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Actualités - OPINION

Le vert et le noir

Les explosions et fusillades de mardi soir à Damas sont venues rappeler que nul pays de la région, aussi policé et stable soit-il, n’est à l’abri de l’onde de choc partie d’Irak et dont les secousses ne paraissent guère près de s’éteindre. En pointant un doigt accusateur sur le terrorisme islamiste et plus précisément sur el-Qaëda, la Syrie est parfaitement conséquente avec son passé lointain mais aussi, insiste-t-elle, avec les développements récents. De fait, aucun pays arabe n’a plus durement réprimé les Frères musulmans que la Syrie du début des années 80. Après les attentats antiaméricains de septembre 2001, Damas a notablement contribué à la collecte de renseignements sur les réseaux d’el-Qaëda, ce fait étant volontiers admis, d’ailleurs, par les responsables US. La Syrie a dernièrement bouclé sa frontière avec l’Irak face aux combattants allant rejoindre les insurgés de Falloujah ou de Najaf, cédant il est vrai ainsi aux mises en garde répétées de Washington. De même, et bien que lavée de tout soupçon par les autorités d’Amman, elle a imperméabilisé sa frontière jordanienne par où avaient transité des commandos et des convois entiers de poids lourds chargés de produits toxiques destinés à un méga-attentat à l’arme chimique. Alors faut-il inclure désormais l’ombrageuse, la militante, la radicale Syrie au nombre des cibles non occidentales du terrorisme – Turquie, Arabie saoudite, Jordanie – attaquées pour cause de collusion avec l’Amérique ? Celle-ci et la Syrie se partagent-elles vraiment le même ennemi, comme le clame l’ambassadeur syrien à Washington ? L’attentat de Damas n’est-il au contraire qu’une mise en scène réalisée aux moindres frais et destinée à blanchir l’hôte de Hamas, le parrain du Hezbollah alors qu’il est l’objet de pressions croissantes US, comme cherche cyniquement à le faire accroire déjà le lobby juif américain ? Et dans le même ordre d’idée, pourquoi l’Administration US elle-même jette-t-elle le doute sur la version des faits publiée par les officiels syriens ? Quelle que soit la réponse à ces interrogations, le fait est que la Syrie réussit aujourd’hui l’incroyable exploit de figurer tout à la fois sur la liste noire américaine des pays encourageant le terrorisme et sur celle, prétendument parée des couleurs de l’islam, dudit terrorisme ! On peut y voir l’aboutissement d’une politique sinueuse, ondoyante malgré la clarté du verbe : politique érigée en doctrine au même titre que celle dite du bord du gouffre, politique qui fut longtemps payante d’ailleurs mais qui a fait son temps. Hafez el-Assad avait beau signer traité sur traité avec les Soviétiques, c’est notoirement l’agrément des États-Unis qu’il convoitait, pour que fût reconnu sur le terrain son statut régional. La Syrie pouvait encourager la guérilla contre Israël à partir du Liban, tout en respectant scrupuleusement les accords de désengagement au Golan. Elle pouvait se poser en protecteur de la Résistance palestinienne, dans le même temps qu’elle s’employait à la réduire à merci ; la même et patiente démarche, la même rhétorique ont d’ailleurs servi pour la subjugation du Liban, à laquelle, faut-il le rappeler, avait acquiescé l’Oncle Sam. Autres temps, autres lois cependant. Car de là où l’ambiguïté rapportait de confortables dividendes, elle menace soudain de coûter fort cher. Le 9 septembre, l’Afghanistan, l’Irak, la Palestine version Sharon, tout cela contribue à changer la règle du jeu, rendant plus que jamais difficile et périlleux l’art de miser sur plus d’un tableau, de choisir et côté pile et côté face, de s’asseoir entre deux chaises, de se proclamer en faveur d’un règlement de paix négocié et de soutenir les plus extrémistes des groupes palestiniens. Non point bien sûr que la Syrie soit tenue de suivre aveuglément le noir panache de George W. Bush, maintenant qu’elle est elle-même en butte au terrorisme ; mais il faut tout de même réaliser que 2004 n’est pas 1982. Et que la lutte contre l’extrémisme et l’obscurantisme se gagne moins, de nos jours, par le canon et la prison que par l’association progressive du peuple à un projet de société cohérente du dedans, et donc bétonnée contre la subversion du dehors. Ce n’est pas se soumettre à l’irréaliste diktat américain d’un « Grand Moyen-Orient » démocratique que de consentir au peuple les réformes promises depuis des années et qui se font toujours attendre : lesquelles réformes auraient pu sans doute faire à la Syrie l’économie d’embarrassants démêlés avec les militants des droits de l’homme comme des récents et sanglants incidents arabo-kurdes. Parallèlement, ce n’est pas le seul Syria Accountability Act mais son intérêt bien compris qui devrait décider la Syrie à desserrer sa poigne sur le Liban ; à jouer l’ouverture, dans la perspective d’une élection présidentielle régulièrement évoquée par les officiels US mais aussi européens. À faire de son vassal, devenu trop voyant, un partenaire crédible. Mieux encore utile, surtout par temps orageux. Issa GORAIEB
Les explosions et fusillades de mardi soir à Damas sont venues rappeler que nul pays de la région, aussi policé et stable soit-il, n’est à l’abri de l’onde de choc partie d’Irak et dont les secousses ne paraissent guère près de s’éteindre.
En pointant un doigt accusateur sur le terrorisme islamiste et plus précisément sur el-Qaëda, la Syrie est parfaitement...