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Énergie - Une récapitulation de ce qui ne tourne pas rond depuis des années L’électricité, un secteur gangréné de toutes parts(photos)

Bientôt quinze ans après la fin des hostilités et quelque dix milliards de dollars plus tard, les coupures d’électricité continuent d’évoquer des temps d’exception en principe révolus. Les investissements s’en ressentent, ainsi que la qualité de vie des contribuables et leurs finances : en effet, ceux-ci sont obligés de payer leurs factures (si ce n’est, indirectement, celles des utilisateurs qui ne se sentent pas concernés par le paiement de leurs dus) en plus de celle de l’abonnement aux générateurs de quartiers, dont ils subissent depuis de longues années les émanations de mazout. Sans compter que les Libanais dans leur ensemble sont désormais tenus d’assumer les frais de la facture salée d’un secteur d’électricité qui ne se résout pas à devenir fonctionnel. Quelles sont les raisons de ce ratage monumental ? Une chose est sûre, il en existe de multiples. Elles sont principalement dues, selon de nombreuses opinions, à une gestion déficiente, à des tiraillements politiques bien connus et, surtout, à une corruption ancrée dans le secteur. À observer l’évolution du secteur de l’énergie ces dernières années, on ne peut qu’avoir la sensation de nager dans l’absurde : centrales construites à coups de millions de dollars avant que les réseaux de transport de l’énergie qu’elles sont censées produire ne soient installés, le gaz de Syrie qui ne parvient toujours pas aux nouvelles centrales parce que... la partie libanaise du pipeline n’a pas encore vu le jour, d’où le fait qu’elles continuent de fonctionner au fuel, bien plus cher, etc. À un moment où le nouveau cabinet Karamé fait du redressement du secteur de l’électricité une de ses principales priorités, des sources bien informées interrogées par « L’Orient-Le Jour », dont la plupart ont préféré s’exprimer sous couvert d’anonymat, reviennent sur les faux pas, les réalisations incomplètes, le gaspillage, les obstacles politiques, les intérêts financiers de particuliers qui ont primé sur l’intérêt public... Autant de facteurs qui ont jalonné les années 90 jusqu’à nos jours. Et qui ont empoisonné ce secteur, autant au niveau de la production que de l’entretien des centrales, de la gestion, de l’approvisionnement en fuel, ou de la collecte. Avant les années 90, outre ses centrales hydrauliques (Litani, Qadicha, Nahr Ibrahim...), le Liban comptait principalement sur les centrales de Zouk et de Jiyeh, toutes deux thermiques, pour l’alimentation en courant électrique. La seconde avait été construite grâce à un prêt de la BEI, qui a été remboursé depuis. Dans le courant des années 90, la demande en énergie ayant augmenté, il a été décidé de construire deux autres centrales, à Deir Ammar et à Zahrani, grâce à un prêt italien de 700 millions de dollars. Les premières anomalies ont fait leur apparition à ce stade, selon un observateur, qui note que « le contrat a été signé par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) alors que la responsabilité du paiement incombe à l’Électricité du Liban (EDL) ». Les problèmes ne se sont pas arrêtés là : les deux centrales ont été conçues pour fonctionner au gaz, infiniment plus économique et écologique que le fuel (voir encadré), ce dernier combustible ne devant être utilisé que dans les cas d’urgence. De plus, le système est conçu de telle façon que la fumée dégagée par les deux turbines principales peut faire fonctionner une troisième, pratiquement gratuitement. Or les deux centrales n’ont jamais fonctionné au gaz, qui devait parvenir de Syrie via un pipeline, dont la seule partie syrienne a été réalisée... alors que la partie libanaise se fait toujours attendre. Un tel retard demeure inexplicable vu les économies pouvant être réalisées par l’utilisation du gaz, à moins que, selon certaines sources, l’on tienne compte du rôle joué par certains importateurs de fuel, « plus puissants que l’État, en l’occurrence », constatent-elles. D’autres dénoncent le fait que même l’importation de gaz de Syrie n’a jamais fait l’objet d’un accord clair, ni la qualité du gaz d’une étude spécifique. Une autre anomalie constatée au niveau de la construction