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L’Amérique et l’Europe face au terrorisme : radiographie d’une crise et perspectives

Par Fouad BOUTROS L’ancien ministre Fouad Boutros a donné mardi soir à la Lebanese American University une conférence axée sur l’attitude des États-Unis et de l’Europe face au terrorisme international. Nous reproduisons ci-dessous le texte de cette conférence : «À l’heure où l’ordre et la sécurité internationales sont gravement perturbés par des attaques terroristes meurtrières, les États-Unis visés par les attentats du 11 septembre 2001, ont décidé de réagir d’une manière unilatérale en prenant l’Irak comme objectif principal, au mépris des décisions de l’Onu et de l’avis de plusieurs de leurs alliés européens. «C’est ainsi que s’est développé entre eux, d’une part, l’Onu et l’Europe en général, d’autre part, un malentendu voire une crise. «Effectuer une synthèse rapide des points de vue des deux camps et de leurs divergences et tenter une percée vers l’avenir, tel est l’objet de mon intervention de ce soir. «Il est notoire qu’aussitôt terminée la guerre froide, la communauté d’intérêts transatlantiques s’est disloquée, pour céder la place à l’unilatéralisme des États-Unis, expression de leur hégémonie d’hyperpuissance. «Cependant, au-delà des susceptibilités, des méfiances et des réserves traditionnelles qui marquent les relations entre les deux rives de l’Atlantique, il convient de relever que la tendance de l’Amérique à l’unilatéralisme ne date pas d’aujourd’hui. «Dans un ouvrage récent, intitulé Surprise, Security and the American Experience, l’historien américain Louis Gaddis soutient que la préemption, l’unilatéralisme et l’hégémonie caractérisent la politique américaine depuis John Adams, et que ses successeurs s’en sont inspirés au XIXe siècle, notamment dans les modalités d’incorporation dans l’union, d’un État après l’autre, à commencer par la Floride. «Cette politique assez courante alors, n’a pas été véritablement abandonnée, même pendant la guerre froide, car l’Amérique n’a jamais accepté qu’une Europe suffisamment unifiée puisse lui disputer la direction de la politique internationale et la solution des problèmes de sécurité. «C’est ainsi qu’en 1963, au lendemain du traité franco-allemand, Walt Rostow, alors conseiller américain pour les affaires internationales, confiait à un diplomate ouest-allemand : “Nous ne sommes pas jaloux de votre prospérité économique et nous l’encourageons. En échange, les Européens nous laissent le soin de la politique internationale et des questions de sécurité. Que veulent-ils de plus ?” L’entente entre les nations menacée «Depuis 1994, année où les républicains ont acquis la majorité au Congrès, cette tendance s’est renforcée graduellement jusqu’à atteindre son paroxysme après le 11 septembre 2001, à travers la décision d’attaquer l’Irak, nonobstant l’opposition d’une fraction importante de l’opinion et du Congrès, alors que les investigations entreprises infirmaient les accusations de détention d’ADM par cet État. «Sans méconnaître la primauté de l’Amérique dans le concert des nations, l’Europe, ainsi que d’autres États, refusent de se voir marginalisés et mis devant le fait accompli pour tout ce qui concerne la politique internationale et de sécurité. En outre, l’hégémonie américaine sous-tendue aujourd’hui par des mouvements et des groupements américains à caractère fondamentaliste, qui s’expriment à travers une littérature provocatrice largement diffusée, dont le récent ouvrage de David Frum et de Richard Perle intitulé An End to Evil constitue l’illustration, menace l’harmonie et l’entente entre les nations, continents et civilisations, renforçant ainsi le terrorisme sous sa forme la plus extrémiste. Les récentes prises de position du président Bush, relatives au droit de retour des réfugiés palestiniens et aux modalités de règlement de la crise du Moyen-Orient, en sont un exemple éloquent. «Face au danger terroriste, les Américains reprochent aux Européens en général d’être absorbés par l’idéal Kantien de paix perpétuelle, alors qu’eux-mêmes, embourbés dans l’histoire, doivent déployer leur puissance dans un monde anarchique, où la sécurité est fonction de la puissance militaire. Vénus d’un côté, Mars de l’autre. «Ils soutiennent que, pour l’Europe, le terrorisme ne constitue qu’un souci majeur, alors qu’il constitue pour eux, un problème vital, une priorité, étant donné qu’il remet en question les principes qui commandent leur sécurité nationale, en les menaçant à l’intérieur, rendant ainsi inopérante la notion de frontières géographiques, sur laquelle se focalisait jadis la politique de défense. «Accusée de violer le droit international et les droits de l’homme, l’Amérique rétorque comme suit : «Est-ce vraiment défendre les droits de l’homme, que de se retrancher derrière la loi internationale pour justifier la passivité face à un génocide, ou bien est-ce les défendre vraiment, que de mettre un terme à celui-ci, en intervenant, fût-ce au mépris de la loi internationale ? D’où la nécessité d’une nouvelle stratégie, en vue d’extirper le mal en tout lieu et par tous les moyens. «Il y a là un échantillon de la dialectique où la conception légaliste s’oppose à la conception éthique, quant aux règles qui doivent régir la vie internationale. Les argument de l’Europe «Confrontée à cette argumentation, l’Europe fait valoir des arguments dont voici un bref aperçu : «Tout d’abord, il y a lieu de rappeler à l’Amérique qu’il faut distinguer entre la lutte armée contre un État et la lutte contre une certaine forme de guérilla. Si le succès pour l’une consiste en une victoire militaire, la victoire pour l’autre est d’abord