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Actualités - REPORTAGE

GROS PLAN - Une exploration architecturale à travers les créations phares réalisées dans le monde Trois Libanais, S.Kosremelli, B.Khoury et R.Abillama dans le « Phaidon Atlas » de l’architecture contemporaine(photos)

Le Liban tient honorablement sa place dans l’histoire architecturale. Parmi les 1052 projets sélectionnés à travers le monde par «The Phaidon Atlas of Contemporary World Architecture» figurent «le cottage de Nancy» construit à Jiyyé par Simone Kosremelli; les hauts lieux de la vie nocturne beyrouthine: le B 018, le Central et le Yabani de Bernard Khoury; l’immeuble résidentiel n° 654 de la rue Abdel-Wahhab Inglizi et la villa «M&K», à Dbayé, conçus par Raêd Abillama. Fruit de trois ans de recherche, l’Atlas architectural de la célèbre maison d’édition anglaise est aujourd’hui chez les libraires. Pesant quelque sept kilos, il déroule sur 800 pages «les créations exceptionnelles» réalisées en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique et en Australie. Le recueil, très bien documenté, est ponctué de 4600 planches et photographies, 2400 épures et 62 cartes géographiques indiquant les villes où a été exécuté le gros œuvre. Dans le chapitre consacré au Moyen-Orient, c’est le Liban qui se taille la part du lion avec six travaux architecturaux étalés chacun sur une page. Dans le reste du monde arabe, Phaidon n’a sélectionné que la bibliothèque d’Alexandrie dessinée par Snohetta, la maison Bilbeisi, de Sahel al-Hayari en Jordanie, le centre al-Faisalié et le Musée national d’Arabie saoudite, conçus respectivement par l’Anglais Norman Foster et le bureau Moriyama et Teshima. Si pour certains l’ouvrage n’est pas exhaustif, il a toutefois l’avantage de proposer une vision globale de la création architecturale en ce début du siècle. Divisé en cinq chapitres, un par continent, il se consulte très aisément. Les annexes placées à la fin du livre, lexique des spécialistes, tables des illustrations, index des noms propres, contribuent à en faire un ouvrage de référence et «un instrument de travail indispensable pour les étudiants et les professionnels. Je n’ai jamais vu autant de travaux réunis en un seul ouvrage», note Richard Meier, figure marquante de l’histoire de l’architecture contemporaine, occupant une place aussi importante que celle de Le Corbusier ou Mies Van Der Rohe. C’est aussi l’avis de la lauréate du prestigieux prix Pritzker, Zaha Hadid, de Will Alsop, architecte reconnu pour ses idées audacieuses et novatrices, d’Aaron Betsky, directeur de l’Institut d’architecture de Netherland, et Bob Emmerson, PDG du groupe Arup, qui qualifient l’ouvrage de «grande qualité», d’«idée brillante», de «merveilleuses ressources en architecture», mais aussi et surtout de «ticket de première classe». Simone Kosremelli: Puiser son inspiration dans la tradition Être citée dans The Phaidon Atlas of Contemporary World Architecture signifie «avoir réussi dans ma conception d’une architecture locale, adaptée à un pays, un climat, un peuple et ses traditions, de manière à toucher une audience internationale. De la même façon, les architectes japonais de renommée internationale parviennent à intéresser le monde entier aux particularités de leur architecture traditionnelle», déclare Simone Kosremelli, maître-d’œuvre du cottage de Nancy. Elle estime qu’«il serait possible aux professionnels libanais de jouer un rôle sur la scène régionale ou même internationale, mais à la condition de créer une architecture qui leur est propre et non pas des copies de ce qui se construit en Europe ou aux États-Unis». Citant, à titre d’exemple, deux architectes de grande renommée, elle ajoute qu’«à l’instar de Hassan Fathi, qui a pris à la maison paysanne égyptienne ses éléments fondamentaux, ou encore de l’Irakienne Zaha Hadid, qui a puisé dans l’art constructiviste, mouvement pionnier de l’art contemporain, nos spécialistes pourraient s’inspirer de l’architecture traditionnelle libanaise et donner à leur œuvre cette identité qui lui manque». « Ils pourraient même élargir leur horizon en cherchant dans l’architecture islamique ou encore dans le domaine de l’art: il n’y a qu’à voir l’architecture de Bernard Khoury. Avec ses toits ouvrants et ses ascenseurs qui prennent des proportions d’espaces en mouvements, elle se rapproche de l’art cinétique.» Kosremelli souligne par ailleurs: «Un meilleur enseignement dans nos écoles fabriquerait des architectes qui se démarqueront par leurs travaux. Il faut non seulement leur faire découvrir la richesse de notre patrimoine architectural, mais aussi les encourager à utiliser ce vocabulaire dans des contextes contemporains. Les cours d’histoire de l’art et de l’architecture devraient être des instruments actifs inhérents et non des cours figés, et indépendants du processus du design.» Bernard Khoury, architecte à risques? Diplômé de Rhode Island School of Design et détenteur d’un master en architecture de l’université de Harvard, Bernard Khoury, âgé de 35 ans, n’en est pas à sa première mention. Il a remporté en 2001 la première édition du prix Borromini attribué par la ville de Rome. Il est reconnu par la presse spécialisée. Un article dans le Wall Street Journal lui a été récemment consacré. Il fera prochainement l’objet d’une monographie aux éditions Phaidon. «On m’a très souvent collé le label d’“architecte à risques”, or mes projets sont très réalistes mais c’est le processus de leur conceptualisation qui peut parfois être complexe», précise-t-il. «Il m’est arrivé de travailler sur des