des centrales concerne le fait que les réseaux électriques reliés aux sites n’ont pas été finalisés tout de suite : il aura même fallu attendre trois ans avant qu’une loi ne soit adoptée en ce sens et que ces centrales puissent devenir fonctionnelles. Pourquoi ? Selon l’économiste Marwan Iskandar, les centrales ne fonctionnent toujours qu’à 30 ou 33 % de leur capacité réelle parce que la liaison avec les réseaux de distribution n’est pas encore suffisante. Quoi qu’il en soit, la flambée des prix du pétrole est venue aggraver la situation, et augmenter le recours au rationnement durant les périodes de pénurie. Le fuel et le gasoil étant les principaux carburants utilisés pour la production d’électricité au Liban, le coût de la production s’en est évidemment ressenti, dépassant la barre des 10 cents par kilowatt/heure selon M. Iskandar, atteignant les huit cents selon d’autres sources. Il n’est que de quatre cents en Syrie ou en Turquie. Cela entraîne évidemment des pertes au niveau de l’EDL, vu que l’échelle des tarifs daterait de 1996. Selon une source interrogée, faire fonctionner toutes les centrales à plein régime reviendrait à 100 millions de dollars par mois, d’où le fait qu’accorder le courant 24h/24 poserait non seulement un problème financier insurmontable, mais aussi un problème technique d’entretien des centrales, notamment celle de Zouk. L’achat du fuel se fait actuellement par le biais de sociétés d’importation privées. Un accord bilatéral avec le Koweït avait été suggéré par Rafic Hariri, alors Premier ministre, il y a quelques années. Des propositions d’accords avec d’autres pays ont également été examinées à la demande du président de la République. Mais l’affaire, qui aurait été avantageuse pour le Liban autant au niveau du prix que de la qualité, s’est arrêtée là, sans que des raisons claires n’aient été données pour le refus du Conseil des ministres de l’époque de suivre cette affaire. Toutefois, la possibilité d’accords bilatéraux a été récemment évoquée par le nouveau ministre de l’Énergie, Maurice Sehnaoui, lors d’une conférence de presse. Un contrat d’interconnection non honoré De l’avis quasi unanime (la perspective est considérée sérieusement par l’actuel gouvernement), l’achat d’électricité de pays voisins pourrait représenter une économie considérable. Le Liban est signataire d’un accord d’interconnection avec six pays de la région. Mais la réalisation complète du réseau de haute tension 220 volts au Liban bute sur l’installation de... quelques pylônes dans certaines régions. Les sources interrogées estiment qu’il s’agit d’un problème politique, les autorités locales et certains politiciens cédant à la pression de propriétaires terriens qui craignent la dévaluation du prix de leurs terrains, ou aux peurs liées à d’éventuels risques de santé représentés par la proximité de quartiers résidentiels. Cependant, d’autres personnes interrogées soupçonnent les « mafias » locales, qui profitent du chaos ambiant pour s’enrichir, d’être à l’origine de ce blocage. Les réseaux de distribution ne sont pas seulement incomplets, ils sont sujets au gaspillage technique et criminel. Bien que les branchements illicites aient été nettement limités dans le Grand-Beyrouth (voir encadré), les pertes au cours de la transmission et de la distribution sont toujours estimées à 45 % selon un rapport de la Banque mondiale (BM) datant du second trimestre 2004, contre moins de 30 % pour le Yémen, 25 % pour l’Algérie, entre 15 et 20 % pour l’Égypte et le Maroc, 15 % pour la Jordanie et l’Arabie saoudite, 11 % pour la Tunisie, etc. et une moyenne de 8 % pour les pays industrialisés. L’EDL, qui est un établissement public autonome à caractère industriel et commercial, souffre également de l’insuffisance des collectes au niveau des régions, de la flambée des prix du pétrole, des blocages politiques et autres. Mais la compagnie n’en fait pas moins face à des problèmes structurels et politiques internes. Certains font mention d’un conseil d’administration extrêmement politisé, qui a reflété souvent les tiraillements observés au niveau du pays, ce qui a causé, selon eux, à plus d’une reprise, la paralysie de l’EDL. Plusieurs personnes dénoncent le manque de personnel : avec l’interdiction d’embauche, les 5 000 employés