Rechercher
Rechercher

Actualités

PORTRAIT D’ARTISTE - Samar Mogharbel : prix du musée Sursock 2006 La glaise, expression de chair et de sang...

Elle fait de l’art pour l’art. Pas plus pour l’argent que pour la notoriété. La preuve : elle enterre dans le sol, un peu partout en montagne, ses sculptures qu’elle juge inabouties (alors que d’autres les vendent !) et sur les autres, qu’elle expose, elle « oublie » d’apposer sa signature. Samar Mogharbel, dont l’installation en argile, Voitures piégées, a remporté le prix du musée Sursock du Salon d’automne 2006, affiche un certain détachement envers les honneurs et la reconnaissance. Certes, elle est heureuse d’avoir obtenu ce prix, mais c’est surtout parce qu’il rend, d’une certaine façon, « un hommage à la céramique », soutient-elle. Elle, pour sa part, a rendu, à travers l’œuvre qu’elle a réalisée – six véhicules en céramique, aux carrosseries cabossées, compressées, déformées de manière hyperréaliste – un hommage aux martyrs de la deuxième indépendance. Un travail éloquent, en rapport direct avec l’actualité. Mais aussi et surtout un travail d’une grande maîtrise technique et d’un esthétisme affranchi de toutes fioritures, aboutissement naturel de deux décennies d’expérimentations. Car pour cette céramiste qui s’intéresse au « processus plus qu’à la forme finale », c’est dans la pratique constante, et constamment renouvelée, que son travail est passé de la production d’objet artisanal à celle de pièce artistique. Une lente maturation qui l’a portée, au fil des ans, à s’écarter de l’art conventionnel du tour à potier pour jouer dans la cour des sculpteurs. Céramiste ou sculptrice ? La question se pose tant les interférences entre les deux domaines sont marquées dans l’œuvre de Mogharbel. « Céramiste », assure-t-elle. Car elle a beau façonner des bustes, des effigies, des personnages, reproduire au détail près des objets divers, c’est ce subtil dosage de gestes qui « enlèvent et qui remettent » les mottes de terre humide qui, pour Samar Mogharbel, fait toute la différence. « En sculpture, on ne fait que creuser, vider, enlever. Alors que dans la céramique, il y a un échange, un dialogue, un rapport de force parfois... », dit-elle. Addiction Samar Mogharbel aime la terre, d’un amour quasi viscéral. Dans sa petite enfance déjà, elle s’amusait à retourner la terre du jardinet de la maison familiale, « non pour planter des fleurs, mais seulement pour plonger les mains dans le sol », se souvient-elle. Plus tard, alors qu’elle étudiait la gestion des affaires à la LAU, c’est sa rencontre avec Dorothy Kazemi qui réveillera en elle cette inclination première. « J’ai éprouvé une sorte de fascination pour son travail et je me suis inscrite à son cours de céramique. À partir de là, le tour, l’eau et la terre ont créé chez moi une dépendance. » Elle laisse alors tomber ses projets de « business » et s’installe à Londres pour peaufiner sa maîtrise de la poterie artistique au Goldsmith’s College University. Elle y suivra des cours de glaçure et de moulage avant de rentrer, vers la fin des années quatre-vingt, à Beyrouth pour enseigner la céramique à la LAU, à la place de Dorothy Kazemi qui avait quitté le pays. Parallèlement à l’enseignement, Mogharbel continue à expérimenter divers processus de créations de formes, de textures et d’oxydations. Lié à son quotidien, à son vécu, son travail dépasse dès lors la pure recherche des lignes pour s’atteler à donner un « visage » à la terre. En 1997, avec la peintre Greta Naufal, elle proteste, à travers son travail, contre le changement radical du centre-ville. Naissent alors sous ses doigts des effigies, des bustes d’hommes et de femmes en céramique. Des êtres de terre, représentation symbolique des anciens habitants des lieux, qui donnent « chair » aux idées de l’artiste, engagée dans la vie de la cité. Elle participe en 1998 aux fouilles archéologiques de Beyrouth et réalise, en aidant à mettre au jour des pièces sumériennes datant de 3000 ans avant J-C, la pérennité de la poterie. Du coup, son travail prend une dimension nouvelle. Elle se débarrasse graduellement des glaçures pour un effet plus cru, plus naturel. L’année suivante, son travail fait l’objet d’une rétrospective au musée Millesgarden en Suède. Deux ans plus tard, toujours inspirée par son vécu, elle expose en France ses guerriers : d’impressionnantes têtes en céramique et jute. Vinrent ensuite les expérimentations sur négatifs en terre glaise. Des « empreintes de têtes » qui, incurvées, donnent à l’image un effet de relief. Et qui vont l’entraîner vers le projet de film d’animation à base de personnages en terre qu’elle prépare actuellement. Retirer, remettre, ajouter des matières nouvelles, changer de styles, ôter les surcharges ornementales, transposer les domaines de créativité... Voilà en somme le travail de Samar Mogharbel. Un travail tactile et sensuel, mais qui n’en demeure pas moins un travail de mémoire, car avec la terre plus qu’ailleurs « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Zéna ZALZAL
Elle fait de l’art pour l’art. Pas plus pour l’argent que pour la notoriété. La preuve : elle enterre dans le sol, un peu partout en montagne, ses sculptures qu’elle juge inabouties (alors que d’autres les vendent !) et sur les autres, qu’elle expose, elle « oublie » d’apposer sa signature.
Samar Mogharbel, dont l’installation en argile, Voitures piégées, a...