Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

La polémique entre Mikati et Karamé a dominé le scrutin À Tripoli, faible participation électorale et panachage à grande échelle (Photo)

Un fait majeur, lourd en signification, aura marqué hier le scrutin de Tripoli. Avec une participation qui n’a pas dépassé les 30 %, les abstentionnistes auront dit leur dernier mot hors des bureaux de vote. Confrontés à une bataille politique, « rien que politique », dira l’ancien chef de gouvernement Omar Karamé, une grande majorité de Tripolitains a préféré bouder les urnes plutôt que d’avoir à choisir entre le « traditionalisme », incarné par la liste de M. Karamé, dite « Liste de la dignité et de la réforme », et le « changement » prôné par deux autres personnalités politiques de la ville, les ministres Négib Mikati et Samir el-Jisr, qui soutiennent, avec le bloc tripolitain, la « Liste de Tripoli ». Si l’ombre de Hariri a plané discrètement sur cette échéance, le Mouvement du futur ayant très tôt annoncé sa « neutralité » malgré l’omniprésence de son ministre de l’Éducation, la guerre d’élimination qui a eu lieu entre MM. Karamé et Mikati a constitué l’enjeu principal dans la capitale du Nord. La polémique, commencée il y a quelques jours entre les deux hommes, s’est poursuivie tout au long de la journée, éloignant de plus en plus l’électeur de son souci principal, qui est le développement de sa ville. Bien que la machine électorale conjointe constituée par MM. Mikati, Jisr et les députés du bloc tripolitain (MM. Mohammed Safadi, Maurice Fadel et Mohammed Kabbara) ait axé sa campagne sur les thèmes du changement, de la modernité et de la compétence, grâce à une liste formée de technocrates et de cadres supérieurs, l’affrontement Karamé-Mikati a fini par prendre le dessus et par reléguer au second plan toutes les promesses préélectorales. Désabusés face à des tiraillements par lesquels ils ne se sentent aucunement concernés, déçus par les prestations de l’ancien conseil municipal, les Tripolitains ont voulu prouver qu’ils « n’étaient plus crédules », affirmant « ne plus croire aux slogans ». C’est ce qui explique d’ailleurs qu’une partie d’entre eux ait opté pour un vote « indépendant », préférant aux deux listes principales les 28 candidats qui ont mené des campagnes en solo. Un phénomène qui a naturellement entraîné un panachage à grande échelle, les votants ayant choisi de personnaliser leur choix en concoctant leur propre liste. Préconisée il y a quelques jours par le député charismatique de la ville, Misbah el-Ahdab, cette « liberté de choix » ne s’est pas limitée aux seuls indépendantistes. Au sein des deux camps ennemis, le biffage était également de rigueur, même si les motivations étaient différentes chez les uns ou les autres. Représentés par deux candidats au sein de chacune des deux listes, les 14 000 électeurs Alaouites de la ville ont crié à la trahison dès qu’ils ont appris que les partisans de Omar Karamé se sont mis à rayer les noms de leurs candidats. « Ce n’est pas la première fois qu’il nous fait cela », s’indigne un jeune votant, en accusant l’ancien président du Conseil de « les lâcher en cours de route ». « Nous allons faire de même », dit-il en s’engageant à ne voter que pour sa seule communauté. « En plus des candidats chrétiens, une autre minorité paie, elle aussi, le prix des mauvaises alliances », ajoute-t-il. D’ailleurs, la plupart des Alaouites se disent fidèles à leur ancien député, Ali Eid, représenté au sein de la « Liste de la dignité et de la réforme », et contestent la légitimité des deux autres candidats, représentés par le député Ahmed Hbous, au sein de la liste opposée. Cela n’empêchera pas certains d’entre eux de voter également pour ces candidats, par « esprit de solidarité communautaire ». Quant aux chrétiens, dont les voix sont comptabilisées à près de 5 000, ils ont