de l’EDL en 1975 ne sont plus que 2 500 aujourd’hui, après le départ à la retraite des autres. Leur moyenne d’âge est de plus de 50 ans et les techniciens sont en sous-nombre, indique M. Iskandar. Pour pallier ce manque, la compagnie fait appel à des sociétés étrangères... qui sous-traitent à des compagnies locales. Même si certains affirment que cela ne coûte pas plus cher tout en remarquant que la procédure manque de logique, d’autres soulignent les frais supplémentaires occasionnés. Par conséquent, l’EDL connaît aujourd’hui un déficit important, estimé par M. Iskandar à 700 millions de dollars pour 2004. La compagnie est endettée envers l’État qui a souvent comblé son déficit. D’un autre côté, certains dénoncent les multiples institutions publiques qui ne paient pas leur consommation d’électricité, noyant encore plus la compagnie. « Faux problème », rétorquent d’autres, qui pensent que ces sommes peuvent tout simplement être déduites de la dette de l’EDL envers l’État. Le débat reste ouvert... Des solutions pour des défis Toutefois, après des milliards dépensés, des crises se déclenchent chaque quelque temps, à l’instar de ce qui s’est produit en octobre dernier, quand la capitale et les provinces se sont retrouvées dans le noir, avant que l’État ne décide d’intervenir pour renflouer les caisses de l’EDL et permettre l’achat du fuel nécessaire. Mais il est indéniable que les solutions radicales tardent à se mettre en place. Au travers des divers entretiens, il est possible d’imaginer que ces solutions, qui doivent nécessairement être multiples pour répondre aux divers défis, se présentent en même temps comme simples et compliquées : simples parce qu’elles sont évidentes, compliquées parce que leur application nécessite des réformes profondes. D’un point de vue technique, l’utilisation du gaz dans les centrales de Deir Ammar et Zahrani et la réalisation des réseaux de haute tension ont souvent été évoquées. L’électricité hydraulique, moins chère, pourrait être développée mais n’est pas en mesure de résoudre l’ensemble du problème, puisqu’elle ne représenterait dans le meilleur des cas que 10 % de la consommation locale. Pour ce qui est du fuel, la conclusion d’un accord bilatéral avec un pays producteur est revenue sur le tapis, ce qui permettrait non seulement d’obtenir de meilleurs prix, mais de couper court aux éventuelles commissions versées lors de telles opérations. D’un point de vue structurel, certains ont suggéré une décision politique qui donnerait à l’EDL une immunité totale et la soustrairait aux pressions qu’elle subit, sans y attacher trop d’espoir. Les options envisagées par le gouvernement sont toujours entourées du plus grand flou, même si l’achat de courant de Syrie et la privatisation ont été évoqués. Selon un expert interrogé, « c’est la corruption qui est à la base de tous les problèmes, il faut accompagner toute mesure d’une réforme administrative totale, sinon la privatisation intéressera surtout les “mafias” locales, désireuses de créer un monopole ». Et de poursuivre : « Tout ce que nous utilisons est importé et payé en dollars. Mais alors que le prix des turbines est fixe, l’État peut obtenir de meilleurs prix pour les pièces de rechange et les carburants, surtout s’il élimine les intermédiaires. » Pour sa part, M. Iskandar suggère également que l’EDL signe un contrat avec une compagnie spécialisée dans la production et la collecte, qui se chargerait d’installer des compteurs électroniques. Suzanne BAAKLINI Le rapport de la BM : des économies de centaines de millions de dollars par l’introduction du gaz « L’introduction du gaz naturel au Liban serait très bénéfique, contribuant à une amélioration de la situation financière du secteur de l’énergie par une réduction des coûts, estimée entre 140 et 300 millions de dollars par an », lit-on dans le rapport du second trimestre 2004 de la Banque mondiale, concernant le secteur de l’énergie au Liban. Le rapport estime également que, sur une période de 15 ans, le Liban aura évité de dépenser l’équivalent de 740 millions de dollars en dégradation environnementale et de santé publique. Toutefois, poursuit le texte, l’introduction de gaz naturel requiert un développement substantiel dans l’infrastructure, ce qui paraît risqué au vu de la