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L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Deuil de route

Notre tragédie, c’est que nous ne savons même pas où nous pourrons être enterrés un jour, confiait il y a une vingtaine d’années Yasser Arafat à une chaîne de télévision française. De fait, et tout au long d’une existence aventureuse, le chef de l’OLP aura faussé compagnie à nombre de sépultures de fortune, de nécessité, puisque la terre palestinienne lui était à cette époque absolument interdite. Lors du Septembre noir de 1970 ainsi, et n’eut été l’intervention personnelle de Nasser, il était bien près d’aller reposer sous les sables de cette Jordanie où ses fedayine, devenus un véritable État dans l’État, furent impitoyablement décimés par l’armée royale. La carrière d’Abou-Ammar aurait pu s’achever au Liban, où il fut un des principaux protagonistes d’une guerre dite « civile » : le Liban sur lequel il devait attirer plus tard, de surcroît, la dévastatrice furie de l’invasion israélienne. Délogé de son sanctuaire libanais, miraculeusement rescapé d’un accident d’avion en plein désert libyen et d’une bonne demi-douzaine d’attentats manqués, Arafat paraissait voué à un éternel exil dans son lointain QG de Tunis. Ce fut alors la percée historique d’Oslo, qui lui permit de reprendre pied dans sa patrie. Mais non d’en reprendre possession. Yasser Arafat, qui rêvait de créer un État palestinien indépendant puis d’être enseveli dans la mosquée al-Aqsa de Jérusalem, a-t-il donc manqué des occasions uniques d’accomplir son destin et celui de son peuple comme le lui reprochent ses critiques et détracteurs ? A-t-il raté son rendez-vous avec l’histoire ? Gardons-nous de répondre pour celle-ci : elle serait bien en peine d’ailleurs de se prononcer sur-le-champ, tant en effet le Raïs sans république était un homme de contrastes, sinon de contradictions. « Je suis venu le fusil dans une main et le rameau d’olivier dans l’autre », clamait-il dès 1974, sous les ovations de l’Assemblée générale de l’Onu. Sa force – mais aussi la cause de sa perte – c’est de ne s’être jamais dessaisi tout à fait ni de l’un ni de l’autre. Tantôt Prix Nobel de la paix et tantôt diabolisé, traité en pestiféré par Bush et Sharon qui l’accusaient de soutenir le terrorisme, Arafat n’aura finalement gagné ni la paix ni la guerre. Mais le plus extraordinaire, et là réside l’essentiel de son œuvre, c’est que si une Palestine indépendante doit émerger des limbes un jour, Yasser Arafat, malgré des erreurs de parcours souvent colossales, malgré sa répugnance à franchir le pas décisif, malgré sa tyrannique maîtrise des institutions palestiniennes et sa réputation de grand corrupteur, sera incontestablement, aux yeux de son propre peuple du moins et que cela fasse plaisir aux autres ou non, le père fondateur, le symbole, l’icône de cette Palestine. Ce sont trois têtes que devra recouvrir désormais le légendaire keffieh d’Abou-Ammar, et on ne peut que se réjouir de la cohésion et du respect des règles institutionnelles dont font montre en ce moment ses héritiers. Encore faut-il que l’on donne sa chance à une troïka qui ne trouvera sa pleine légitimité que par la voie d’élections, ou alors à la faveur de grandes réalisations sur la voie d’un règlement acceptable. Maintenant que le spectre d’Abou-Ammar n’est plus là, on a beau jeu, à Tel-Aviv comme à Washington, d’évoquer les possibilités soudain offertes ; Tony Blair a même réussi à obtenir de George W. Bush un vague « plan de travail » visant à l’adoption de mesures propres à rétablir la confiance entre les parties et permettant à leur tour de revenir à la fantomatique « feuille de route », parrainée puis enterrée par les États-Unis. En fait de cheminement pourtant, c’est par Bagdad – éclipsé en ce moment par le volcan en éruption de Falloujah – que Bush a inauguré un processus de « démocratisation » du monde arabe seul propre, selon lui, à conduire à la paix ; mais une fois réalisé ce mirifique programme et du train où va le grignotage de la Cisjordanie, y aura-t-il encore un seul pouce de terrain à négocier en Palestine ? De son côté, Sharon n’envisage de reconnaître qu’ une direction palestinienne qui non seulement aurait répudié le terrorisme – chose faite depuis longtemps par Abou-Mazen et ses compagnons – mais qui combattrait efficacement celui-ci : c’est-à-dire qui, malgré la destruction systématique par Israël des infrastructures autonomes, affronterait éventuellement par les armes un Hamas devenu aujourd’hui pratiquement maître de Gaza. On le voit bien : de reléguer aux enfers la navigation à la Arafat ne met pas pour autant la région à l’abri des pervers desseins d’Israël, comme des délirants itinéraires arrêtés par l’Administration américaine. À l’heure où le chef palestinien disparu entreprend, du Caire à Ramallah, son ultime voyage, c’est de boussoles de précision qu’a grandement besoin le Proche-Orient.

Notre tragédie, c’est que nous ne savons même pas où nous pourrons être enterrés un jour, confiait il y a une vingtaine d’années Yasser Arafat à une chaîne de télévision française.
De fait, et tout au long d’une existence aventureuse, le chef de l’OLP aura faussé compagnie à nombre de sépultures de fortune, de nécessité, puisque la terre palestinienne lui...