été nombreux à voter, fait inhabituel pour une communauté qui a souvent fait les frais du panachage. Représentés par quatre candidats sur la liste de Tripoli (2 grecs-orthodoxes, 1 maronite, 1 catholique) contre deux candidats seulement au sein de la liste parrainée par M. Karamé, les électeurs chrétiens n’ont pas hésité à faire leur choix, d’autant plus que la présence de la mouvance islamique au sein de cette dernière a été un facteur important de dissuasion. « Nous avons voté pour toute la liste de Mikati », affirme une jeune dame, qui précise que toute sa famille l’a imitée. « Ce n’est certainement pas à la Jamaa islamiya que nous allons accorder nos voix, surtout que les partisans de ce mouvement ont rayé tous les noms des chrétiens », dit-elle. Dirigeant la campagne électorale à partir de l’un des ses multiples bureaux tripolitains, Mohammed Safadi a estimé que l’alliance « improvisée en dernière minute » entre M. Karamé et la mouvance islamique n’est pas viable. « C’est une simple rencontre d’intérêts politiques, qui n’a aucun fondement solide », selon lui. Un constat que confirment certains délégués qui ont noté la présence de listes « truquées » qu’aurait fait circuler la Jamaa islamiya pour « se dérober au serment de fidélité que ses partisans ont fait sur le Coran », fait remarquer un électeur. Au quartier général de M. Karamé, ses partisans ne mâchent pas leurs mots dès qu’il s’agit de s’en prendre au ministre Mikati, qu’ils qualifient « de requin de la finance ». Ici, la même promesse revient sur toutes les lèvres : « On ne nous achètera pas avec l’argent politique. » Un délégué de la « Liste de la dignité » raconte que le ministre des Transports « a payé 100 dollars par électeur et 70 dollars par électrice », une affirmation difficilement vérifiable sur le terrain. Cependant, la rengaine n’est pas toujours la même et l’hostilité à l’égard des parrains de la liste opposée prend d’autres dimensions, englobant au passage les grandes causes régionales. « Ce ne sont pas leurs slogans qui nous rendront la Palestine », s’exclame l’un des partisans. Il sera rejoint par un autre qui défend « l’arabité du Liban » contre la politique « de ceux qui font l’intérêt d’Israël ». De sa résidence, Omar Karamé a poursuivi sa guerre verbale contre Mikati, l’accusant une nouvelle fois d’avoir fait obstacle à l’entente prônée par la Syrie : « Il a commencé par annoncer une liste incomplète de 13 membres. Et une semaine plus tard, il avait déjà constitué toute sa liste avant que l’on ait pu se prononcer », affirme-t-il. « Que les choses soient bien claires : c’est une bataille politique par excellence », insiste l’ancien chef de gouvernement. La réponse de M. Mikati ne tardera pas à venir : « Il m’a qualifié de “zarzour”, un terme que j’ignorais totalement. En consultant le dictionnaire, j’ai appris qu’il s’agit d’un oiseau d’une rare intelligence », ironise-t-il à l’adresse des journalistes, avant de remercier l’ancien chef du gouvernement pour « ses louanges ». Cette repartie reflète bien le niveau du débat qui a marqué cette longue journée électorale, dont les deux protagonistes principaux ne sortiront pas tout à fait indemnes. En attendant les résultats, qui réservent probablement de multiples surprises, c’est un spectacle de désolation qu’offrait hier soir la ville de Tripoli, dont les murs tapissés de photos des candidats pouvaient difficilement cacher une pauvreté rampante qui n’épargne plus personne dans la capitale du Nord. Jeanine JALKH
Un fait majeur, lourd en signification, aura marqué hier le scrutin de Tripoli. Avec une participation qui n’a pas dépassé les 30 %, les abstentionnistes auront dit leur dernier mot hors des bureaux de vote. Confrontés à une bataille politique, « rien que politique », dira l’ancien chef de gouvernement Omar Karamé, une grande majorité de Tripolitains a préféré bouder...