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Actualités - OPINION

De pierre et de feu

Des balles tout ce qu’il y a de plus réel pour riposter aux cailloux de la colère. Et la télévision ne vous jouait pas des tours, cela ne se passait pas à Gaza, Jénine, Jéricho ou Naplouse, mais cette fois à l’entrée sud de notre bonne ville de Beyrouth. Se prendra-t-on à regretter l’heureux temps où l’on se contentait de tabasser à coups de crosse, de trique et de godillots les étudiants qui protestaient contre les rafles illégales visant certains de leurs camarades ? Où – comme en ce mémorable mais finalement clément 9 août 2001 – l’on fracturait consciencieusement des crânes, où on écrasait des vertèbres et fracassait des tibias mais en s’arrangeant tout de même pour laisser la vie sauve à tous ces dangereux ennemis de la nation et de l’État osant s’aventurer sur la voie publique ? Les dizaines de milliers de citoyens qui sont descendus dans la rue hier, en divers points du territoire, ne le faisaient pas, eux, au nom des grands principes de liberté, de justice : ils voulaient seulement, sans distinction d’appartenance politique ou religieuse, clamer leur faim et leur inquiétude du lendemain le plus immédiat. Car si ces citoyens se trouvaient hors de leurs foyers, de leurs bureaux, ateliers, petits commerces, chantiers et usines, c’est souvent qu’ils ont perdu tout cela ou sont sur le point de le perdre. C’est parce que la crise économique n’épargne plus aucun secteur, que l’État surendetté ne se dérobe à ses engagements internationaux que pour mieux écraser le peuple d’impôts indirects. Et que la course vers l’abîme n’affecte en rien l’insatiable appétit d’une classe dirigeante à l’affût de toutes les bonnes affaires et qui n’a trop que faire, elle non plus, des grands principes. Négligence, laxisme ou imprévoyance, les autorités n’ont pas pris au sérieux le coup de semonce syndical de la semaine dernière et n’ont rien entrepris de sérieux pour désamorcer la bombe qui a fini par éclater, de la tragique manière que l’on sait, à Hay el-Sellom où l’armée s’est crue acculée à tirer sur les manifestants. Le fait demeure cependant que, par ses actions comme par ses omissions, l’ État ne fait pas offense à ses seuls administrés. Il s’obstine en effet à placer l’armée régulière dans les plus inconfortables, les plus gênantes, les plus impossibles des situations : une armée dont la reconstitution, de surcroît, est objet de fierté pour son artisan, le président Lahoud ! Car le pouvoir ne peut en premier lieu, sans jeter le discrédit sur l’armée, lui dénier absolument son rôle premier, le plus naturel : celui de la protection des frontières, inexplicablement et indignement confié aux soins d’une milice, même si celle-ci peut revendiquer le mérite de la libération du Liban-Sud. Et dans un pays comme le Liban, arraisonné c’est vrai mais qui reste fermement attaché à ses traditions démocratiques, ce n’est guère rendre service à l’armée que de l’assigner à des missions strictement policières consistant tantôt à opérer, souvent sans mandat légal, des arrestations nocturnes, et tantôt à exercer sa relative puissance contre les manifestants. C’est à partir de cette perversion de base que toutes les dérives peuvent se produire ; c’est bien ce qui est arrivé hier, et ce n’est pas excuser les désordres et abus commis par certains contestataires, que de le souligner. C’est entendu, la petite mais performante troupe libanaise n’a ni le potentiel ni les prétentions guerrières des armées des pays environnants ; et ce n’est par hasard que depuis l’indépendance, elle a le plus souvent eu à apporter, dans des circonstances sortant de l’ordinaire, son concours décisif aux forces de police et de gendarmerie pour assurer l’ordre public. Force d’appoint et circonstances extraordinaires, voilà très précisément les deux critères de toute intervention sensée et acceptable de l’institution militaire dans les affaires du pays. Étaient-ils absolument réunis hier, ces deux maîtres critères ? Pourquoi l’armée opérait-elle en solo à Hay el-Sellom ? De recourir aux grands moyens a-t-il vraiment eu pour effet de ramener l’ordre et le calme ou de rasséréner le climat politico-social ? Les quelques pneus qui brûlaient sur la chaussée ne valaient-ils pas mieux, à tout prendre, que l’incendie du ministère du Travail ? Tant qu’à donner la troupe, pourquoi n’avoir pas fait intervenir la très spécialisée brigade antiémeute équipée de boucliers adéquats et qui, contre les jets de pierres, n’aurait pas eu à user d’autre moyen de riposte que ses canons à eau ? Et qui faut-il blâmer pour cela : le ministre de l’Intérieur qui n’est que trop heureux de se décharger sur l’omniprésente armée de ses responsabilités sécuritaires ; ou alors le ministre de la Défense qui n’a vraiment rien d’autre à défendre que le funeste Système ? On veut nous ramener à l’ère d’avant le pétrole, scandaient hier les chauffeurs de taxi poussés à la ruine par la hausse effarante du prix de l’essence. Illustration vivante à l’appui, le brave mulet qu’ils promenaient. Attention les taxis, en ces temps d’infortune les ruades tuent. Issa GORAIEB
Des balles tout ce qu’il y a de plus réel pour riposter aux cailloux de la colère. Et la télévision ne vous jouait pas des tours, cela ne se passait pas à Gaza, Jénine, Jéricho ou Naplouse, mais cette fois à l’entrée sud de notre bonne ville de Beyrouth.
Se prendra-t-on à regretter l’heureux temps où l’on se contentait de tabasser à coups de crosse, de trique et...