détérioration de la situation du secteur. « Une restructuration immédiate de l’EDL, par le biais d’un contrat de gestion temporaire, est recommandée parallèlement à l’élaboration d’une stratégie à long terme qui vise à augmenter la participation du secteur privé et la compétition efficace », souligne le rapport de la BM. Et d’ajouter que la région est riche en gaz, pouvant offrir au Liban de multiples sources d’approvisionnement au cas où les ressources en provenance de Syrie sont limitées. Par ailleurs, le texte reprend des chiffres selon lesquels la facture d’importation de produits pétroliers aurait atteint quelque 720 millions de dollars en 2002, ce qui représentait à l’époque l’équivalent de 60 % des revenus du pays. Collecte, tarifs et pénalisation Depuis 2002, EDF a pour mission d’améliorer les recettes par la réduction des branchements illicites dans le Grand-Beyrouth (300 000 clients) et l’amélioration, par conséquent, des recettes. Selon une source bien informée, « les branchements illicites ont été réduits de 60 % dans cette région, 30 000 PV ont été dressés en 2003 (75 000 en 2002), et on devrait enregistrer cinq millions de dollars de recettes cette année ». Cette source ajoute que le taux d’encaissement est en progrès constant (arrivant jusqu’à 96 ou 97 % dans des localités comme Antélias et Chiyah), et le taux d’utilisation de l’énergie suit une courbe ascendante. Pour son travail au Liban, EDF a jusque-là employé les services de trois compagnies libanaises dont le personnel effectue les tournées sur le terrain, se heurtant souvent à des résistances de la part des contrevenants. Des affrontements qui ont souvent obligé les compagnies à avoir recours aux forces de l’ordre. Le tarif de l’électricité au Liban est l’un des plus chers au monde. Qu’en est-il en réalité ? Des responsables interrogés nuancent cette information. En fait, pour l’usage domestique, le tarif progressif est de 35 LL pour les premiers 100 kw/h, et atteint les 200 LL à partir de 500 kw/h. Les industriels payent 115 LL au lieu de 200 LL pour la même consommation. La collecte n’étant pas exemplaire dans toutes les régions, elle devient l’un des facteurs de déficit de l’EDL. De plus, les concessionnaires dans les provinces (Qadicha, Zahlé...) obtiennent des tarifs préférentiels, d’où le fait que l’EDL leur vend à perte. À cette incapacité de régulariser la situation de tous les utilisateurs s’ajoutent des mesures qui n’encouragent vraiment pas à la consommation d’électricité comme, par exemple, les taux extrêmement élevés d’installation des équipements, qui peuvent arriver jusqu’à 500 ou 600 millions de livres pour un grand client (selon des sources informées). Quant au branchement illicite, il est passible d’une amende. D’aucuns pensent qu’il faudrait commencer à le considérer comme tel, c’est-à-dire un vol pur et simple, donc un délit pénal, avec des mesures coercitives. Par ailleurs, de nombreuses plaintes en relation avec des factures exorbitantes, venant de consommateurs possédant un compteur, ont été enregistrées. Selon les informations obtenues auprès de personnes concernées, il faudrait envisager le scénario suivant : un percepteur se rend auprès du client mais n’a pas accès au compteur, et ne facture donc que le montant de l’abonnement. Après un ou plusieurs mois, il arrive enfin à lire le compteur et considère tout ce qui y est inscrit comme faisant partie d’une même facture. Comme les tarifs sont progressifs, l’abonné sera chargé selon les tarifs des branches les plus chères et sa facture totale sera très élevée. Il est possible dans ce cas de s’adresser à l’EDL pour demander un redressement de cette facture. Peut-on considérer que le déficit de l’EDL serait comblé au cas où la collecte se ferait à 100 % dans toutes les régions ? Un expert interrogé se montre dubitatif vu les prix élevés du pétrole, sans écarter, évidemment, la nette amélioration que cela représenterait.

Bientôt quinze ans après la fin des hostilités et quelque dix milliards de dollars plus tard, les coupures d’électricité continuent d’évoquer des temps d’exception en principe révolus. Les investissements s’en ressentent, ainsi que la qualité de vie des contribuables et leurs finances : en effet, ceux-ci sont obligés de payer leurs factures (si ce n’est,...