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Actualités - OPINION

Des mots pour ne pas le dire

À défaut des trois célébrissimes « non » de Khartoum, c’est par un brelan de grandes premières que se solde le Sommet arabe tenu, après maints grincements et tiraillements, le week-end dernier à Tunis. La première de ces trois grandes premières, à caractère structurel et organisationnel, consiste en un amendement en profondeur de la Charte de la Ligue arabe, demeurée inchangée depuis bientôt... soixante ans. Une fois reliftée, la Ligue sera-t-elle vraiment plus actuelle, plus performante, plus crédible, plus apte à rassembler sans faire insulte à l’intégrité de chacun de ses 22 membres ? L’avenir seul le dira. Plus immédiatement productive pourrait s’avérer la condamnation sans précédent, par les Arabes, de toutes les opérations menées contre des civils, « sans distinction ». Bien que seules soient nommément citées les victimes palestiniennes et irakiennes, la sentence équivaut incontestablement à une claire répudiation des attentats-suicide menés par certains groupes extrémistes contre des Israéliens. Si le développement est de taille, des critères nouveaux émergent cependant du flou, et il sera sans doute plus délicat et plus difficile qu’auparavant de tracer une frontière précise entre actes de résistance et actes de terrorisme. Last but not least, la démocratie fait une entrée très remarquée dans le morne jargon propre aux sommets. Pas de célébration hâtive, pas de liesse prématurée toutefois : ce n’est pas encore la nuit du 4 août version princes du désert, les potentats ne sont pas près de renoncer à leurs abusifs privilèges ou de scier la branche de palmier-dattier sur laquelle ils sont assis. Il reste que le programme de modernisation et de développement adopté à Tunis, et qui vise à « approfondir » les bases de la démocratie, est en ceci extraordinaire qu’il concerne directement les quelque 250 millions de mortels peuplant les divers paradis arabes. Et qui n’avaient jamais eu les honneurs du moindre codicille, même mensonger, oubliés qu’ils étaient en effet entre les impératifs de la confrontation avec l’ennemi israélien et les plates proclamations de solidarité arabe. « Approfondir », ah le joli mot, le charmant euphémisme pour désigner ce tout premier coup de pioche que l’on se propose enfin de donner sur les chantiers désespérément vierges d’une démocratie invariablement décrétée hors la loi. Comme pour ramener sur terre les rêveurs, le terme de « processus » est bien là d’ailleurs, signalant que la voie est longue et laborieuse. Et que si dans leur admirable mansuétude tous ces Raïs, majestés et altesses consentent volontiers à se pencher sur les besoins en oxygène de leurs sujets, il leur faut tout de même agir par étapes, en tenant compte des spécificités propres à chacun des pays membres. Et prendre tout leur temps pour consulter – en toute démocratie – qui ses généraux, qui ses chefs de tribu et qui son « Parlement ». Il leur faut aussi s’assurer, précision utile, que ce méritoire effort de libéralisation s’accompagnera... d’un juste règlement des conflits qui font rage au Proche-Orient. En somme, on ne libéralise pas parce qu’il est bon de libéraliser, parce que le droit des gens commande le respect des droits de l’homme, la liberté d’expression, l’indépendance de la justice et la participation de la femme à la vie publique. On ne libéralise pas parce que la modernité ne s’accommode plus de monarchies rescapées du Moyen Âge ou de dictatures venues du froid soviétique. On libéralise – ou on en fait promesse – pour amadouer les Américains s’obstinant à brandir leur projet d’un « Grand Moyen-Orient » démocratique allant du Maroc à l’Afghanistan, qu’ ils souhaitent faire entériner d’ailleurs par leurs partenaires du G8 lors de leur prochaine rencontre à Sea Island. On libéralise au futur – mieux encore, au conditionnel – comme si le fabuleux cadeau, la déchirante concession étaient destinés au tandem Bush-Sharon en échange de la paix en Palestine et en Irak, les peuples ne devant bénéficier qu’accessoirement, subsidiairement et par ricochet, de cette manne démocratique. Mais qu’importe, l’honneur est sauf puisque grâce à l’ombrageuse, la tatillonne vigilance d’un autre tandem, libano-syrien celui-là, on cherchera en vain dans le communiqué final de Tunis le mot tabou, le mot infamant de réformes. Et c’est toujours cela que George Bush n’aura pas ! Issa GORAIEB
À défaut des trois célébrissimes « non » de Khartoum, c’est par un brelan de grandes premières que se solde le Sommet arabe tenu, après maints grincements et tiraillements, le week-end dernier à Tunis.
La première de ces trois grandes premières, à caractère structurel et organisationnel, consiste en un amendement en profondeur de la Charte de la Ligue arabe, demeurée...