Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Des manifestations matinales et une atmosphère lourde de désespoir Pour les réfugiés palestiniens, les choses ne seront plus jamais les mêmes(photos)

Des pneus en feu et des rafales de fusils mitrailleurs tirées en l’air. Telle était la scène hier matin dans divers camps palestiniens du Liban, peu après l’annonce du décès du chef de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat. Des hommes, des femmes et des enfants sont spontanément descendus dans la rue pour crier leur colère. Pour prendre part aux manifestations, certains sortaient de leurs maisons en pleurant, d’autres tenaient les portraits d’Abou Ammar ou portaient une keffieh noire et blanche, symbole de Arafat, en scandant divers slogans de l’OLP. Du haut des minarets, des haut-parleurs ont commencé, aussitôt la mauvaise nouvelle tombée, à diffuser des versets du Coran. Les écoles et les commerces sont restés fermés et des condoléances ont été reçues dans toutes les permanences du Fateh. Mais au bout de quelque temps, peu avant la prière de midi, les manifestants sont rentrés chez eux pour pleurer en silence « Abou Ammar qui a, jusqu’au bout, porté dans le cœur les réfugiés palestiniens du Liban », disent-ils. Et ils s’inquiètent de l’avenir. Ils ont peur que les nouveaux responsables qui se partageront les tâches d’Arafat les « oublient » et les « vendent ». En début d’après-midi hier, c’était la même ambiance qui régnait dans tous les camps du pays, même à Aïn el-Héloué, le camp le plus « chaud » et le plus peuplé du Liban. La même scène partout, des ruelles vides, des banderoles noires, des versets coraniques diffusés à fond la caisse, quelques voitures décorées de rubans noirs et de portraits d’Abou Ammar, des magasins fermés, des hommes et des femmes aux yeux bouffis et au regard vide. Il fallait patienter plus de 30 minutes au barrage de l’armée pour entrer au camp de Rachidiyé. C’est que les soldats libanais vérifiaient l’identité des jeunes Palestiniens qui avaient décidé de sillonner les rues de Tyr et de se rendre dans les trois principaux camps de réfugiés de la ville. Dans une déclaration à la presse, le responsable de l’OLP pour le Liban, Sultan Abou el-Ayneïn, a indiqué, de son fief de Rachidiyé, que « Yasser Arafat a été assassiné avec le consentement des Arabes qui ont simplement accepté qu’il soit assiégé durant trois ans à Ramallah ». Il a également « accusé Israël d’avoir empoisonné Abou Ammar ». Peu après la prière de midi, Abou el-Ayneïn, qui avait pris part à une manifestation dans les rues de Rachidiyé, recevait les condoléances. Ses hommes comptaient ceux qui étaient venus les soutenir. Parmi eux, beaucoup de notables et de responsables du Liban-Sud et des représentants de toutes les factions palestiniennes, « même la Saïka et le Hamas », souligne Abou Riad, qui s’inquiète un peu de « l’avenir qui attend les réfugiés palestiniens du Liban ». « Arafat n’a pas cédé notre droit de retour, et même assiégé à Ramallah, il pourvoyait à tous nos besoins », dit-il. Et comme pour se donner du courage, il martèle un slogan inventé par Abou Ammar : « Nous allons à Jérusalem, des martyrs par milliers ». Une télévision spéciale aux camps du Liban-Sud La permanence du Fateh dans le camp de Bas à Tyr. Ali, un jeune responsable estudiantin de l’OLP qui est également directeur de la chaîne de télévision al-Aqsa, qui diffuse via le câble dans tous les camps de Tyr, indique : « Nous sommes comme anesthésiés. La situation d’Abou Ammar entre la vie et la mort a beaucoup traîné, les Palestiniens de l’intérieur ont voulu préparer la succession et contenir notre colère », relève-t-il, en soupirant : « Abou Ammar mérite mieux. » « Je suis originaire du village de Bassa, à quelques kilomètres de Naqoura. Avec la disparition du Vieux j’ai de fortes chances de ne plus jamais retourner chez moi », dit-il, regardant l’écran qui diffuse en différé la manifestation qui avait eu lieu le matin même au camp de Rachidiyé. « L’équipe de la télévision est formée d’une dizaine de personnes. Nous diffusons, de 9h à minuit, des clips et des chansons de l’OLP, des films et des documentaires sur les territoires occupés, l’exode et la diaspora », dit-il, fier « d’avoir des archives de plusieurs opérations palestiniennes, des massacres de Sabra et Chatila, du départ de Beyrouth en 1982 ». « Parfois aussi nous reprenons des documentaires et des débats diffusés par les chaînes satellites arabes », ajoute-t-il, relevant qu’une autre chaîne du genre, baptisée al-Aouda (le retour), a été récemment créée dans le camp de Aïn el-Héloué pour la zone de Saïda. Le jeune homme donne l’ordre à l’équipe de la télévision, qui travaille dans un local d’une dizaine de mètres carrés, de diffuser à l’antenne le portrait d’Abou Ammar, affublé d’un ruban noir. « Nous devons observer une période de deuil de trois jours », explique-t-il. À la vue du portrait, Mahmoud, quinquagénaire, présent au studio, éclate en sanglots. « Pour tous les Arabes, nous n’étions que des réfugiés, Abou Ammar a fait de nous des êtres humains, des Palestiniens qui ont une cause, une terre et des