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Actualités - RENCONTRE

Rencontre - La détentrice du prix Pritzker d’architecture a donné à Beiteddine un spectacle inoubliable Zaha Hadid : Être une femme et arabe a été à la fois un handicap et un moteur (photos)

De la baie vitrée de son salon à l’hôtel, Zaha Hadid regarde la Méditerranée, plus bleue et plus belle que jamais. Mais au-delà de ces couleurs extraordinaires, elle voit déjà les bâtiments qu’elle pourrait construire pour capter cette lumière et permettre à l’homme de s’épanouir dans un espace urbain où il aurait encore une place de choix. Elle laisse son regard errer sur les chantiers du centre-ville, des idées plein la tête, tout à son rêve et à sa grande passion. Depuis 25 ans qu’elle est dans le monde de l’architecture, dont elle est d’ailleurs l’un des plus grands noms, elle n’en a pas fini avec ce domaine où son génie créatif ne cesse d’exploser. Timide, elle n’aime pas beaucoup aborder d’autres sujets. Mais une femme qui réussit si brillamment dans un tel domaine a forcément énormément de choses à dire. Nous avons tenté de la faire parler. Elle est immense, comme sa réputation. Sirotant un peu nerveusement un thé à la menthe, elle répond aux questions comme on se jette à l’eau, évitant les réflexions trop personnelles, mais lançant de temps en temps des mots comme des messages ou des appels. À près de cinquante ans, dont plus de 20 ans dans le métier, cette dame a assurément beaucoup souffert et beaucoup lutté, et pourtant, il n’y a aucun esprit de revanche, rien qu’une immense envie de travailler encore, de créer et de dépasser ses propres limites. De ses années à Bagdad, dans une famille aisée son père avait occupé de hautes fonctions dans le régime de Abdel Karim Kassem –, Zaha Hadid parle peu. Mais elle rend constamment hommage à ses parents pour l’éducation d’ouverture qu’ils lui ont donnée. « Sans eux, je ne serais sans doute jamais devenue ce que je suis. Ils m’ont donné le sens de la curiosité, la volonté d’apprendre et la détermination à vouloir être brillante. » La famille a rapidement quitté l’Irak pour s’installer à Londres, et Zaha Hadid n’a plus jamais remis les pieds en Irak. Même si elle a énormément conscience de ses origines et n’a jamais cherché à les cacher. Elle dit d’ailleurs avec un certain détachement qu’étant une femme arabe, irakienne de surcroît, elle a dû beaucoup lutter pour arriver. L’architecture, une véritable passion À Londres, c’est tout naturellement qu’elle se lance dans le domaine de l’achitecture. « J’ai toujours aimé cela, sans jamais me poser de questions ou essayer de trouver ce qui a déclenché cette passion. Il n’y aaucune logique. C’est comme cela, c’est tout. » Dès le début, elle savait pourtant que ce serait difficile de percer dans un tel domaine. Mais dès la quatrième année, elle sentait qu’elle devait absolument inventer quelque chose, trouver une nouvelle voie, sans savoir laquelle. Elle se trouvait alors devant un choix : soit prendre le chemin classique et devenir un bon architecte comme il y en a tant, soit prendre le risque de se lancer dans une nouvelle conception de l’art architectural. Avec son caractère trempé, elle ne pouvait bien sûr que prendre la seconde voie, et comme elle le dit, l’architecture étant une science, un peu comme la médecine, il a fallu faire beaucoup de recherches et travailler dur pour trouver son chemin. « J’étais ambitieuse, certes, mais je découvrais un univers nouveau, et c’était très excitant. J’ai aussi été énormément encouragée par mes professeurs. » Mais la reconnaissance n’est pas venue très vite. Au contraire, il lui a fallu beaucoup de temps et de travail pour être enfin reconnue et respectée. « En fait, les gens se réfugient constamment dans les standards. Dès qu’on leur présente autre chose, ils se sentent un peu perdus. On a beau par exemple leur dire que ceci est une chaise, si elle ne ressemble pas aux schémas auxquels ils sont habitués, ils n’y croient pas. Or, moi, j’ai voulu sortir des standards habituels, briser les tabous architecturaux. » Son idée est de créer des espaces relaxants et épanouissants, d’apprivoiser les tracés, en tenant compte de l’environnement. Ainsi, chaque ville est différente, chaque site particulier. Les plus beaux bâtiments portent sa signature Quelque part, le fait d’être irakienne et une femme l’a aidée dans ce sens. On s’attendait à tout d’elle, même si, par ailleurs, c’était bien plus difficile d’obtenir les prix qu’elle méritait, les jurys préférant les donner à des Occidentaux et surtout à des hommes. Aujourd’hui, Zaha Hadid affirme avec humour que le fait de ne pas être une occidentale a été très libérateur pour elle. Sa carrière est d’ailleurs à son image, totalement non conventionnelle, puisqu’elle n’a jamais voulu travailler pour quelqu’un, préférant le difficile chemin de l’indépendance et de la liberté. Elle a ainsi inventé la chaise qui porte son nom, mais elle a aussi conçu des