Actualités
La chauffe
Par Issa GORAIEB, le 16 novembre 2005 à 00h00
Pourquoi cette insistance de Detlev Mehlis à vouloir interroger en son quartier général libanais – et nulle part ailleurs – les généraux syriens soupçonnés d’avoir fait assassiner Rafic Hariri ? Pourquoi ne pas couper la poire en deux, faire la moitié du chemin, se rabattre sur Le Caire, Nicosie ou Vienne, et ménager de la sorte les susceptibilités de Damas ? L’essentiel, après tout, n’est-il pas de faire progresser l’enquête sur l’hécatombe du 14 février sans trop s’arrêter à des détails de forme ?
La question aurait pu s’appuyer sur des considérations d’opportunité politique s’il ne s’agissait là d’une autorité syrienne qui, par inconscience ou par défi, s’est appliquée et même acharnée, tout au long de l’affaire Hariri, à faire preuve de mauvaise volonté. À se comporter en premier suspect, à s’accabler, objectivement, elle-même. Cette singulière performance en est déjà à son troisième acte, encore que le premier du genre était pour ainsi dire un non-acte : on y a vu en effet une Syrie affectant de n’être nullement concernée (pas trop émue, en tout cas) par l’énorme événement et qui ne faisait même pas mine de rechercher les coupables, alors qu’elle régnait encore en maître sur le territoire libanais.
Accusée de toutes parts, objet d’intenses pressions internationales, la Syrie feint, dans un deuxième temps, de lâcher du lest : après des semaines de manœuvres dilatoires, de tatillonnes discussions sur la procédure, elle accueille l’équipe Mehlis pour des auditions de témoins préréglées, synchronisées et dûment accompagnées, tout cela sur fond d’attentats à la bombe au Liban. Et c’est cette même équivoque que se proposait de lever, une fois pour toutes, la résolution 1636 votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité. Or, le troisième acte ainsi ouvert ne promet guère d’être le dernier car une fois de plus, Damas ne se plie verbalement au texte onusien que pour en contredire ouvertement, de front, les deux dispositions essentielles.
La première de celles-ci est le blanc-seing donné à Mehlis pour mener ses interrogatoires comme il l’entend, là où il l’entend. Au double plan psychologique et judiciaire, le choix de Monteverde peut s’avérer décisif pour faire apparaître des contradictions dans les témoignages, pour faire s’effondrer les résistances. Transiger sur la question, ce serait ouvrir la porte à d’interminables marchandages sur le lieu des auditions et, par voie de conséquence, sur tout le reste. Ce serait faire peu de cas aussi d’une justice libanaise œuvrant en étroite coordination avec l’enquête internationale. En attendant, on ne peut que constater l’ironie d’une situation où l’on voit des officiers supérieurs du renseignement syrien se faire prier de la sorte pour venir pousser la chansonnette dans les pinèdes de Monteverde, alors qu’ils n’avaient attendu l’invitation de personne pour infliger longtemps au Liban le chantage… à la sécurité.
Non moins grave cependant est le refus évident, flagrant du régime baassiste de mettre fin à ses ingérences dans les affaires de notre pays, comme l’y enjoint expressément la résolution 1636. C’est exactement le contraire que fait le président Bachar el-Assad quand il se répand en insultes et en menaces contre le Premier ministre libanais. Et la Syrie persiste et signe quand, par la voix de la branche libanaise du Baas, elle agite le spectre de la guerre civile : quand, par la voie cette fois de l’officieux Techrine, elle est la première à prédire pour demain, jeudi, une vaste manifestation antigouvernementale, non encore annoncée pourtant par ceux censés en être les organisateurs locaux !
Le plus consternant d’ailleurs, dans tout cela, c’est le bois (en l’occurrence, le fuel-oil) que certaines parties libanaises trouvent encore moyen d’apporter au feu conjugué des ambitions et des frustrations syriennes. C’est une lourde responsabilité qu’assume en ce moment le Hezbollah quand il pratique, de concert avec le mouvement Amal, ce qui n’est autre chose qu’un chiisme politique, accusation visant naguère les maronites. Quand il paraît cautionner, in absentia, les diatribes syriennes visant le troisième personnage de la République. Quand il garde obstinément un pied dans le gouvernement et œuvre à la chute de ce même gouvernement en se livrant à une suspecte surenchère sur le soutien au prix des combustibles. Quand, pour honorer sa dette envers Damas, il accepte de jouer les chevaux de Troie, perdant ainsi à la vitesse grand V l’immense crédit national que lui avait valu la libération du Sud.
Quand flambent les combustibles, c’est tout le monde qui risque d’avoir un peu trop chaud.
Issa GORAIEB
Pourquoi cette insistance de Detlev Mehlis à vouloir interroger en son quartier général libanais – et nulle part ailleurs – les généraux syriens soupçonnés d’avoir fait assassiner Rafic Hariri ? Pourquoi ne pas couper la poire en deux, faire la moitié du chemin, se rabattre sur Le Caire, Nicosie ou Vienne, et ménager de la sorte les susceptibilités de Damas ? L’essentiel, après...
Les plus commentés
Hariri reçoit une délégation du Hezbollah, qui l'invite aux funérailles de Nasrallah
Retrait israélien : l’État brandit l’arme de la diplomatie, le Hezbollah ne l’entend pas de cette oreille
499 jours plus tard... le retour des habitants du Sud, la tête haute et le cœur lourd