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Actualités - OPINION

ÉCLAIRAGE - Supputation sur les parties qui auraient provoqué le dérapage de la grève de jeudi dernier Le Hezbollah, cible principale des émeutes de Hay el-Sellom ?

La scène aurait pu avoir quelque chose de risible si elle n’était aussi dramatique. Vendredi, dans la banlieue sud de Beyrouth, notamment à Hay el-Sellom, alors que des vans jetaient des pneus dans les rues pour que les fauteurs de troubles les brûlent, les militants du Hezbollah se précipitaient pour les charger dans leurs propres camions. Pour eux, il fallait à tout prix empêcher la reprise des émeutes et surtout un éventuel nouveau dérapage. Car, sans trop savoir d’où est venu le coup, pour le Hezbollah, les scènes de violence de jeudi étaient essentiellement dirigées contre lui et contre sa fraîche victoire dans cette région. D’ailleurs, pour la première fois depuis qu’il s’adresse aux médias, sayyed Hassan Nasrallah avait, samedi, un ton embarrassé en répondant aux questions des journalistes au cours de sa conférence de presse. Même ses accusations contre d’anciens employés libanais de l’ambassade des États-Unis semblaient un peu confuses et contradictoires. Que cachait donc le trouble du secrétaire général du Hezbollah, à la rhétorique habituellement sans faille ? Des sources proches de la formation expriment discrètement leur irritation et une certaine inquiétude à la suite des émeutes de la banlieue, qui ont rendu la position du Hezbollah très difficile. D’une part, ce parti vient d’enregistrer une victoire éclatante, raflant toutes les municipalités des quartiers chiites de la banlieue sud de Beyrouth, et, de l’autre, il s’est toujours placé aux côtés des pauvres et des miséreux, devenant même très actif au sein de la CGTL et appuyant clairement les revendications sociales. Pour toutes ces raisons, il ne pouvait qu’être tenu pour responsable de tout incident dans la banlieue sud. D’autant qu’entre lui et l’armée libanaise, la lune de miel ne s’est pas démentie depuis près de huit ans et qu’en se déployant dans les quartiers de la banlieue sud, la troupe se considérait en terrain ami, ne prenant même pas la peine de s’équiper du matériel des unités chargées de mater les émeutes. Des messages dans plusieurs directions Or voilà que c’est en plein cœur des quartiers contrôlés par le Hezbollah que les troubles ont éclaté, prenant une tournure quasi incontrôlable à un moment donné, mettant sérieusement en difficulté le parti, déjà bien malmené par la campagne internationale menée contre lui. Jeudi soir et vendredi, la priorité était pour lui d’empêcher toute reprise des émeutes. Mais c’est une fois que le calme revenu que ses dirigeants essaient de comprendre ce qui s’est passé. Pour eux, il est pratiquement certain que des parties politiques ont tenté d’exploiter la grève décrétée par la CGTL pour envoyer des messages dans plusieurs directions. Dans une première lecture, il pourrait s’agir des parties mécontentes de l’ampleur prise par la stature du Hezbollah à la suite des élections municipales. Ces parties seraient désireuses de montrer qu’elles continuent à peser sur la scène chiite et en tout cas, qu’elles demeurent incontournables. Selon cette version, il s’agissait donc de jouer un mauvais tour au Hezbollah et de l’entraîner dans une confrontation avec son alliée, l’armée libanaise, tout en montrant les limites de son pouvoir sur les citoyens, puisque entre les pauvres et les soldats, il ne pouvait pas vraiment prendre position. Une autre lecture pousserait les dirigeants du parti de Dieu à penser que d’autres parties, locales ou non, souhaiteraient montrer qu’elles continuent à tenir les rênes de la situation, cherchant à la fois à affaiblir le Hezbollah et à envoyer des messages aux Américains, sur la possibilité de jouer la carte de la formation si elles y trouvaient leur avantage. En d’autres termes, le message serait le