projets aux quatre coins de la planète. De l’Europe à l’Amérique, en passant par l’Extrême-Orient, la Chine et la Russie, les plus beaux bâtiments du monde portent sa signature, dans une multitude de projets aussi variés les uns que les autres. Cela va de la station de ski au musée, en passant par le terminal d’une gare, le complexe de magasins et le stade sportif. Mais le plus curieux, c’est que les pays arabes n’ont pas encore fait appel à son talent. « La presse est très élogieuse, mais l’appui des Arabes ne va plus loin. C’est dommage car j’aimerais bien travailler pour les pays de ma région. » Elle est ainsi très intéressée par le centre-ville de Beyrouth, elle qui a conçu tout un quartier à Pékin. « Bien sûr, s’ils avaient attendu dix ans encore, ç’aurait été mieux car il y a beaucoup de nouvelles idées pour les centres historiques. Mais ils ne pouvaient le faire, je le comprends. Et il reste encore d’immenses possibilités. » Avec un regard généreux, qui voit au-delà du béton austère et pesant, elle ne considère pas que Beyrouth est une horreur architecturale. « Pas plus que tout autre ville. Je dirais qu’il y a une chance de la transformer pour la rendre plus belle, plus en harmonie avec l’homme. » Car Zaha Hadid jongle avec adresse avec les formes arrondies, où les matériaux de construction deviennent doux et caressants, et les pointes qui se dressent vers le ciel. Tout est une question de mélanges, d’angles et de combinaisons étranges, à la fois mystérieuses et accessibles. Un peu comme l’époustouflant spectacle qu’elle a donné à Beiteddine et qui a remué le public. À ce sujet, elle dit d’ailleurs que tout au long de sa vie, c’est la seconde fois qu’elle a été aussi émue de sa vie. La première, c’était en recevant le prix Pritzker d’architecture pour l’année 2004, l’équivalent du Nobel, et la seconde, en écoutant l’ovation du public de Beiteddine, des centaines d’architectes venus du Liban, de Syrie, de Jordanie et d’ailleurs, des artistes, mais aussi de simples amateurs émus face à ce ballet moderne où l’homme épouse la matière. La reconnaissance après des années d’efforts En fait, Zaha Hadid reconnaît que ce n’est que ces cinq dernières années que la renommée est réellement arrivée. Elle avait auparavant beaucoup galéré. En 1994, notamment, elle avait fait la une des journaux britanniques avec ce qu’il est convenu d’appeler le scandale de Cardiff pour la construction d’un opéra dans la ville. Le jury devait lui décerner le prix, mais parce qu’elle n’était pas anglaise, la compétition avait été réouverte plusieurs fois, dans l’espoir que quelqu’un d’autre parviendrait à décrocher le prix. Finalement, le choix est retombé sur elle, mais cette affaire l’a beaucoup marquée, montrant les limites de l’intégration, mais aussi donnant bon espoir pour l’avenir. Aujourd’hui, cette situation est dépassée, et Zaha Hadid cueille les prix comme d’autres font la récolte de pommes. « Mais je sens encore une certaine résistance », précise-t-elle, sans toutefois lui accorder trop d’importance. En tout cas, la bataille n’effraie pas cette femme déterminée. Depuis qu’elle a quitté son pays natal, il y a près de 24 ans, elle n’a jamais choisi des chemins faciles, tout en gardant au cœur un grand amour pour son pays d’origine et pour les pays arabes en général. Au Liban, elle porte ainsi une affection particulière, ayant fait une partie de ses études à l’AUB et ayant de la famille à Beyrouth. Quant à l’Irak, elle rêve d’y retourner. « Je le ferai certainement lorsque la situation de la sécurité le permettra. Je souhaiterais y enterrer mon père aux côtés de ma mère, alors que sa dépouille se trouve en Angleterre. Je n’ai plus de famille proche là-bas, mais j’ai très envie de revoir quand même les lieux de mon enfance. » Avec ses multiples déplacements – elle a actuellement des projets aux États-Unis, en Italie et en Allemagne –, c’est à peine si elle trouve le temps de penser à elle. « Mais je n’ai pas le sentiment d’avoir sacrifié ma vie privée. J’ai fait ce que je voulais faire, et je sens que j’ai encore beaucoup à donner. » Elle affirme être bien à Londres lorsqu’elle s’y trouve. « C’est une ville intéressante, et même la réserve légendaire des Anglais est en train de fondre. » Son seul regret est de ne pas pouvoir donner davantage à sa région, le monde arabe. Mais elle croit que l’ouverture est inévitable. C’est d’ailleurs ce que lui ont appris ses parents et le chemin qu’elle s’est choisi, et qui fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui : une grande dame de l’architecture, une artiste et une femme. Scarlett HADDAD
De la baie vitrée de son salon à l’hôtel, Zaha Hadid regarde la Méditerranée, plus bleue et plus belle que jamais. Mais au-delà de ces couleurs extraordinaires, elle voit déjà les bâtiments qu’elle pourrait construire pour capter cette lumière et permettre à l’homme de s’épanouir dans un espace urbain où il aurait encore une place de choix. Elle laisse son regard...