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Actualités

Entre la pierre et la plume

Ce matin, comme tous les matins depuis des jours, une douleur m’a réveillé. Une douleur au niveau de l’estomac, ou de l’âme peut-être. Quelle tristesse m’envahit d’emblée.... C’est mon estomac qui souffre en premier quand mon âme souffre ! J’aurais préféré que ça soit la tête. Je cherche, mais je n’ai pas encore trouvé la source précise de cette douleur. Beaucoup de possibilités. «Pas normal», me dis-je. Cerbère s’est endormi? Le portail de l’enfer, entrebâillant, laisse s’échapper le feu de la mort sur ce petit rien qu’on appelle Liban aux infos... Mon petit rien qui me tient la main quand je trébuche. Mon petit rien, mon amour impossible. Ils m’accusent tous de subjectivité quand je parle du Liban. «Mais toi, tu l’aimes parce que c’est ton pays, c’est normal», disent-ils. Ils parlent d’aimer et n’y connaissent rien. L’amour, c’est quand tu arrêtes d’exister, quand tu deviens amour, ton ego se perd comme une tache de vin entre les plis d’un satin rouge. Je comprends ce que les soufis ont compris quand ils affirmaient que, jusqu’à la fin du monde, il y aura là-bas, dans les vallées du Mont-Liban, des sages «qui sont un avec le temps et le lieu, ce qui est passé et ce qui viendra». Simple nuance linguistique; moi, j’aurais dit «fous». Tu ne pourras jamais comprendre le sens que peut prendre la mort pour ce Liban si tu n’as jamais tendu l’oreille pour entendre ce qu’il te chuchote. Si tu n’as pas vu que le café matinal, près du port à Tripoli, et les vents des vallées de Jabal Amel ne sont que mots différents d’une seule langue. Que le verre de whisky sec à «Monnot» et l’odeur de la mer à Saïda ne sont que doigts d’une seule main. Je ne connais pas encore avec précision la raison qui me noue l’estomac. C’est peut-être le désespoir que je vois dans les yeux des miens, même quand ils le cachent tous. C’est peut-être la culpabilité que me fait ressentir mon désir de sacrifice et qui m’empêche de me perdre aujourd’hui dans la langue de ce Liban. C’est peut-être l’envie incontrôlable de vouloir faire subir aux mères de l’ennemi ce que l’ennemi fait subir à nos mères. C’est désolant! C’est peut-être que, pour la première fois de ma vie, je me sens réellement exilé. La première fois que je ressens l’impossibilité – temporaire, je l’espère – du retour. L’exil est la punition ultime. Jésus leur a répondu: «Prenez mon corps, mais vous ne prendrez jamais mon rêve.» Je ne l’ai lu dans aucun livre, je ne l’ai entendu dire dans aucune langue, mais je t’entends, Toi qui as réalisé ta réelle existence, celle qui se libère de la matière, de ce cercueil qu’est le corps. Toi qui as aimé ce Liban. Toi qui l’as pris dans les bras. Au téléphone, du Liban, mon oncle m’a dit: «Combien de guerriers ont voulu conquérir ce pays? Pourtant, la voilà, cette même montagne, en face de moi, plongeant dans cette même mer depuis toujours.» Qu’ils viennent avec leurs chiens dressés, qu’ils se cachent derrière leurs futiles armures, qu’ils nous inondent dans des torrents de feu et de sang. Nos rêves rôderont toujours sur cette terre, y feront pousser des oliviers et des hommes, du blé et des barques de pêcheur. Mazen EL-SAYED
Ce matin, comme tous les matins depuis des jours, une douleur m’a réveillé. Une douleur au niveau de l’estomac, ou de l’âme peut-être. Quelle tristesse m’envahit d’emblée.... C’est mon estomac qui souffre en premier quand mon âme souffre ! J’aurais préféré que ça soit la tête. Je cherche, mais je n’ai pas encore trouvé la source précise de cette douleur. Beaucoup de possibilités. «Pas normal», me dis-je. Cerbère s’est endormi? Le portail de l’enfer, entrebâillant, laisse s’échapper le feu de la mort sur ce petit rien qu’on appelle Liban aux infos... Mon petit rien qui me tient la main quand je trébuche. Mon petit rien, mon amour impossible. Ils m’accusent tous de subjectivité quand je parle du Liban. «Mais toi, tu l’aimes parce que c’est ton pays, c’est normal», disent-ils.
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