friches, dans des quartiers considérablement dégradés, et donc dans un contexte parfois difficile et complexe.» Bernard Khoury, qui a émergé sur le champ d’une scène architecturale dévastée pour exprimer d’abord le refus d’habitudes et de traditions à bout de souffle, se déclare «du côté des modernes». «Je ne crois pas du tout que l’on puisse créer des choses intéressantes en reproduisant naïvement les signes d’une autre époque», déclare-t-il. Malheureusement, ici au Liban, nous avons un problème identitaire, culturel et politique avec la modernité. Nous avons un rapport avec le présent très bizarre. J’ai l’impression que nous vivons dans l’amnésie et le déni le plus total. On s’accroche à une sorte de nostalgie malsaine, superficielle et dangereuse. Je suis un homme du présent et je n’ai aucun problème à vivre ou à confronter la culture dans laquelle je baigne. Les architectes des années 60-70 ont, d’ailleurs, pratiqué la modernité sans complexe.» Et d’ajouter: «Certains sont allés jusqu’au bout de leur conviction mais nombreux sont ceux qui ont retourné leur veste pour survivre au processus de simplification de l’histoire et du marché de la nostalgie au rabais. Mon père a claqué la porte. Moi je me suis fait taper sur la gueule un peu trop souvent. J’ai toutefois eu la chance d’avoir des clients intelligents, de gérer des situations parfois plus critiques que d’autres, mais on se retrouve souvent confrontés à une bêtise collective, à un phénomène de crétinerie irréductible qui fait que la production architecturale locale, depuis 15 ou 20 ans, est un fiasco total. Mais il faut être pragmatique: l’architecture n’est pas une discipline autonome. L’architecture pour l’architecture ne m’intéresse pas. Sa pratique devient intéressante à partir du moment où elle permet de poser des questions, de réinterpréter le programme et le contexte dans lequel nous travaillons. Je ne crois pas aux recettes universelles. J’estime que pour s’inscrire pertinemment dans le cadre d’une opération économique et politique, l’architecture doit être un plus; elle doit prendre en compte la spécificité des lieux dans lesquels son projet s’inscrit . Or le drame des promoteurs, c’est qu’ils s’obstinent à ressasser le même mode d’architecture qui apporte la preuve économique de son échec. Il n’y a qu’à voir le fiasco du marché de l’immobilier qui offre un produit identique, totalement dépassé. Catastrophique», conclut Bernard Khoury. Raêd Abillama ou la méthodologie de la construction Deux projets dans l’Atlas de Phaidon, cela représente quoi pour Raêd Abillama? «Une sélection, un début», souligne-t-il. «Un petit pas en avant car il y a encore beaucoup de travail à faire. Mais j’aimerai préciser que l’architecture, qui est avant tout un mode de pensée et surtout d’analyse, est un travail d’équipe, un esprit de studio , mélange d’idées et de contradictions.» Âgé de 35 ans, diplômé de Rhode-Island School of Design et de Columbia University of New-York, Raêd Abillama s’est fixé un but précis en s’installant au Liban: élaborer et produire le détail architectural de haut standard (balustrades, ascenseurs, entrée d’immeuble, escaliers, etc). «La finalité de l’architecture étant de construire, l’important étant le bâtiment exécuté, nous avions besoin de savoir ce que l’industrie peut permettre aux architectes de réaliser», souligne-t-il. «Avec des amis industriels, nous avons fondé une boîte qui crée les produits finis liés au bâti. Ce lieu est devenu un laboratoire de recherches pour la connaissance réelle de la méthodologie de la construction et un outil de travail qui permet de maîtriser les diverses techniques et d’élaborer les différentes formes. Nous pouvons ainsi proposer et appliquer des concepts spécifiques, particulièrement en ce qui concerne la création originale. Les spécialistes locaux et internationaux font appel à nos services. Et comme cette boîte fonctionne, aujourd’hui, d’une manière autonome, nous allons pouvoir nous consacrer à plus de projets architecturaux.» En ce domaine, Raêd Abillama, qui défend la continuité du mouvement moderne, prône «une architecture intelligente qui peut répondre au programme d’une façon complète. Qui peut soulever de nouvelles questions et par conséquent promouvoir de nouvelles aspirations. Ce sont les moments les plus spécifiques de notre travail. Bon, le côté plastique ou esthétique du projet n’est que temporaire car il ne faut pas penser l’utopie, mais le possible. On ne loge pas dans un croquis ou dans des images virtuelles. On habite un immeuble, une maison. Aussi, pour nous, architectes, ce qui doit d’abord sous-entendre notre manière de penser, c’est la résolution d’un problème concret: donner une réalité habitable à notre client et plus de bonheur aux gens qui vont vivre dans les demeures que nous leur destinons. Aussi, nous voulons une construction moderne qui puisse bien vieillir et où le détail de l’exécution est pensé en même temps que le plan de masse. Une architecture qui serait évolutive, interactive avec les éléments, perméable à son environnement et à l’esprit du temps. Cette architecture restera obligatoirement actuelle et fonctionnelle», conclut Raêd Abillama. Propos recueillis par May MAKAREM

Le Liban tient honorablement sa place dans l’histoire architecturale. Parmi les 1052 projets sélectionnés à travers le monde par «The Phaidon Atlas of Contemporary World Architecture» figurent «le cottage de Nancy» construit à Jiyyé par Simone Kosremelli; les hauts lieux de la vie nocturne beyrouthine: le B 018, le Central et le Yabani de Bernard Khoury; l’immeuble...