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Actualités - ANALYSE

Analyse - Au marché des modes de scrutin, quel choix pour le Liban ? I - Un système électoral en panne

Tous les quatre ans, le microcosme politique libanais redécouvre, le temps de forger une nouvelle loi électorale, un étrange vocabulaire qu’il manie avec toute l’adresse d’un nourrisson étrennant son premier hochet. Que l’homme de la rue ne se retrouve pas dans la jungle des concepts issus de la démocratie représentative peut paraître normal dans un pays dont la tradition dans ce domaine est, quoi qu’on dise, plutôt mince. Mais que les politiques eux-mêmes s’y perdent, voilà l’une des raisons pour lesquelles nous avons chaque quatre ans une « nouvelle » loi électorale. L’autre raison étant, bien entendu, qu’il existe tout de même un certain nombre de « fins connaisseurs » mettant en œuvre leurs petits talents pour fabriquer des législatures sur commande. Un peu à la manière d’un avocat véreux qui connaîtrait « trop » bien le code civil. Moitié ignorance, moitié mauvaise foi : voilà donc de quoi est fait le paysage électoral libanais depuis... eh bien, depuis toujours. Même si une mention particulière devrait être décernée en la matière à la IIe République, sous laquelle à un mode de scrutin suranné et quasi loufoque, on a ajouté les caprices d’un découpage surréaliste. Mais que demande-t-on au juste à une loi électorale ? De servir de simple code régissant la désignation des députés de la nation ou bien de refonder entièrement la vie politique ? Comme toujours, la vérité se trouve quelque part au milieu. Il est incontestable qu’un changement de mode de scrutin induirait des transformations qualitatives d’une ampleur considérable dans l’aréopage politique et, du coup, au sein même des institutions de l’État. Mais il est faux de prétendre qu’on peut révolutionner les mœurs politiques d’un peuple rien qu’en modifiant son système électoral. Des partis dogmatiques, issus d’idéologies quasiment disparues en Occident mais qui ont toujours pignon sur rue sous nos latitudes, continuent de croire en la panacée électorale. C’est bien pour cela qu’ils sont dogmatiques. Le sectarisme communautaire, le clientélisme et la corruption sont partie intégrante du paysage libanais. Combattre ces tares est un devoir et une nécessité pour tous, mais les remèdes proposés sont-ils les bons ? Le mieux est l’ennemi du bien, dit-on. Alors, imaginons un système « idéal » qui conduise à la Chambre 128 députés qui ne soient pas sectaires, n’entretiennent pas de cour et ne font la fortune de personne. Que se passerait-il ? Dans la meilleure des hypothèses, nous aurions formé un club d’individus parfaitement honorables et totalement incapables, simplement parce que la réalité politique serait, elle, abandonnée à la rue. Une vraie démocratie ne lutte pas de face contre les défaillances de la société. Toujours de biais. Elle n’abat pas, mais canalise. Elle ne craint pas d’ouvrir ses institutions aux diverses tendances politiques de la population parce que c’est le seul moyen de les banaliser, au sens positif du terme. C’est-à-dire de leur retirer tout caractère conflictuel violent. L’alternative est la tyrannie ou la guerre civile. Bien sûr, il n’y a pas de démocratie parfaite. Simplement perfectible. Il est possible et même parfois souhaitable qu’un gouvernement décide, par le choix d’un mode de scrutin plutôt qu’un autre, d’empêcher que les extrêmes de la société ne soient largement représentés au Parlement. N’oublions pas que Hitler est arrivé au pouvoir par des voies démocratiques. C’est, par exemple, le cas en France, où le Front national de Jean-Marie Le Pen, qui dispose d’une audience nationale dépassant les 15 % de l’électorat, ne parvient pourtant pas à faire élire un seul député. Pourquoi ? En gros parce que le système en vigueur – majoritaire uninominal à deux tours – ne permet pas à un parti ne disposant pas d’alliances avec d’autres formations politiques de faire élire ses candidats. Il en serait tout autrement si la France avait adopté la proportionnelle ou même la majoritaire à un seul tour. On peut naturellement considérer qu’il y a là une sérieuse entorse au principe démocratique. Mais il s’agit