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Pour qui sonne le glas ?
Par GUEUTCHÉRIAN Yolande, le 23 février 2005 à 00h00
Le tragique décès de Rafic Hariri, de ses compagnons et de victimes anonymes a replongé le Liban dans les affres de la guerre. Dès l’explosion, les amis... les Libanais reprennent leurs anciennes habitudes, leurs réflexes bien huilés durant les 15 années de guerre: les uns et les autres se ruent sur leur téléphone fixe ou sur leur portable pour s’enquérir de leurs familles et amis. La panique est à son paroxysme lorsque ceux-ci cessent de fonctionner: pas moyen de communiquer, comme durant la guerre. À l’effroi suite à l’attentat, succède l’inquiétude d’être sans nouvelles des personnes qu’on aime ; tous les souvenirs traumatiques refoulés resurgissent, avec toute l’angoisse qu’ils véhiculent. Les écoles sont prises d’assaut par les parents avec des scènes proches de l’hystérie relatées par les éducateurs. Chacun veut récupérer son enfant, le plus vite, et se terrer chez lui, devant la télévision.
L’impact de l’image, nous n’y reviendrons jamais assez. Les images d’un corps en train de brûler, de cadavres et de blessés qu’on évacue, de voitures calcinées, de l’immense cratère... Des images qu’on retransmet en boucle et desquelles on ne peut détacher son regard, des images plus parlantes que n’importe quelle parole. Les mots viendront ensuite, quand l’effet de sidération s’apaisera, quand la personne se réappropriera sa capacité de penser.
Plus tard, des images encore de la famille éplorée, de la veuve et des enfants auxquels on ne peut que s’identifier.
Un père est mort. On évoquera très peu les autres victimes.
Un père est mort et chacun est renvoyé à la mort advenue ou à venir de son propre père.
Un père est mort tragiquement, un père symbolisant la reconstruction, fauché, «détruit» sur les lieux mêmes de l’édification d’un Liban à laquelle il participait avec passion.
Des funérailles populaires, la simultanéité du glas des églises et des prières du muezzin... Chacun fait partie de la famille, concerné, même si quelques jours plus tôt le personnage lui importait peu.
Un père courageux ose dire non, ose désigner l’agresseur, ose nommer ses présumés assassins. Alors la foule s’enflamme et le porte à bout de bras en héros. Les Libanais ont besoin d’un héros, ils en ont manqué, et chaque fois qu’ils l’ont trouvé, il a été soit assassiné, soit muselé. Ce héros se trouve aujourd’hui incarné par Rafic Hariri, devenu le fils, le père, le frère de tous et élevé au rang de héros national, parce qu’il a été tué.
Nous avons connu ce phénomène de masse au Liban durant les années de guerre, lorsque hommes, femmes et enfants se retrouvaient, des jours durant, pour protester contre l’agresseur, qui s’avère aujourd’hui... le même, du moins pour la foule. Le ressentiment, la colère, la haine, l’impuissance d’alors refont surface. Le Libanais a des comptes à régler, et toutes communautés et confessions confondues, il fait corps autour de la dépouille de M. Hariri. De victime passive dont la parole était muselée, il se transforme, par la force et le courage que procurent le goupe, la masse, en citoyen qui se veut actif. Il ose alors demander son indépendance, en s’identifiant au « père mort », pour pouvoir se réapproprier son identité.
Tant que les Libanais resteront unis et solidaires, le glas ne sonnera pas pour le Liban.
Yolande GUEUTCHÉRIAN
Le tragique décès de Rafic Hariri, de ses compagnons et de victimes anonymes a replongé le Liban dans les affres de la guerre. Dès l’explosion, les amis... les Libanais reprennent leurs anciennes habitudes, leurs réflexes bien huilés durant les 15 années de guerre: les uns et les autres se ruent sur leur téléphone fixe ou sur leur portable pour s’enquérir de leurs familles et amis. La panique est à son paroxysme lorsque ceux-ci cessent de fonctionner: pas moyen de communiquer, comme durant la guerre. À l’effroi suite à l’attentat, succède l’inquiétude d’être sans nouvelles des personnes qu’on aime ; tous les souvenirs traumatiques refoulés resurgissent, avec toute l’angoisse qu’ils véhiculent. Les écoles sont prises d’assaut par les parents avec des scènes proches de l’hystérie relatées par les...
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