Actualités - OPINION
LE POINT Le prix de la liberté
Par MERVILLE Christian, le 03 octobre 2006 à 00h00
Le jugement émane d’un orfèvre en la matière : « C’est un signe de l’héritage de la politique de Lavrenti Pavlovitch Beria », a décrété Vladimir Poutine en évoquant la crise actuelle avec la Géorgie, comparant ainsi le président d’un pays autrefois membre de la défunte Union des Républiques socialistes soviétiques, au sinistre chef de la NKVD et grand ordonnateur des sanglantes purges de l’ère stalinienne. Savoureuse parce que formulée par un ancien colonel du célébrissime KGB, la remarque en forme de sentence a relancé la polémique née de l’arrestation, mercredi dernier à Tbilissi, de quatre officiers russes soupçonnés d’espionnage. Le ton adopté par le Kremlin, la sévérité du jugement porté sur ce qui n’aurait représenté en temps normal qu’un simple accident de parcours dans les rapports entre deux États, les conséquences que menace d’avoir l’affaire, sans commune mesure avec son importance réelle, tout cela donne à croire qu’il ne s’agit nullement d’une crise due à un excès de nervosité, ainsi que voudrait le faire accroire ce brave Mikhaïl Saakachvili, obligé de faire le gros dos en attendant le retour au calme après le passage du cyclone.
« Réaction disproportionnée », comme semble le penser le président géorgien, ou « terrorisme d’État », si l’on veut suivre son homologue russe dans l’escalade qu’il a entreprise dès le week-end dernier, il reste que l’incident aura constitué, dans le contentieux qui n’a cessé de s’alourdir au fil des ans entre les deux pays, la goutte d’eau dont ils se seraient volontiers passés mais qui n’en a pas moins fait déborder le vase. En réalité, Moscou n’a jamais pardonné à son ancien protégé d’avoir emprunté la voie ardue de l’indépendance au lendemain de l’éclatement de l’ « empire des Glaces ». Dès 1991, les premiers nuages avaient commencé à s’amonceler, représentés par la guérilla des Abkhazes en vue d’obtenir leur autonomie. Le mouvement séparatiste avait été soutenu, deux années durant, par les Russes, tout comme l’avaient été, presque à la même époque, les revendications des Ossètes du Sud, deux problèmes que la presse géorgienne continue de qualifier de « conflits gelés ». Pas plus tard que la semaine dernière, une invitation était adressée aux représentants de ces deux minuscules territoires pour assister au forum économique de Sotchi, un geste aussitôt qualifié de « scandaleux ». Est-ce par esprit de vengeance ? Toujours est-il que dans leur tentative de mettre au pas les indomptables Tchétchènes, les héritiers de Boris Eltsine ont estimé (à juste titre d’ailleurs...) avoir été trahis par leur ancien vassal, qui avait pris le parti de Chamil Bassaïev et de ses compagnons, faisant preuve d’une fâcheuse mansuétude à leur égard. C’est de cette époque que datent la découverte des cadavres de huit gardes-frontières russes, non loin des gorges du Pankisi, puis les terribles bombardements aériens qui avaient suivi.
Habilement, le ministre russe de la Défense Serguei Lavrov a voulu occulter les causes véritables du conflit. « Il est clair, a-t-il affirmé, que la Géorgie a opté pour la voie militaire afin de régler son conflit avec ses deux vassaux d’hier. Les autres problèmes découlent de cette question-là. Tout comme il est évident que certains nouveaux membres de l’Otan lui fournissent l’armement d’origine soviétique dont elle a besoin pour mener à bien son entreprise. » Sans doute est-ce pour limiter les risques possibles d’une implication – même indirecte – que l’organisation atlantique, et d’une manière plus générale l’Union européenne elle-même, interviennent depuis soixante-douze heures auprès des deux camps. Le secrétaire à la Défense américain, Donald Rumsfeld, s’est employé à répercuter les appels à la modération lancés tant par le Hollandais Jaap de Hoop Scheffer que par le porte-parole des Vingt-Cinq, Emma Udwin. Sans aucun effet, jusqu’à présent à tout le moins, car la crise donne l’impression, en ce début de semaine, de devoir s’envenimer, avec bruits de bottes aux frontières, rappel de diplomates, ralentissement du mouvement de retrait des troupes russes et même suspension des virements postaux, le courrier « ne correspondant pas aux exigences de sécurité », fait-on valoir à Moscou, avec une évidente mauvaise foi. Et entre les deux pays, les liaisons aériennes, maritimes et terrestres vont être arrêtées dès aujourd’hui mardi.
Décidément, on est loin de la « révolution rose » de 2003, même si chacun s’obstine à répéter que le point de non-retour n’a pas été atteint. Un signe : à Prague en mai dernier, Poutine ne s’est-il pas recueilli devant le monument commémorant la révolution de 1968, en reconnaissant la responsabilité morale de son pays dans la répression qui s’en était suivie ? Cette fois pourtant, il s’agit des rapports entre grand frère et cadet, qui ne pourront jamais être au beau fixe.
Que l’on n’aille surtout pas chercher trop loin la preuve d’une telle évidence...
Christian MERVILLE
Le jugement émane d’un orfèvre en la matière : « C’est un signe de l’héritage de la politique de Lavrenti Pavlovitch Beria », a décrété Vladimir Poutine en évoquant la crise actuelle avec la Géorgie, comparant ainsi le président d’un pays autrefois membre de la défunte Union des Républiques socialistes soviétiques, au sinistre chef de la NKVD et grand ordonnateur des sanglantes purges de l’ère stalinienne. Savoureuse parce que formulée par un ancien colonel du célébrissime KGB, la remarque en forme de sentence a relancé la polémique née de l’arrestation, mercredi dernier à Tbilissi, de quatre officiers russes soupçonnés d’espionnage. Le ton adopté par le Kremlin, la sévérité du jugement porté sur ce qui n’aurait représenté en temps normal qu’un simple accident de parcours dans les...