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Actualités - OPINION

Retour de bâton

Il faut un début à toute chose. Et par un savoureux paradoxe, il nous faudra peut-être remercier un jour la Syrie d’avoir elle-même initié dans nos murs, sans qu’elle s’en rende bien compte, ce même, ce nécessaire, cet inexorable et irrésistible changement auquel elle se refuse si obstinément chez elle. Ce n’est pas la première fois certes qu’est violée, sur injonction de Damas, une Constitution libanaise née de quinze années de guerre et appelée à mettre fin à toutes les guerres. C’est la première fois pourtant que le coup de massue, censé pulvériser cette fois jusqu’à la façade démocratique de notre pays, fait courir au contraire des frémissements de vie dans le corps malade. À quelque chose malheur étant parfois doublement bon, c’est la première fois aussi que la Syrie, pour affirmer son autorité, se trouve amenée à user sur ses propres ouailles d’aussi flagrants moyens de persuasion : s’il y a une chose de définitivement pulvérisée dès lors, aux yeux du monde entier comme des Libanais, c’est plutôt le mythe – déjà bien entamé, au demeurant – d’une tutelle syrienne pourvoyeuse de stabilité pour ces turbulents gamins que sont les Libanais. Mais quelle stabilité peut-elle encore tromper quand elle ne vise qu’à perpétuer la mainmise, le malaise, la crise, dans un microcosme péremptoirement voué au règne de la médiocrité ? Par quel prodige pourra-t-on accomplir, en trois années de présidence cavalièrement étirée, ce qui n’a pu l’être en six ? Quelles promesses de renouveau, quels appels au dialogue et au changement des mentalités, tels ceux lancés par Baabda, peuvent-ils faire illusion alors qu’est à peine consommée l’atteinte à la plus sacrée des lois ? Quelle liesse populaire peuvent espérer traduire les distributions programmées de pétards aux municipalités, les délégations enrégimentées, les carnavals de commande, le déluge insensé de portraits géants qu’il faut parfois confier à la garde des blindés comme c’est le cas sur la place Sassine, comme cela se passe sans doute à Pyongyang ? Le comble de la maladresse n’est-il pas de louer, à coups de calicots officiels, un « homme de la décision » maintenu à son poste par seule et souveraine décision syrienne ? Et surtout, à quelles nouvelles atteintes à la souveraineté, à la loi et aux droits des gens peut encore recourir un pouvoir déjà peu porté sur les libertés publiques et même suspect de militarisation, sous prétexte de faire échec aux « ingérences » occidentales ? De ce soudain regain d’internationalisation que connaît aujourd’hui la crise libanaise, peut précisément venir le meilleur comme le pire. Bien qu’édulcorée pour prévenir tout veto, la récente résolution 1559 du Conseil de sécurité marque le début d’un processus qui devrait aller en s’amplifiant. Les pressions internationales sur la Syrie ne sauraient épargner le Liban officiel qui, par la bouche du ministre des AE, s’alarmait hier des dangers auxquels cette « immixtion » expose le pays. Au même moment son homologue syrien Farouk el-Chareh faisait monter les enchères en annonçant un prochain resserrrement de l’alliance Damas-Beyrouth, vraisemblablement à la faveur d’un nouvel assortiment d’accords léonins. Et comme à l’accoutumée, les Israéliens ne manquent pas de corser la mixture en évoquant la perspective d’un accord de paix avec le Liban, une fois celui-ci libéré de l’emprise syrienne. Face à tant de frustrations et d’incertitudes, reste l’attachement forcené des Libanais à leurs traditions démocratiques, pour folkloriques et imparfaites qu’elles puissent être. C’est bien peu dans le trouble jeu des nations, et c’est pourtant énorme s’ils doivent réintégrer leur place un jour dans le concert des nations. Qu’il ne se soit trouvé, vendredi dernier, qu’une trentaine de députés pour voter selon leur conscience ( et qui plus est celle, notoirement refoulée, de leurs collègues) est regrettable, c’est vrai. Mais qu’il s’en soit tout de même trouvé 29 dans un Parlement supposé marcher – à croupetons – comme un seul homme est extraordinaire. Tout aussi importante – et réconfortante – est la démission de quatre ministres qui vient remettre en vigueur une règle de base tombée dans l’oubli depuis l’instauration de la vague république de Taëf : celle qui veut qu’un ministre en désaccord avec la ligne de son gouvernement n’a d’autre choix que de s’en retirer plutôt que de jouer les faux témoins ; ou alors de se proclamer, comme c’était couramment le cas depuis l’instauration de la république de Taëf, « ministre-opposant » ! Tout excès peut s’avérer contre-productif. Et peut-être fallait-il absolument une reconduction présidentielle outrancièrement (télé)commandée, des alliés roulés dans la farine, un Premier ministre devenu un pitoyable infirme politique pour redonner du mordant à une classe politique qui paraissait avoir perdu toutes ses dents. La lumière ne peut poindre que de la nuit noire. Et c’est bien dans la poisseuse boue des ruisseaux qu’il faut aller chercher les pépites d’or. Issa GORAIEB
Il faut un début à toute chose. Et par un savoureux paradoxe, il nous faudra peut-être remercier un jour la Syrie d’avoir elle-même initié dans nos murs, sans qu’elle s’en rende bien compte, ce même, ce nécessaire, cet inexorable et irrésistible changement auquel elle se refuse si obstinément chez elle.
Ce n’est pas la première fois certes qu’est violée, sur...