d’une entorse décidée consensuellement et qui bénéficie de l’aval de la majorité écrasante de l’électorat. Le scénario est loin d’être identique au Liban, où les intérêts d’un État tuteur – en l’occurrence la Syrie –, doublés de ceux d’une poignée de « zaïms » locaux, priment sur tout le reste. De sorte qu’ici, la règle est d’exclure. Inclure est l’exception. La tutelle syrienne a aggravé le déficit démocratique au Liban. Elle ne l’a cependant pas créé. Aussi loin que l’on remonte dans le temps, on retrouve toujours le même mode de scrutin, à savoir le système majoritaire plurinominal à un tour (avec listes ouvertes). Les trois législations adoptées depuis Taëf s’y sont toutes conformées. Ce qui change périodiquement, c’est le découpage des circonscriptions, la main du législateur se faisant plus ou moins lourde, selon les cas. Que les estafettes et autres minibus de l’avant-Taëf se soient transformés en rouleaux compresseurs – les fameux « bulldozers » – est certes désolant. Il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas de grande différence entre le passager d’un side-car et celui d’un jumbo jet, puisque dans les deux cas, ils ne sont que des passagers, c’est-à-dire qu’ils sont tributaires d’un conducteur pour les emmener à la destination voulue. C’est donc à lui qu’ils doivent leur voyage et à nul autre. De plus, lorsque l’on sait par quels moyens souvent peu avouables sont fabriquées les listes – petites ou grandes –, autrement dit pourquoi on prend avec soi tel passager et pas tel autre, on conçoit l’absurdité d’un système reposant à la fois sur la règle majoritaire (le vainqueur rafle tout) et la plurinominalité (plusieurs sièges dans une seule circonscription). Le plus souvent, ce ne sont en effet pas les affinités politiques qui commandent le processus de formation des listes. Mots d’ordre, marchandages et autres calculs d’intérêts particuliers sont les principaux critères liant des candidats entre eux. Mais il y a d’autres absurdités encore : le panachage n’est pas l’une des moindres. Beaucoup voient dans la possibilité donnée à l’électeur de rayer un nom sur une liste comme un bienfait, une soupape de sécurité et de liberté, le votant étant ainsi capable de dire « non » au plat prêt qu’on lui sert. La réalité est tout autre. Outre le fait qu’en démocratie, on n’est pas censé voter pour une chose et son contraire, le panachage se révèle être bien plus souvent un instrument de (basses) manœuvres aux mains des états-majors politiques eux-mêmes qu’en celles des électeurs. D’autre part, combien sont-ils au Liban les électeurs « libres » à la fois politisés et n’ayant pas d’engagement politique précis ? Dans une société où il existe encore ce qu’on appelle des « clés électorales », c’est-à-dire des espèces de chefs de clan ou de tribu qui – sur un mot d’ordre donné – mobilisent à eux seuls des dizaines, des centaines, voire des milliers de voix dans un sens ou un autre, les effets bénéfiques du panachage en deviennent extrêmement rares. Enfin, à supposer que l’on retienne le caractère positif des listes ouvertes, on ne voit pas pourquoi on s’évertuerait à défendre une aussi mince soupape de sécurité lorsqu’on peut réformer l’ensemble du système et choisir un mode de scrutin qui n’ait justement pas besoin de quelconques soupapes pour être sûr ? Un fait est aujourd’hui certain : le code électoral en vigueur au Liban est aujourd’hui une curiosité de musée. Aussi loin que la vue puisse porter, et pas seulement en direction de l’Occident, on ne voit guère floraison d’exemples similaires sur la planète. Que le Liban n’arrive guère, en 2005, à se sortir de quelques expériences bancales de la IIIe République française, vite abandonnées là-bas, prouve à quel point la politique est en panne dans ce pays. Élie FAYAD Prochain article : « S’il vous plaît, dessine-moi une loi électorale »

Tous les quatre ans, le microcosme politique libanais redécouvre, le temps de forger une nouvelle loi électorale, un étrange vocabulaire qu’il manie avec toute l’adresse d’un nourrisson étrennant son premier hochet.

Que l’homme de la rue ne se retrouve pas dans la jungle des concepts issus de la démocratie représentative peut paraître normal dans un pays dont la...