suivant : « Nous sommes les maîtres du jeu et nous pouvons affaiblir le Hezbollah, si cela nous arrange. » En plus du fait que provoquer des incidents dans le genre de ceux qui se sont produits à Hay el-Sellom permet de mettre en difficulté non seulement le Hezbollah, mais aussi l’armée et la plupart des pôles politiques. Mais les dirigeants du Hezbollah restent convaincus que, quelle que soit la partie qui a provoqué les incidents de Hay el-Sellom, Moucharrafieh et Ouzaï, elle ne voulait pas nécessairement qu’il y ait des morts et autant de blessés. Ces dirigeants sont convaincus qu’à un moment donné, tout a dérapé. Les mécontents avaient besoin d’un encouragement D’abord, l’armée prise de court a tiré sur la foule et ensuite, les fauteurs de troubles ont écrit leur propre scénario sanglant. À cet égard, ceux qui connaissent l’état de misère dans ces quartiers de la banlieue sud expliquent que les parties qui tirent les ficelles n’ont pas eu à déployer beaucoup d’efforts pour pousser les gens à laisser éclater leur hargne. Privés de tout, même des installations les plus élémentaires, les habitants de ces quartiers sont très hostiles à l’État et à ses symboles. Et c’est dans ce sens qu’il faudrait interpréter la fameuse formule de Walid Joumblatt sur les « apprentis sorciers ». À cet état d’esprit, il faudrait ajouter l’indifférence du Conseil des ministres, qui, malgré la gravité de la situation, a accepté de baisser le prix du bidon d’essence de 2 000 LL seulement (au lieu des dix réclamés, et alors que certains ministres proposaient un compromis de 5 000 LL), tout en prenant son temps pour appliquer sa propre décision. Comme s’il n’y avait pas urgence. D’ailleurs, interrogé à ce sujet au cours de la réunion d’une commission ministérielle, le ministre des Finances, Fouad Siniora, a expliqué que, de son côté, il a tout fait pour que le décret soit immédiatement exécutoire, le faisant signer par le chef de l’État et le Premier ministre dans les plus brefs délais, avant de l’envoyer au ministre de l’Énergie dès samedi. Et, là, il affirme ne plus savoir ce qui s’est passé, puisque, le jour de la grève, jeudi, le décret n’avait pas encore été appliqué. Pour les citoyens, déjà ulcérés par l’indifférence du gouvernement, ce peu d’empressement à baisser les prix du bidon d’essence a été, en tout cas, du plus mauvais effet. Et lorsque le vice-président de la centrale syndicale, Bassam Tleiss, ainsi que le président du syndicat des chauffeurs de taxi, Abdel Amir Najdé, ont tenu des propos incendiaires, les mécontents de Hay el-Sellom et d’ailleurs n’attendaient qu’un petit encouragement pour passer à l’action. C’est d’ailleurs à cause du rôle de ces deux responsables syndicaux que sayyed Nasrallah a décidé de suspendre la participation de son représentant au conseil exécutif de la CGTL. Il veut d’abord qu’une enquête interne soit menée au sein de la centrale pour déterminer le rôle exact de Tleiss et Najdé dans le déclenchement des émeutes. En principe, l’enquête judiciaire et l’interrogatoire de la cinquantaine de personnes arrêtées devraient permettre d’identifier les parties qui auraient provoqué, ou en tout cas encouragé, les émeutes de jeudi et vendredi derniers. Toutefois, nul ne s’attend à ce que toute la vérité soit dite, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’événements. Ce qui est sûr, c’est que les messages sont parvenus à leurs destinataires et le Conseil des ministres peut désormais se réunir. Pour la forme et pour la photo. Les vraies décisions sont prises ailleurs. Scarlett HADDAD
La scène aurait pu avoir quelque chose de risible si elle n’était aussi dramatique. Vendredi, dans la banlieue sud de Beyrouth, notamment à Hay el-Sellom, alors que des vans jetaient des pneus dans les rues pour que les fauteurs de troubles les brûlent, les militants du Hezbollah se précipitaient pour les charger dans leurs propres camions. Pour eux, il fallait à tout prix...