Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Perspectives La guerre verbale interministérielle, une conséquence indirecte du dysfonctionnement des rapports avec Damas La présidentielle, une occasion pour la Syrie de rétablir la confiance avec les Libanais

L’histoire se passe à Budapest. Des femmes libanaises (et arabes) dont les époux sont établis en Hongrie décident, il y a quelque temps, d’adhérer à une organisation féminine supranationale dont les activités sont axées sur le social et le culturel. Le hasard a voulu que la présidente actuelle de cette association soit américaine et que, de surcroît, son mari soit juif. Cela a incité l’épouse d’un diplomate syrien établi à Budapest à mener campagne contre l’adhésion à cette organisation. L’argumentation avancée sur ce plan n’a toutefois pas convaincu les Libanaises et, au cours d’une discussion quelque peu animée, l’épouse du diplomate syrien n’a rien trouvé de mieux que de sortir un calepin pour y inscrire les noms des Libanaises qui insistaient à faire partie de l’association en question ! L’incident est, certes, anodin et futile, mais il est toutefois symptomatique d’un certain état d’esprit, caractérisé par une logique de rapport de force. Un état d’esprit qui schématise la crise profonde entravant l’assainissement des relations libano-syriennes. Car la crise est bien réelle, comme l’avait reconnu d’ailleurs, lui-même, le président Bachar el-Assad, lorsqu’il avait entamé il y a près de trois ans un dialogue (avorté) avec l’ancien ministre Fouad Boutros. Ce déséquilibre qui marque depuis plus d’une décennie les relations bilatérales est, par ricochet, à la base de la plupart des manifestations de dysfonctionnement institutionnel auquel nous sommes confrontés de façon chronique. Le dernier en date de ces dysfonctionnements est apparu au grand jour pas plus tard que le week-end écoulé à la faveur de la véritable guerre verbale qui a éclaté entre le Premier ministre, Rafic Hariri, d’une part, et les ministres Jean-Louis Cardahi et Talal Arslane (reflétant le point de vue de la présidence), d’autre part. Rompant la trêve forcée que Damas avait imposée à Baabda et Koraytem, M. Hariri a subitement ouvert un feu d’artillerie intense en direction du président Lahoud, lui faisant assumer une grande part de responsabilité dans l’accroissement effréné de la dette publique. La riposte ne s’est pas fait attendre. Sortant des sentiers battus du cellulaire, le ministre des Télécommunications a ouvertement mis en cause, chiffres à l’appui, la gestion économique de M. Hariri depuis 1992 en dénonçant, en outre – et c’est là une première –, le montage financier qui a permis à Solidere de voir le jour. Ce grand déballage serait vraisemblablement lié aux premières manœuvres en rapport avec la prochaine échéance présidentielle. En pointant du doigt le président Lahoud dans son analyse des causes de la crise économique, M. Hariri chercherait à diminuer les chances d’une reconduction ou d’une prorogation du mandat présidentiel. Le chef du gouvernement pourrait vouloir entretenir également un climat tendu avec Baabda (ne fut-ce que d’une manière savamment dosée), partant du principe que nul n’aurait intérêt à prolonger davantage une atmosphère de crise lorsque sonnera l’heure de l’élection présidentielle. D’aucuns perçoivent, par ailleurs, les attaques frontales de ces dernières quarante-huit heures comme l’indice précurseur d’un prochain changement de gouvernement, dans la perspective d’un éventuel amendement constitutionnel censé paver la voie à une prorogation ou une reconduction du mandat du président Lahoud. En tout état de cause, et comme à l’accoutumée, le tuteur syrien est intervenu en catastrophe pour calmer le jeu. Les joutes verbales du week-end n’ont-elles été, en définitive, qu’une simple poussée limitée de fièvre, comme l’affirme le ministre Marwan Hamadé ? Pour l’heure, la Syrie s’emploie visiblement à rétablir la trêve au niveau de l’Exécutif. Reste à savoir si, une fois le budget voté, elle ne serait pas tentée, pour une quelconque raison d’État, de provoquer une redistribution de cartes sur la scène locale. Dans un cas comme dans l’autre, on aura été témoin, une fois de plus, de cet « état d’esprit » hors normes, de cette logique du rapport de force, qui fausse les relations entre Beyrouth et Damas. À quelques mois de l’échéance présidentielle, ce problème endémique des relations déséquilibrées avec la Syrie se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité qu’il s’accompagne d’une conjoncture régionale et internationale qui se fait de plus en plus pressante pour le régime syrien. Au cours des derniers jours, les hauts responsables américains ont multiplié les prises de position en flèche concernant le rôle de la Syrie au Liban, réclamant avec insistance le départ des troupes de Damas et soulignant que l’élection présidentielle devrait avoir lieu loin des interférences étrangères. Quelles que soient les motivations et les intentions réelles de Washington sur ce plan, le régime syrien pourrait fort bien se trouver à la croisée des chemins pour ce qui a trait à son influence sur la scène libanaise. L’élection d’un nouveau chef de l’État offre dans ce contexte à la Syrie une occasion en or (qui pourrait ne pas se représenter) de rétablir un climat de confiance avec les Libanais. L’entretien de relations rationnelles et équilibrées avec le Liban – basées sur les intérêts mutuels bien compris – passe par le rétablissement de la confiance avec la majorité silencieuse libanaise. Cela implique, entre autres, que Damas ne fasse pas obstruction à l’élection d’un président de la République qui soit véritablement crédible et qui soit agréé, d’une manière plus spécifique, par Bkerké. Tous les présidentiables cités pour la succession au général Lahoud prônent une coordination étroite avec la Syrie pour ce qui touche au contentieux régional. Mais certains d’entre eux sont perçus comme un symbole de la perpétuation de la logique syrienne du rapport de force alors que d’autres paraissent beaucoup moins marqués sur ce plan. S’il favorise l’élection d’une personnalité appartenant à cette seconde catégorie de candidats, le régime syrien aura franchi le premier pas sur la voie d’un assainissement de sa relation avec la société civile libanaise. Dans le cas contraire, il aura contribué à envenimer encore davantage aussi bien le climat interne que l’atmosphère entre les deux pays. À l’ombre des nouvelles donnes régionales, pourrait-on encore, dans ce cas, faire preuve d’aussi peu de clairvoyance ? Michel TOUMA

L’histoire se passe à Budapest. Des femmes libanaises (et arabes) dont les époux sont établis en Hongrie décident, il y a quelque temps, d’adhérer à une organisation féminine supranationale dont les activités sont axées sur le social et le culturel. Le hasard a voulu que la présidente actuelle de cette association soit américaine et que, de surcroît, son mari soit...