droits, dit-il. Grâce à lui, nous avons gardé l’espoir de rentrer dans nos villages et avec sa mort tous nos espoirs se sont évanouis », ajoute-t-il. Mahmoud, originaire de Saint-Jean d’Acre, a surtout peur « pour la dignité du peuple palestinien ». Mohammed, 23 ans, vend des cassettes, des CD et des vidéos. Il a tout juste ouvert son magasin pour enregistrer des chansons partisanes. Depuis une quinzaine de jours, il est souvent en rupture de stock. Sur l’écran de son ordinateur, il a choisi d’installer plusieurs portraits de Yasser Arafat et une photo de la mosquée al-Aqsa. « Eternellement des apatrides » Blond aux grands yeux marrons, Mohammed porte la tenue militaire du Fateh et parle le regard perdu dans le vide. « J’ai rejoint les rangs du Fateh alors que j’étais un jeune adolescent. Si j’avais une terre – une patrie – je n’aurai jamais appris à manier les armes », dit-il. Il marque une pause et ajoute : « Tout ceci… pour rien. Tout est fini avec la mort d’Abou Ammar. Avec sa disparition, je n’aurai jamais une véritable identité, je resterai un apatride », enchaîne-t-il. D’autres jeunes se joignent à lui. Eux aussi estiment qu’avec le décès du chef de l’Autorité palestinienne ils resteront « éternellement des réfugiés ». Ils s’en prennent aux Arabes « qui ont, dès le début, vendu les Palestiniens ». « Nous n’oublierons jamais que c’était l’armée de secours arabe qui avait invité nos aïeuls à quitter la Palestine, qui leur avait dit qu’ils retourneront plus tard, les invitant même à fermer les maisons et à prendre les clés pour un retour qui n’a jamais eu lieu, s’insurge Hussein. Les Palestiniens vivent dans la misère des camps, meurent tous les jours en Palestine et les Arabes font la fête à Londres, Paris et Beyrouth… Maintenant, Abou Ammmar n’est plus et c’en est fini de nous », dit-il avec amertume. Aïn el-Héloué hier après-midi. Une odeur de caoutchouc brûlé plane toujours sur un camp fantôme. Des ruelles vides, des épiceries fermées, des banderoles noires et des haut-parleurs qui diffusent des versets coraniques. Des miliciens du Fateh errent, toutes armes dehors, le regard dans le vide. Installés sur le pas de leurs portes, des hommes aux yeux bouffis pleurent en silence. Même le responsable de l’OLP pour le Liban-Sud, Khaled Aref, très énergique d’habitude, a l’air usé. Aref sait que les aides versées jusqu’au mois dernier par le chef de l’Autorité palestinienne à tous les camps du Liban, notamment aux Palestiniens de Aïn el-Héloué, finiront par s’arrêter. « Quand Abou Ammar était au Liban, malgré le fait qu’il était le chef de l’OLP et qu’il avait une lutte acharnée à mener, il était l’homme qui gérait tous les détails », indique Aref, ajoutant qu’assiégé « à Ramallah, il était au courant de tous les détails de la vie quotidienne dans les camps du Liban.» Khaled Aref n’évoque pas les chèques que Yasser Arafat versait généreusement au Fateh mais parle tristement « des aides sociales que les réfugiés recevaient régulièrement et au cas par cas d’Abou Ammar ». La maison de Mounir Maqdah, chef du Fateh pour le Liban et un des fondateurs des Brigades des martyrs d’al-Aqsa. En véritable combattant, Maqdah ne s’attarde pas sur ce genre de détails. « Quand on a une cause, on ne pense pas aux fonds qui ne viendront plus de Ramallah », dit-il. « Et quand on m’a coupé les aides de 1993 à 2000 parce que j’étais contre les accords d’Oslo, j’ai formé mes Brigades au Liban, à Aïn el-Héloué et à Baddaoui », ajoute-t-il. Le quadragénaire, dont la tête est mise à prix par les services de renseignements israéliens, ne se fait pas d’illusions sur l’après-Arafat « que ce soit au Liban avec l’implantation et le désarmement des réfugiés palestiniens et l’application de la résolution 1559 ou dans les Territoires ». « Il y aura certes des dissensions au niveau du leadership palestinien, mais quoi qu’il en soit le peuple aura son mot à dire », indique-t-il, évoquant les « membres des Brigades des martyrs d’al-Aqsa qui sont toujours en contact entre eux, au Liban, en Cisjordanie ou à Gaza ». Maqdah, qui a côtoyé de près Abou Ammar à Beyrouth et à Tunis, et qui n’oublie pas que « la lutte pour la Palestine a commencé au Liban », estime que le Fateh « qui regroupe des artistes, des danseurs, des intellectuels, des ingénieurs et des ouvriers devrait compter surtout sur ses combattants et ses militants qui sont les seuls capables de défendre la cause ». « Avec la mort de Yasser Arafat, certains ont peut-être perdu espoir… Pas les combattants des Brigades des martyrs d’al-Aqsa », martèle-t-il. Aujourd’hui plusieurs manifestations se dérouleront l’avant-midi à Rachidiyé, à Aïn el-Héloué et à Beyrouth. Le deuil sera observé durant quarante jours dans les camps palestiniens du Liban. Patricia KHODER

Des pneus en feu et des rafales de fusils mitrailleurs tirées en l’air. Telle était la scène hier matin dans divers camps palestiniens du Liban, peu après l’annonce du décès du chef de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat. Des hommes, des femmes et des enfants sont spontanément descendus dans la rue pour crier leur colère. Pour prendre part aux manifestations,...