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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE Le tic-tac est doux et ferme

Quarante-septième semaine de 2004. Encore une fois : on n’applaudit pas un ténor parce qu’il s’est raclé la gorge avant de chanter. Sauf au Liban. Parce que ici, les mœurs politiques imposées par la tutelle syrienne et, surtout, encouragées par la carence totale en amour propre des dirigeants libanais, ces mœurs sont tellement singulières, dégénérées. Elles font que l’on finit par se surprendre à applaudir des dirigeants qui, bon gré mal gré, se forcent à exiger l’application même bancale de la démocratie et des droits de l’homme, le respect des libertés publiques. Comme hier pendant la manifestation des jeunes de l’opposition libanaise en faveur de l’indépendance, de la souveraineté et de la libre décision de ce pays que ces générations futures n’ont pas encore réussi à vouloir ou pouvoir quitter. Des applaudissements certes, mais un peu trop vite étouffés, noyés dans les deux paumes, par des fautes graves, par du doute. Des fautes : l’État a fait se multiplier comme autant de mauvaises herbes les barrages armés dans un Chouf animé, derrière son leader, d’un feu sacré, d’une envie de partager, d’un besoin de réclamer de l’élémentaire. L’État serait-il en train de pousser jusqu’au bout sa logique revancharde crachée dès la formation du gouvernement contre Walid Joumblatt ? Ou l’État aurait-il peur ? Peur d’un Liban non pas à l’image d’une France black-blanc-beur, mais d’un Liban islamo-chrétien, mû par les mêmes urgences, porté par les mêmes rêves, boosté par les mêmes valeurs ; peur de cette unité et de cette solidarité nationales auxquelles ces dirigeants appellent constamment, slogans si creux lorsqu’ils les rabâchent mais qui ont trouvé hier, malgré l’absence, pour l’instant, de jonction, une balbutiante, une timide, une prometteuse concrétisation. Reste aux ténors de cette opposition à faire en sorte de trouver cet indispensable terreau à défricher à deux, trois, sept ou vingt ; ces dénominateurs communs sans lesquels l’opposition resterait fragile, vulnérable, friable, stérile. Des doutes : les dirigeants libanais se seraient-ils transformés en autant de saint François frappés d’une illumination divine, d’une foudre salutaire, bienfaitrice : garder au Liban ses gènes démocratiques, ces spécificités grâce auxquelles une contamination positive de toute une région serait possible et remplacerait ainsi toutes les armes et tous les fantasmes d’exportation américains ? Ou bien les dirigeants libanais, discrètement conseillés par leur tuteur syrien, sont désormais conscients que leur pays est au centre d’un microscope électronique international qui enregistre chacun de leurs gestes, chacun de leurs écarts, chacune de leurs tentatives liberticides ? La tribune d’honneur qui doit accueillir lundi les pôles de ce pouvoir au cours de la cérémonie célébrant le 61e anniversaire de l’indépendance s’est écroulée avant-hier. L’opposition commence, réunie, à préférer le concret aux déclarations d’intention ; les actes aux mots, et les Libanais suivent, jettent des grains de riz. Le pouvoir se rend compte que les temps, les esprits ont changé, que les chèques en blanc n’existent plus... André Gide : « Il y a un réveille-matin ; la petite s’en plaint ; elle dit que le tic-tac l’empêche de dormir... » Émile Lahoud entrera, le 24 novembre, de plain-pied dans son mandat prorogé sur ordre syrien. Sauf que déjà, les choses, le tic-tac se mettent, doucement, en place. Ziyad MAKHOUL
Quarante-septième semaine de 2004.
Encore une fois : on n’applaudit pas un ténor parce qu’il s’est raclé la gorge avant de chanter. Sauf au Liban. Parce que ici, les mœurs politiques imposées par la tutelle syrienne et, surtout, encouragées par la carence totale en amour propre des dirigeants libanais, ces mœurs sont tellement singulières, dégénérées. Elles font que...