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Actualités - OPINION

Analyse - Washington et Paris n’ont jamais été aussi loin dans leurs positions sur la question libanaise Beyrouth placé dans une situation d’isolement quasi total

«Un vote dicté par une force d’occupation ». « Un défi à la communauté internationale ». Ces propos, qui ont émané respectivement de Washington et de Paris aussitôt après l’adoption par le Parlement, vendredi soir, de l’amendement constitutionnel prorogeant le mandat du président Émile Lahoud, montrent bien qu’un bouleversement est intervenu dans la situation géopolitique du Liban. Jusqu’ici, « l’équation » libanaise issue des accords de Taëf (1989), reposant principalement sur la présence militaire et l’influence politique dominante de la Syrie, recevait sinon le soutien, du moins l’aval de la communauté internationale. Même après l’expiration du délai de deux ans, au bout duquel la Syrie aurait dû procéder à un redéploiement de ses troupes en prélude à un retrait définitif, les États-Unis, la France et les autres grandes puissances continuaient, bon gré mal gré, à tolérer dans certaines limites une tutelle qui n’a jamais faibli et dont les effets sur le Liban se sont manifestés avec le plus d’acuité lors des diverses consultations électorales que le pays a connues depuis 1992. Si la résolution 1559 du Conseil de sécurité, adoptée jeudi dernier, a irrémédiablement mis un terme à cette phase, ce sont surtout les positions en flèche exprimées le lendemain par les deux parrains du texte, Washington et Paris, qui ont donné le ton pour les semaines, les mois, voire les années à venir. La mouture définitive du texte de la résolution avait exigé de ses deux coauteurs une certaine prudence linguistique. L’absence de référence explicite à la Syrie en était un exemple, destiné à empêcher tout vote hostile de la part de certains membres du Conseil. Objectif atteint, puisque même l’Algérie, pays arabe, s’est contentée de s’abstenir. Naturellement, la Syrie a mis en avant une interprétation différente des résultats du vote à l’Onu, en affirmant être sortie « victorieuse » du bras de fer qui l’a opposée à Washington et Paris, dans la mesure où la résolution n’a obtenu que le minimum requis (9 voix) pour être adoptée et cela en dépit d’un recul par rapport au projet initial. Reculer pour mieux sauter, pourrait-on répliquer sur les rives du Potomac et de la Seine. Même édulcorée, la résolution 1559 était en effet l’instrument indispensable à défaut duquel il aurait été difficile, voire impossible, pour les États-Unis et la France de définir, vingt-quatre heures plus tard, dans les termes qu’ils ont utilisés, leur position respective vis-à-vis de l’amendement constitutionnel au Liban. La résolution onusienne appelle au « retrait des troupes étrangères » du Liban. C’est, de toute évidence, en se fondant sur cette exigence que le porte-parole de la Maison-Blanche a été en mesure, après la prestation du Parlement libanais, de parler de la Syrie comme d’une « force d’occupation ». Quant au Quai d’Orsay, on voit mal comment il aurait pu dénoncer « un défi à la communauté internationale » au sujet de l’amendement de la Constitution libanaise, si cette même communauté n’avait pas donné auparavant son avis à ce propos. Comme l’affirme à l’AFP un ancien diplomate libanais ayant requis l’anonymat, la résolution 1559 a constitué bel et bien « un tournant qui laisse Damas à découvert, avec sur les bras un lourd cahier des charges, notamment une neutralisation du Hezbollah et un retrait du Liban ». C’est la première fois depuis au moins 15 ans que Washington attribue à la présence syrienne au Liban le qualificatif d’« occupation ». Du chemin a ainsi été parcouru depuis l’adoption il y a près d’un an par le Congrès américain du Syria Accountability Act. Il s’agit donc d’un processus de radicalisation en marche contre le régime syrien et nul ne peut deviner dès à présent à quoi il pourrait déboucher. D’autant que, sur ce point, il semble peu probable qu’une victoire démocrate à la présidentielle de novembre prochain change la donne. Pour ce qui est de la France, le constat est en soi plus grave. Jamais dans l’histoire des relations franco-libanaises, plusieurs fois centenaires, Paris n’avait usé d’un vocabulaire aussi sévère en parlant d’un développement impliquant l’État libanais. La lune de miel qui a caractérisé au cours des dix dernières années les rapports entre le tandem syro-libanais, d’une part, la France de Jacques Chirac, de l’autre, est incontestablement terminée. Pour le Liban, les conséquences de cette cassure pourraient se révéler incalculables. Conscient de ce fait, le ministre des Affaires étrangères, Jean Obeid, s’est efforcé hier de minimiser l’impact de la crise, en soulignant que les liens entre Beyrouth et Paris sont plus anciens que l’amendement constitutionnel et ne prendront pas fin avec lui. Sans doute, mais à court terme du moins, nul ne peut ignorer que l’attitude de la France, peut-être plus encore que celle des États-Unis, place le Liban dans une situation d’isolement quasi total sur la planète. Dans ces conditions, le moindre incident à la frontière sud pourrait avoir des retombées désastreuses. Le cas échéant, le seul recours de Beyrouth serait... Damas. En somme, en imposant l’amendement constitutionnel, la Syrie a une fois de plus montré sa capacité à asseoir son emprise sur le Liban. Mais, en s’aliénant l’Occident, elle y a aussi ouvert un boulevard à Israël. Élie FAYAD
«Un vote dicté par une force d’occupation ». « Un défi à la communauté internationale ». Ces propos, qui ont émané respectivement de Washington et de Paris aussitôt après l’adoption par le Parlement, vendredi soir, de l’amendement constitutionnel prorogeant le mandat du président Émile Lahoud, montrent bien qu’un bouleversement est intervenu dans la situation...