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THÉÂTRE - «Khedlak Kadché», de Aïda Sabra et Youmna Baalbacki, au Monnot * Le mutisme de l’une contre les paroles de l’autre (photo)

Au premier abord, on pense qu’il s’agit là d’une pièce dédiée aux neurasthéniques des périodes de fêtes. Aïda Sabra – appelons-la madame X – écarquille les yeux, roule des pupilles et prend un air de rongeur réveillé en sursaut en période d’hibernation. Pendant ce temps, Youmna Baalbacki – mademoiselle Y – jongle avec des pommes dans une robe vert… pomme. Au bout des 45 minutes que dure Khedlak Kadché (Mords y!) – cuisinée en tandem par les deux actrices réalisatrices –, on se rend à l’évidence: voilà une pièce bien construite, bien pensée, bien articulée et, surtout, bien interprétée. Inspiration libre de La plus forte d’August Strindberg, En attendant Godot de Samuel Becket et du recueil Birthday Letters de Ted Hughes, elle présente l’histoire fragmentée de deux amies. L’une très volubile, l’autre muette. La discussion (ou plutôt le monologue), au départ plutôt badin, prend vite un tour haineux. Madame X a des tirades qui reviennent en leitmotiv et prennent bizarrement, à chaque fois, une signification nouvelle. Mademoiselle Y, elle, a des silences qui en disent long. C’est l’histoire de deux femmes qui se rencontrent à propos… d’un homme. L’une parle, l’autre non. Tout en paroles et cris, Sabra donne un timbre à la colère, la folie et la violence pulsionnelle de son personnage. Le texte fort, violent, va au bout des rapports ambigus des personnages. Dans le silence et les gesticulations de Baalbacki, on y retrouve aussi, sur un mode symbolique, le transfert des apparences, les corps au supplice, l’éclat et le trouble. Au fond, chez les deux femmes, c’est le même univers sans appel et surtout sans rédemption, le même constat de relativité, le même désenchantement. Les diatribes de l’une et le mutisme de l’autre se présentent alors comme des variations musicales sur le même thème. Une mélodie minimaliste où des personnages au passé indéterminé se rencontrent et dialoguent sans but précis. Ces femmes au passé lourd, à l’existence d’automates, n’ont pas non plus de futur, n’ayant ni mémoire ni projets. Et tout cela finit dans un ressassement psychotique des mêmes velléités d’en finir, des mêmes échecs pitoyables, qui font penser à l’antidestin dérisoire de clowns sans public. Le théâtre nu Quelques accessoires de fortune rythment la scène tapissée de blanc: un arbre, une vidéocassette, des pommes, des chaussures masculines et une paire d’escarpins rouges. Comme si la scénographie voulait inciter les troupes de théâtre à prononcer un vœu de pauvreté. Les deux femmes ont choisi délibérément ce qu’elles peuvent trouver de moins spectaculaire possible pour atteindre le squelette nu de l’activité théâtrale, la forme la plus proche d’une abstraction de théâtre. Dans ce dénuement matériel, on peut néanmoins repérer une certaine cohérence symbolique des accessoires, dans leur rapport aux personnages: l’arbre est trop court pour servir de potence. Il est, de plus, accroché à l’envers. La vidéocassette déroule son film comme madame X raconte son histoire. En flash-back, en accéléré, au ralenti. Les chaussures, symbole de l’homme aimé, convoité des deux. Et la pomme, fruit de la tentation, chaire défendue, aguichante, attirante et croquée à belles dents. «Mords y!», ce sont les seuls mots prononcés par mademoiselle Y. Le spectateur est embarqué dans un temps cyclique arrêté, c’est-à-dire non pas une spirale mais un cercle pur, un retour irrémédiable à la case départ: les non-aventures des deux personnages redémarrent toujours au même point mort, pour finir toujours en impasse. Maya GHANDOUR HERT * Jusqu’au 12 décembre. Puis du 16 au 19 décembre. Réservations: 01/202422.
Au premier abord, on pense qu’il s’agit là d’une pièce dédiée aux neurasthéniques des périodes de fêtes. Aïda Sabra – appelons-la madame X – écarquille les yeux, roule des pupilles et prend un air de rongeur réveillé en sursaut en période d’hibernation. Pendant ce temps, Youmna Baalbacki – mademoiselle Y – jongle avec des pommes dans une robe vert…...