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Actualités - OPINION

IMPRESSION Courage, aimons-nous !

Nous avons de nous-mêmes une bien piètre idée. Pas plus tard qu’hier, en traversant la rue embouteillée, j’ai entendu le passager d’un taxi, embarqué dans une discussion politique avec son chauffeur, s’exclamer : « Nous sommes un mauvais peuple ». Il disait « nous sommes » avec une telle véhémence ! Il en avait plein la bouche de ce « nous » qui embrassait dans un même élan son chauffeur et lui-même, le piéton qui traversait la rue, le valet-parking du traiteur, les élèves entassés dans l’autocar du retour, le saint Élie de l’église centenaire, et jusqu’au ciel que l’horizon semblait tirer vers lui comme une couverture trop courte. Un mauvais peuple. Que ne l’avons-nous entendu, de nos propres compatriotes, ce jugement sévère, et comme nous sommes prompts à l’accepter et à battre notre coulpe ! Il est donc bien facile de convaincre un Libanais qu’il est « mauvais », qu’il ne lui arrive que ce qu’il mérite, et qu’en vertu de cette fatalité tout espoir lui est interdit. Il m’a paru tout à coup urgent, et même prioritaire, d’œuvrer à la reconstruction de ce « self-estime » qui nous fait cruellement défaut. Dans mon enfance, l’Éducation nationale encourageait le culte de la patrie. Ma génération a grandi avec au cœur un Liban hypertrophié. Un Liban d’hommes prodigieux, de neiges immaculées, de paysages inouïs, un Liban accueillant, généreux, tolérant, avec son climat unique et ses fruits à la saveur incomparable. Il a fallu la guerre pour saccager le mythe. La haine, la peur, la crasse, les destructions, les massacres, rien n’aura été épargné à la carte postale que nous conservions malgré tout à la page où tout s’est arrêté. Aux frontières des pays qui nous ont accueillis, nous avons déclaré avec une fierté dérisoire que nous venions de ce pays-là. Mais ce trou-du-cul du monde, personne n’en avait jamais entendu parler. Ah, c’est près d’Israël ? Ah, c’est quelque part en Syrie ? Ils ne voyaient pas, et quand ils voyaient, ils n’avaient que la guerre pour référence. Pour continuer à croire en nous-mêmes, et parce que sur ce terrain nous pouvions encore donner le change, nous avons déclaré leurs pommes blettes, leurs tomates insipides et leurs concombres ridiculement grands. Plus que d’autres il nous a fallu, pour garder le front haut malgré toutes nos misères, réussir à l’école, réussir à la fac, réussir dans les entreprises qui nous ont fait confiance. Nous nous sommes construit une image de battants. Chacun de nous savait qu’il reviendrait un jour au pays, avec des ambitions qu’il lui fallut revoir à la baisse. La guerre avait creusé un fossé entre ceux qui sont restés, ceux qui sont partis, et ceux qui rêvent encore de partir. Mauvais qui ? Ici et là nous avons lutté pour survivre. D’autres enfants sont nés dans un pays morcelé. On ne leur a pas appris la carte postale. Ils ont grandi sur des territoires exigus qui n’avaient d’horizon que la frontière interdite d’un autre pré-carré. Tant de patries se sont greffées au cœur de la patrie. Quand les cloisons sont tombées, les peurs anciennes les ont à nouveau érigées dans les mœurs. Et pourtant. Il s’agit bien d’un même peuple issu de la même glaise, forgé de la même trempe. Un peuple qui a tous les courages. Pourvu que lui vienne celui de s’accepter dans toutes ses composantes. Pourvu que lui vienne celui d’aimer. De s’aimer. Fifi ABOU DIB
Nous avons de nous-mêmes une bien piètre idée. Pas plus tard qu’hier, en traversant la rue embouteillée, j’ai entendu le passager d’un taxi, embarqué dans une discussion politique avec son chauffeur, s’exclamer : « Nous sommes un mauvais peuple ». Il disait « nous sommes » avec une telle véhémence ! Il en avait plein la bouche de ce « nous » qui embrassait dans un...