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Actualités - OPINION

ANALYSE Autopsie d’une manifestation aux apparences trompeuses

Ils sont bien mal inspirés, ces étudiants « anti-impérialistes » qui sont descendus dans les rues du centre-ville de Beyrouth pour manifester contre les « ingérences américaines » au Liban. Non qu’il faille encourager les ingérences dans l’absolu, théoriquement, surtout celles qui vont à l’encontre des intérêts nationaux d’un pays. D’ailleurs, il existe certainement des étudiants qui ont participé samedi de bonne foi à ce mouvement de contestation, probablement au nom d’une certaine idée romantique de la gauche universelle, ou d’un certain alter-mondialisme. Sauf que cet altermondialisme, au nom duquel on rejette « l’impérialisme américain », on a du mal à en percevoir les contours sur la scène, au moment où le Liban n’a pas encore eu les mains suffisamment libres pour entrer véritablement dans le processus de mondialisation, et où l’ensemble du monde arabe est en retard d’au moins un demi-siècle sur le plan du rayonnement culturel. En d’autres termes, ces jeunes oublient que le Liban n’en a pas encore fini de régler des questions nationales et territoriales de base, que la dynamique de l’État moderne n’est même pas enclenchée, et qu’il tient à peine debout, avec sa stabilité, sa sécurité et sa souveraineté encore vacillantes, pour s’engager dans une nouvelle aventure de ce genre. Mais la tendance romantique de gauche et altermondialiste qui a participé au sit-in de samedi, dans le centre-ville, reste une minorité, dont on peut dire sans complexes qu’elle a été tout simplement manipulée dans des buts bien précis au nom d’une certaine utopie, d’un certain idéalisme. Les manifestants du centre-ville, dont la majeure partie est issue de partis ouvertement prosyriens, n’ont en rien innové, samedi. En fait, ils n’ont fait que renouer avec une vieille tradition de rejet de l’influence occidentale sur le pays du Cèdre, dont l’origine remonte à la fondation même du Liban. Sur le plan idéologique, c’est donc un combat d’arrière-garde, un peu monolithique, que ces jeunes sont en train de mener, à l’heure où d’autres (d’ailleurs de gauche), comme Walid Joumblatt, Élias Atallah, Ziad Majed ou encore Habib Sadek, mènent, et dans la continuité de l’œuvre de Samir Kassir, depuis un certain temps, pour réconcilier arabité et modernité, sans pour autant, et c’est tout à fait légitime, embrasser les États-Unis sur la bouche. Surtout qu’un demi-siècle de despotisme oriental, particulièrement dans les contrées du Baas, a engagé les sociétés arabes sur les voies du sous-développement et de la répression sous le prétexte fallacieux de la confrontation avec Israël. Que de crimes contre leurs peuples les régimes répressifs n’ont-ils pas commis, d’ailleurs, au nom de cette prédication arabiste « antisioniste » et « anti-impérialiste ». Évidemment, il ne faut pas prêter aux partis prosyriens – ni même d’ailleurs à une certaine gauche, qui n’a cessé durant les quinze ans d’occupation de trahir ses idéaux en allant quémander quelque légitimité de façade dans les officines des services de renseignements – l’intention louable de vouloir révolutionner aujourd’hui le monde et la pensée arabes. La préservation ou l’évolution des spécificités arabes ne faisaient pas partie des soucis des organisateurs de la manifestation, quels que soient les slogans qui ont été brandis samedi. D’ailleurs, cette manifestation ne s’inscrivait pas du tout, et c’est là le grand bluff (les étudiants y ont-ils vraiment cru ?), dans une optique postnationale, ni même dans une optique de préservation de la souveraineté nationale (externe) contre les appels d’empire. Les soucis du Hezbollah, d’Amal, du PSNS et de leurs amis sont d’ordre un peu plus pragmatique. Il peut paraître étrange pour certains de voir aujourd’hui ces partis prosyriens se mobiliser de cette façon pour défendre la souveraineté libanaise contre « l’occidentalisation rampante » qui guette le Liban. D’autant que ces partis, s’ils combattaient effectivement Israël au Sud (tantôt sous le couvert de l’espace islamique et tantôt du territoire national) pour libérer la terre sudiste, n’ont jamais manifesté le même engouement pour dénoncer la politique américaine au Liban entre 1990 et 2005, alors même que celle-ci avait mandaté la Syrie pour occuper, instrumentaliser et piller allègrement le Liban. Bien au contraire. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », disait Pascal. Surtout quand les Pyrénées, ici, sont les intérêts partisans et la logique communautaro-régionale qui n’a que faire de l’espace national. Durant toutes ces années, et dans le même ordre d’idées, on n’a jamais vu le Hezbollah dénoncer comme il l’a fait samedi soir, ne serait-ce que pour le principe, « les atteintes à la démocratie et aux libertés publiques » lorsque les étudiants de l’opposition étaient matraqués et réprimés par l’armée et les forces de l’ordre, puis livrés aux bons offices des SR libanais et syriens... Le parti intégriste, dont on ne peut que se féliciter de l’adhésion (jamais proclamée autrefois) aux normes du droit naturel, oublierait-il que la relativité, l’impartialité est interdite dès lors qu’il est question des droits de l’homme ? La question se pose, d’autant que les étudiants souverainistes ne se sont jamais laissés entraîner dans des dérives face aux forces de l’ordre comme celles que l’on a vues samedi – sauf une fois, dans le périmètre de l’USJ, parce qu’on leur refusait même le droit de sortir de leur campus pour manifester dans la rue ! – et n’ont jamais perçu les agents de l’ordre représentant la légalité comme l’ennemi à abattre. Par-delà toutes ces considérations, il convient peut-être de revenir aux véritables raisons pour lesquelles ces jeunes ont manifesté samedi, de replacer l’événement dans son cadre réel, éminemment politique. C’est-à-dire la campagne que les forces du 8 mars tentent d’initier pour renverser le gouvernement Siniora et opérer un coup d’État politique, par le biais de la rue, pour ramener la Syrie (soutenue par son partenaire iranien et ses ex-croissances palestiniennes) par la fenêtre. Tout en essayant de donner du gouvernement Siniora l’image d’un tyran liberticide et proaméricain. Tout le reste n’est qu’accessoire, et surtout de mauvaise foi. Ce qui a de quoi rappeler les vieilles stratégies syriennes proposées (avec l’aide d’une partie interne, disait le rapport Mehlis, citant le mystérieux « Mr X ») pour faire chuter un Rafic Hariri peu enthousiaste à proroger le mandat Lahoud... Les forces du 8 mars jouent avec le feu. Une telle stratégie, si elle est légitime dans le cadre d’une guerre (entre le Liban et la Syrie ?) où tous les coups sont permis, reste inopérante au sein du public du 14 mars. C’est-à-dire qu’elle reste destinée à la consommation purement interne des deux principales forces du 8 mars. Attention, on ne badine pas avec les sentiments communautaires. Michel HAJJI GEORGIOU
Ils sont bien mal inspirés, ces étudiants « anti-impérialistes » qui sont descendus dans les rues du centre-ville de Beyrouth pour manifester contre les « ingérences américaines » au Liban. Non qu’il faille encourager les ingérences dans l’absolu, théoriquement, surtout celles qui vont à l’encontre des intérêts nationaux d’un pays. D’ailleurs, il existe certainement des...