sexuelles, qu’elle était avide de coït » et qu’elle était malade de ne pas les avoir. Et Freud, qui fut leur élève, a été influencé par cette interprétation des symptômes hystériques. Et comme les médecins, les neuropsychiatres, les gynécologues et les psychothérapeutes, principaux interlocuteurs de l’hystérique, avaient constaté que lorsque l’hystérique tombait enceinte, ses symptômes disparaissaient, la conclusion devenait évidente : « La maternité guérissait l’hystérie. » Voilà par exemple pourquoi 100 ans après, à partir de la fin du XXe siècle, les stérilités psychogènes encombrent les cabinets des gynécologues. Mais pourquoi également un nombre incalculable de fécondations in vitro (FIV) échouent-elles ? Pourquoi les hystériques fuient-elles les psychiatres ? Pourquoi pour les accueillir, ou pire les attirer, voit-on pousser comme des champignons tout genre de psychothérapies individuelles et collectives (on en compte actuellement 700 de par le monde), qui s’appuient sur la suggestion et l’hypnose et entraînent leurs patients dans des transferts individuels sans fin ou dans des délires collectifs qui nourrissent la cohésion des sectes ? Et pourquoi ne viennent-elles à la psychanalyse qu’en fin de parcours, avec des symptômes secondaires de la maladie tels qu’il est quasiment impossible de les aider ? Parce que les gynécologues ne comprennent pas la femme hystérique, ni les psychiatres, ni les psychothérapeutes et encore moins une certaine catégorie de psychanalystes. Le mystère de la sexualité et de la jouissance féminine reste entier parce qu’il fait peur à tout le monde et que personne ne veut le sonder. Ni les partenaires sexuels de l’hystérique, ni les médecins, les psychiatres, les psychothérapeutes et ni la société dans laquelle évolue ce beau monde ne tiennent à le lever. Si encore aujourd’hui tout ce beau monde veut qu’elle tombe enceinte, comme aux siècles passés et comme depuis toujours, que les gynécologues s’acharnent à l’engrosser, que les maris la boudent si elle avorte et que les pères s’indignent de voir que leur fille n’est pas encore mère, « c’est parce qu’à travers la grossesse, ils veulent la faire taire. Comme depuis toujours. Ils veulent la faire taire en la faisant mère ». La femme en elle leur fait peur, les remet en question dans leur fonction phallique, remet en cause leur savoir médical et se rebelle contre leur ordre établi et son idéologie judéo-chrétienne. Ils n’ont pas compris que si l’hystérique voulait être mère, ce n’est pas pour la maternité en soi, « mais parce que la maternité met un frein à son désir de jouissance infinie et lui assure de ne pas être persécutée par l’idéologie ambiante de l’ordre établi ». En dehors de l’injonction à la maternité, constante qu’on retrouve à toutes les époques, les défenses inconscientes contre le mystère de la sexualité féminine dont parle Perrier s’expriment différemment selon les époques. Ainsi, au Moyen Âge, l’hystérique était prise pour une sorcière et l’Inquisition la persécutait pour des prétextes divers, mais symboliquement marqués. La chasse aux sorcières était déclenchée sous le prétexte d’empoisonnement des puits (lait maternel empoisonné) ou d’avortement des vaches (avortement des vaches laitières par excellence). Mais en réalité, la chasse aux sorcières était la vengeance des inquisiteurs contre « celles qui connaissaient, lors des sabbats, des jouissances secrètes à elles seules réservées ». De même, au XIXe siècle et avant Charcot, on accusait les femmes hystériques de simulation et de mensonge parce qu’on supportait mal la jouissance féminine qu’elles mettaient en scène pendant leurs crises pseudo-épileptiques. En « opisthotonos », c’est-à-dire le corps hypertendu et cambré en arrière, ou plus tard hypnotisées par Charcot, les hystériques de la Salpêtrière donnaient à voir quelque chose de cette jouissance féminine mystérieuse. Et sur le visage de ces hystériques, on retrouvait l’expression de l’extase propre aux religieuses mystiques, comme le montre bien Bernini dans L’Extase de sainte Thérèse d’Avila. Chez les mystiques, la transe ou l’extase indiquent que le contact avec quelque chose de divin a bien eu lieu. Et c’est bien cette rencontre avec le divin qui spécifie la jouissance féminine, « marquée ainsi du sceau de l’infini ». La jouissance de la femme est décrite par Jacques Lacan comme une jouissance autre, une jouissance infinie. Et comme il doit exister une limite à toute jouissance sinon elle conduit à la mort, ce sont les enfants de la femme qui lui imposeront cette limite. Les enfants sont « le bouchon de la jouissance » féminine, dira Lacan car dans sa quête de jouissance infinie, la femme hystérique refuse toute limite. Voilà comment et pourquoi l’hystérique réussit à accorder maternité et féminité, échappant à sa soif de jouissance infinie et aux persécutions que lui réserve tout ordre établi, quelle qu’en soit l’époque. D’où le péjoratif du mot hystérie qui l’accompagne depuis toujours. * Psychiatre et psychanalyste, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Mont-Liban. Prochain article : L’hystérique et la bisexualité RUBRIQUE RÉALISÉE PAR NADA MERHI
« C’est parce que l’hystérie mobilise les défenses inconscientes contre le mystère toujours redoutable de la sexualité féminine que la ligue se reforme pour dénoncer, d’époque en époque, l’hystérie comme “impudique image de la mauvaise mère” et, tout autant, “ambigu désordre d’une chair androgyne” ». François Perrier, l’un des psychanalystes les plus...