d’ordre politique. «D’où la nécessité impérieuse de traiter par priorité la cause principale du terrorisme dirigé par el-Qaëda ; à savoir le problème israélo-palestinien, voire israélo-arabe. Il est en outre insensé de vouloir prôner la démocratie, tant que lesdits problèmes ne sont pas réglés. «Certes, les causes du terrorisme peuvent être multiples et enchevêtrées. Néanmoins, il est indéniable – à l’heure qu’il est – que l’injustice faite au peuple palestinien et la spoliation par Israël de ses droits nationaux, voire le terrorisme d’État pratiqué contre ledit peuple, grâce à l’appui inconditionnel des États-Unis, constituent un facteur primordial sur lequel se greffent d’autres griefs qui alimentent l’action terroriste, cette action qui menace autant la vie en commun des individus, que la paix entre les peuples de mœurs et de cultures différentes. «Si la guerre contre l’Irak, conçue à l’occasion de l’agression de septembre 2001, voire même avant, pour des motifs ayant trait exclusivement à la sécurité d’Israël et aux intérêts pétroliers de l’Amérique, n’entre pas en principe dans le cadre de mon intervention, la résistance armée, voire le terrorisme qui en est résulté, nous ramène en définitive au cœur du problème traité. «Face à cet imbroglio et à cette tragédie, l’Amérique, d’un côté, et ses contradicteurs européens, de l’autre, sont acculés à tenter de trouver un terrain d’entente sur un processus efficace de traitement de la crise, et cela en dépit de leurs divergences, d’autant plus que si le terrorisme devait s’installer durablement, la lutte contre lui ne manquerait pas de se répercuter négativement sur les principes du droit international et le fonctionnement de la démocratie dans le monde développé. D’où la nécessité de se concerter avec le monde arabe sur les causes d’une tragédie qui menace l’humanité et sur ses modalités de traitement, en tenant compte de la spécificité du problème ainsi que des enseignements de l’histoire. «En 1859, François Guizot, ancien Premier ministre, mettait en garde contre les risques d’une intervention militaire à l’extérieur, quels qu’en fussent les motifs. Voici ce qu’il écrit dans ses Mémoires : “L’intervention, par les armes, dans les affaires d’une nation étrangères n’y tourne presque jamais au profit de la justice et de la liberté. Tantôt, cette intervention donne à un parti une domination factice et passagère, faisant au sein d’un même peuple des vainqueurs et des vaincus par l’étranger ; tantôt, elle ranime les susceptibilités nationales, les élève au-dessus des querelles intérieures et rallie contre l’étranger les vainqueurs et les vaincus qu’elle a faits. Et en définitive, la puissance intervenante se trouve presque toujours obligée, ou de se retirer impuissante devant le mal auquel elle voulait mettre un terme, ou d’opprimer elle-même le peuple qu’elle était venue secourir.” Au nom de l’éthique et des enseignements religieux «L’Amérique doit d’autant plus faire preuve de méfiance dans son comportement, que son unilatéralisme ne lui facilite pas la compréhension de la mentalité et des mœurs des sociétés étrangères, et qu’elle y dispose rarement d’un capital de sympathie. «À cet égard, l’Europe peut être d’un grand secours, de même que plusieurs États arabes et musulmans, surtout lorsque le terrorisme se présente comme l’expression de l’extrémisme et du fanatisme, et non comme une réaction à l’injustice et à la cupidité. Il serait alors aisé à la communauté des nations, tant chrétiennes que musulmanes, et à l’opinion internationale de le condamner au nom de l’éthique et des enseignements de la religion même, dont il prétend se prévaloir. «Dans un article publié par le Boston Globe du 23/3/2004 relatif au terrorisme, son auteur Greenway recommande aux États-Unis d’agir selon un amalgame équilibré entre la carotte et le bâton. «Ce conseil émanant d’un citoyen américain est conforté par l’émissaire de l’Onu en Irak, Lakhdar Brahimi, qui a récemment déclaré en connaisseur, ce qui suit : “J’estime que, en base de ce que nous avons entendu en Irak de tout le monde, ainsi que des Américains eux-mêmes, qu’il n’y a pas de solution militaire aux problèmes et que l’usage de la force, surtout son usage excessif, fait empirer la situation et ne résout pas le problème.” «Dans les circonstances présentes et à la lumière des remarques précitées, ledit émissaire pourrait servir de moteur pour le traitement du problème irakien, en même temps que du terrorisme en général. «Enfin, un certain rééquilibrage des relations Europe-USA est souhaitable, car il peut faciliter le retour des États-Unis à une forme de multilatéralisme, surtout s’il se conjugue avec l’entrée en scène de l’Onu et de l’Otan et de certains États arabes. Il faut espérer que la mobilisation de l’Europe face aux attentats de Madrid et les réactions de l’Arabie saoudite aux opérations des groupes extrémistes sur son territoire, sont de nature à faciliter la réalisation d’un tel objectif. «C’est sur cette note d’espoir que je veux clore mon intervention, mais un espoir pondéré, étant donné la complexité des problèmes et les passions qu’il déchaîne, car je ne perds jamais de vue dans ce genre d’exercice, cette vieille sagesse populaire chinoise qui rappelle qu’“Il est très dangereux de prévoir, surtout l’avenir”. «Je vous remercie pour votre attention.»

Par Fouad BOUTROS


L’ancien ministre Fouad Boutros a donné mardi soir à la Lebanese American University une conférence axée sur l’attitude des États-Unis et de l’Europe face au terrorisme international. Nous reproduisons ci-dessous le texte de cette conférence :

«À l’heure où l’ordre et la sécurité internationales sont gravement perturbés par des attaques...